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Editorial : Penser les libertés après le 7 janvier 2015

Edouard TREPPOZ
Professeur agrégé de Droit privé - Directeur de l'Institut Droit Art Culture

Face à la barbarie des attentats qui ont ensanglanté la France ces premiers jours de janvier, la première réaction fut d’agir en citoyens à la recherche d’une communion nationale, lors des marches du 11 janvier. Il nous faut désormais agir en juristes responsables et engagés dans la cité. Tel est l’objectif d’une manifestation scientifique qu’organiseront, à l’initiative du Doyen Franck Marmoz, les Universités Lyon 3, Lyon 2 et Saint-Etienne.

Les juristes doivent jouer, d’abord, un rôle d’explicitation. Cible du 7 janvier 2015, la liberté d’expression, doit être rappelée et ses exceptions expliquées. Le droit protégeait Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, les autorisant à l’irrévérence, aux blasphèmes de toutes sortes. Comme le notait le Tribunal de Grande Instance de Paris dans l’affaire des caricatures, « Attendu qu’en France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; que le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ». Il faudra néanmoins rappeler que lorsque cette irrévérence, cette distanciation cessent, lorsque l’humour n’est plus qu’une façade pour masquer sa haine de l’autre, la liberté d’expression ne peut plus être invoquée. La liberté s’estompe alors au profit de l’interdit. Expliquer la norme ne peut et ne doit cependant se transformer en exercice de légitimation. L’explication n’est qu’un commencement vers une meilleure compréhension, une meilleure acceptation de la norme et peut-être aussi son évolution. Le juriste doit favoriser ce débat en s’ouvrant au droit comparé. Il peut aussi entendre que le droit, seule norme commune, ne constitue pourtant pas toujours le seul guide de nos comportements.

Expliquer, questionner pour mieux guider les évolutions du droit, et donc de la société dans laquelle nous souhaitons vivre, le programme est assurément ambitieux. Il est pourtant nécessaire, quand on assassine encore en France des hommes en raison de leur religion ou de leur uniforme. Il faudra à l’image de ces marches du 11 janvier, dépasser la peur pour proposer un ‘vivre ensemble’, auquel chacun en France puisse adhérer. Cela passe probablement par la politique de nos villes, de nos écoles, de nos universités, de nos prisons aussi. La laïcité devra être au cœur de ces questionnements. Le repli, la surveillance, la stigmatisation ne peuvent pas être la réponse à nos peurs. Là encore, déplacer son regard permettra de mieux comprendre le risque d’un glissement vers l’instauration d’états d’exception au sein de notre État de droit.

Le juriste peut dépasser son rôle nécessaire d’expert pour endosser celui d’intellectuel engagé dans la vie de la cité. C’est ce dépassement qu’assument nos Facultés de droit en ouvrant cette manifestation le 3 avril prochain à la Manufacture des Tabacs à l’Auditorium Malraux (Université Jean Moulin Lyon 3).

Nous vous attendons nombreux pour débattre et avancer ensemble !

Au sommaire de ce numéro :

Faculté de Droit