Droit administratif . La Haute Cour de Justice, par Valérie MARTEL, Ingénieur d’études, SUEL, Université Jean Moulin Lyon 3.

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::fulltext::La réforme de la Haute Cour de JusticeDROIT ADMINISTRATIFPar Valérie MARTELIngénieur d’études, SUEL, Université Jean Moulin Lyon 3

La loi organique du 24 novembre 2014 fixe les modalités de saisine de la Haute Cour et la procédure applicable devant cette juridiction qui peut destituer le Président de la Réplique en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Elle abroge de plus l’ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de Justice.

Cette loi organique nous amène donc à revenir sur les origines de la Haute Cour avant d’envisager les modalités de fonctionnement de cette juridiction et leurs mises en œuvre.

Dans un premier temps, il est notable que sous le nom de Haute Cour Nationale ( article 23 de la constitution de 1791 ), de Haute Cour de Justice ( article 114 de la constitution du 5 fructidor an III , article 91 de la constitution du 4 novembre 1848 , article 54 de la constitution du 14 janvier 1852 , ordonnance du 18 novembre 1944), de Haute Cour Impériale (titre XIII de la constitution de l’an XII ), de Cour suprême de justice ( acte constitutionnel du 30 juillet 1940) ou de Cour de Justice ( article 9 de la loi du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat ), une juridiction composée par des politiques et des juristes suivants les périodes étudiées a été chargée d’examiner les délits les plus graves commis par le Chef de l’Etat.

L’existence d’une protection juridictionnelle spécifique pour le Chef de l’Etat est donc ancienne et a plusieurs fondements relevés par la Commission présidée par Pierre Avril dans le « rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République » , remis au cours du mois de décembre 2002.

La première justification – qui ne peut être qu’historique – est que « l’irresponsabilité constitue une survivance du principe de l’inviolabilité de la personne royale, lui-même tiré de ce que « le roi ne peut mal faire » ». La deuxième justification résulterait de ce que « le principe de la séparation des pouvoirs exprime la nécessité de préserver la sphère de compétences de chaque organe de l’État, notamment les juridictions d’un côté et le pouvoir exécutif de l’autre ». Enfin, la troisième justification qui peut être apportée est que « le principe de la continuité, consubstantiel à l’État, implique que celui qui l’incarne soit toujours en mesure de le faire ».

L’existence d’une juridiction spécialisée aurait donc pour but d’éviter « le parasitage judiciaire dans un pays qui donne toute les possibilités procédurales à n'importe quel malveillant d'instrumentaliser la justice pour faire de la politique ou de la nuisance narcissique » (cf. Daniel Soulez Larivière, Commission Jospin, du statut pénal du chef de l'Etat ).

Ces explications n’excluent cependant pas des questionnements sur la composition, les modalités de saisine et de fonctionnement de telles juridictions. La Constitution qui a mis en place la cinquième République prévoyait en effet dans sa rédaction originelle, à son article 68, que : « Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice ». De ce fait, le Président de la République bénéficiait d’une large immunité pour les faits commis dans l’exercice de ses fonctions puisque seul en cas de haute trahison sa responsabilité pouvait être engagée devant la Haute Cour de Justice.

Le régime de responsabilité du Chef de l’Etat était plus ambigu s’agissant des faits commis par le Président de la République en dehors de ses fonctions. Deux lectures de l’article 68 de la Constitution ont en effet donné lieu à des interprétations différentes. Dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 relative au Traité créant la Cour Pénale Internationale, le Conseil constitutionnel a retenu que : « il résulte de l’article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d’une immunité ; qu’au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article ». Amené à préciser sa décision dans un communiqué du 10 octobre 2000, le Conseil constitutionnel indique que le Président est en fait responsable pour haute trahison pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions et peut ainsi être mis en cause devant la Haute Cour de justice.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a opté pour une interprétation différente puisqu’elle retient dans sonarrêt Breisacher du 10 octobre 2001, n° 01-84922 que : « la Haute Cour de justice n’étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l’exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l’action publique étant alors suspendue ». En d’autres termes, le Président de la République bénéficierait d’une immunité à l’égard des juridictions répressives de droit commun pendant l’exercice de son mandat (ce qui impliquerait la suspension des poursuites du ministère publique et l’idée d’un moratoire) et la Haute Cour de justice ne serait compétente que pour les actes de haute trahison. Cette différence d’interprétation a conduit à réformer le statut de responsabilité pénale du Chef de l’Etat.

Suite au rapport dit Avril susmentionné, la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution a transformé le régime de responsabilité du Président de la République. L’article 67 de la Constitution dispose désormais que : « Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. ./. Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. ./. Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions » .

En d’autres termes, depuis la loi constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 , le Président de la République peut être poursuivi dans les hypothèses de crime de guerre, de crime contre l’humanité, de crime génocide et de torture pour lesquelles la Cour Pénale Internationale est compétente (article 53-2 de la Constitution) dans la mesure ou la qualité de Chef de l’Etat ou de gouvernement n’est pas exonératoire (article 27 du statut de la Cour Pénale Internationale). De plus, il est responsable lorsqu’en vertu de l’article 68 de la Constitution, la Haute Cour est compétente c’est-à-dire « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Dans un deuxième temps , il est observable que jusqu’à présent, l’ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de Justice fixait les règles de procédure applicables à la destitution du Président de la République ; règles qui sont désormais régies par la loi organique n°2014-1392 du 24 novembre 2014.

En effet, la Constitution prévoit seulement que : « La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours. ./. La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat. ./.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution ».

 

Concernant la mise en accusation du Chef de l’Etat :

La loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 vient tout d’abord encadrer l’initiative de la procédure de destitution puisque « la proposition de réunir la Haute Cour (…) doit être signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée devant laquelle elle est déposée ».

Elle met ensuite en place des filtres dans la mesure où – la recevabilité de la proposition va être vérifiée par le Bureau de l’assemblée devant laquelle elle a été déposée ; cette recevabilité étant dépendant de sa communication au président de l'assemblée et au Président de la République ainsi qu'au Premier ministre et à sa justification par l’existence d’un manquement aux devoirs du Chef de l’Etat manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. Elle devra après être adoptée par la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles.

La procédure est de plus encadrée dans des délais.

 

Enfin , seul un vote positif de la mise en accusation par les deux assemblées entraîne la saisine de la Haute Cour (article 4 de la loi organique) ce qui garantit un consensus mais présente l’inconvénient de permettre un blocage de la procédure par une assemblée partisane au Chef de l’Etat.

Concernant la Haute Cour :

Ce vote entraine la réunion de la Haute Cour dont le Bureau est composé de vingt-deux membres – et non plus vingt-quatre - désignés pour moitié par de membres de l'Assemblée nationale et pour moitié de membre du Sénat.

A côté de ce bureau, la commission est constituée de six vice-présidents de l'Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat. On constate donc une égalité entre les deux chambres parlementaires.

A cela, nous pouvons rappeler que comme sous l’égide de l’ancienne ordonnance, cette commission a un rôle d’information et bénéficie pour ce faire de pouvoirs d’enquête. Elle rédige un rapport public transmis aux membres de la Haute Cour, au Président de la République et au Premier ministre. Il est également prévu que les débats de la Haute Cour sont publics.

Enfin, dans un dernier temps, un contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel est obligatoire s’agissant des lois organiques (article 61 de la Constitution). Or, dans ce cadre, le Conseil constitutionnel a dans sa décision n° 2014 703 DC du 19 novembre 2014 déclaré contraire à la Constitution plusieurs dispositions de la loi commentée : le fait qu'un député ou un sénateur ne peut être signataire de plus d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour durant un même mandat présidentiel, la participation du Premier ministre aux débats devant la Haute Cour, le fait que le Bureau de la Haute Cour fixe les conditions dans lesquels s’exerce le temps de parole ou encore le fait de limiter le temps des débats devant la Haute Cour.

A cela s’ajoute de plus des réserves d’interprétation dont la plus importante : le fait que « les débats devant la Haute Cour (…) ne sauraient être ouverts sans que la Haute Cour ait, au préalable, adopté son règlement ». Ce qui signifie, en d’autres termes, qu’on doit encore attendre des mesures d’application pour que la réforme constitutionnelle de 2007 s’applique !

VM

Faculté de Droit