Date limite le jeudi 31 juil. 2025
1. Argumentaire de la journée d’étude
La responsabilité élargie des producteurs (REP) a fêté en 2022 ses 30 ans d’existence en France. D’abord simplement qualifiée de « solution » pour la gestion et le financement de la gestion des déchets d’emballages ménagers, avec la création d’Eco-emballages en 1992, l’outil a acquis un nom, et une légitimité aux yeux des pouvoirs publics, à partir des années 2000.
Alors que la REP continue d’être scrutée en France, en vue d’en améliorer l’efficacité et d’en rehausser les ambitions (Paugam et al, 2024), et que le modèle est promu à l’international, cette journée d’étude propose de revenir sur cet instrument d’action publique qui continue d’exister dans une certaine discrétion.
Fondée sur la mise en commun de ressources financières (les éco-contributions) collectées lors de la mise en vente de produits neufs et le reversement de ces ressources aux collectivités et opérateurs de gestion des déchets, la REP couvre en 2025 une vingtaine de filières de produits de consommation courante (emballages, textiles, meubles, produits électroniques…) mais également de produits à usages professionnels (emballages professionnels, matériaux et produits du bâtiment…). La loi AGEC du 10 février 2020 a donné un coup d’accélération à la diffusion de cet instrument dans divers secteurs, tout en tentant de le réformer en vue de le faire contribuer à une économie circulaire plus complète, allant au-delà du seul recyclage.
Bien que non spécifique à la France, la REP occupe dans notre pays une place particulière, du fait du rôle pionnier des acteurs français dans l’élaboration du modèle des éco-organismes, mais également au regard de la place importante occupée par l’instrument dans les politiques publiques relatives à la gestion des déchets. La France, « championne des REP » d’après l’ancienne secrétaire d’Etat à l’économie circulaire Brune Poirson, consacre près de 4 milliards d’euros à la REP, sur une vingtaine de milliards pour l’ensemble des dépenses relatives à l’économie circulaire (Paugam et al, 2024).
Si de nombreuses expertises et rapports institutionnels ont pu être produits sur la REP en France (Cottel & Chevrolier, 2013 ; Vernier, 2017 ; Paugam et al, 2024), la littérature académique est moins prolifique à son égard. Ponctuellement, des travaux ont pu s’intéresser à certains aspects de l’instrument. Le périmètre disciplinaire de ces travaux, large, va du droit aux sciences de gestion, en passant par l’économie, la géographie ou les sciences politiques. Cette diversité témoigne de la complexité et de la richesse de cet objet, indiquant que seule l’appréhension de ses dimensions institutionnelles, économiques, techniques, organisationnelles, politiques et juridiques peut parvenir à créer une vue d’ensemble de l’instrument. Cet état des lieux synthétique semble être nécessaire, alors que l’économie circulaire et la REP connaissent un regain d’intérêt au niveau national et international, pour que de futurs travaux prennent appui sur l’existant.
Dans ce cadre, la journée d’étude organisée par le projet REP’ROGRAM, lauréat de l’appel à projet TEES de l’ADEME, invite les chercheur-ses ayant travaillé par le passé ou travaillant actuellement sur la REP à proposer de revenir sur leurs travaux et résultats, afin de consolider un corpus de connaissances scientifiques et de tracer des pistes de recherches futures.
Les communications de cette journée d’étude pourront être proposés pour publication commune sous la forme d’un numéro spécial de revue ou d’ouvrage collectif.
2. Axes de travail
Trois axes de travail sont suggérés.
- La REP : l’instrument et ses acteurs à travers leurs évolutions.
De la préparation des textes législatifs et réglementaires à l’activité concrète des éco-organismes, en passant par la production d’expertises ou la création et la participation à des mobilisations collectives, les acteurs publics et privés concernés par la REP sont nombreux. Certains ont historiquement contribué à créer la REP, en faisant valoir certaines solutions à certains problèmes d’action publique, en particulier autour de la question de la collecte et de la valorisation matière des déchets, ainsi que de la soutenabilité fiscale et budgétaire des politiques publiques en la matière. D’autres interviennent dans un second temps, à partir de l’existant, pour chercher à prolonger, étendre, remettre en cause ou réformer l’instrument. Ils forment la « circonscription instrumentale » (Voss & Simons, 2014) de l’instrument dans la mesure où ils sont liés par leurs intérêts économiques et stratégiques à ce dernier, tout en partageant les cadres cognitifs qu’il déploie. Ces cadres partenariaux sont aujourd’hui en forte évolution du fait du développement de nouvelles filières REP consécutifs à la loi AGEC et surtout de l’introduction d’obligations de réemploi.
Cet axe de la journée d’étude vise à documenter et questionner les acteurs qui accompagnent la vie de la REP en France. Il accueillera des communications revenant sur l’origine normative des filières REP, leurs trajectoires, mais également sur les réseaux ou les structures de coalitions formées autour de la REP et de ses mutations.
- L’action publique en question
La REP est une forme particulière d’organisation et de conduite de l’action publique, ayant pour particularité de procéder à une forme de délégation incomplète de cette dernière, puisqu’elle prévoit l’existence de structures privées aux statuts ambigus (Parola, 2017) charger d’administrer un transfert de ressources entre différents marchés. L’outil de l’agrément, acte administratif permettant d’encadrer et de contrôler l’activité de ces éco-organismes, est le principal levier d’action de la puissance publique. Complexifié et questionné au fil des années, cet agrément est traversé par de nombreux enjeux, comme celui de la gouvernance des éco-organismes, de leur sanction en cas de non atteinte d’objectifs de performance ou de leur liberté contractuelle en « aval » des filières. Les réponses apportées à ces enjeux se sont stabilisées, formant ainsi un ensemble de règles écrites et implicites qui participent à donner à la REP une forme de cohérence, à travers le temps mais aussi à travers les filières. Pour autant, cette cohérence est en partie remise en cause avec l’introduction de modalités d’actions nouvelles cherchant à être plus ambitieux à la fois sur le recyclage et sur le réemploi.
En ce sens, la REP peut être appréhendée comme un instrument d’action publique, « dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (Lascoumes et Le Galès, 2004, p. 13).
Le deuxième axe de la journée d’étude accueillera des contributions visant à questionner la place de la REP dans la boîte à outil – juridique, sociologique, politique – de l’État. Plus particulièrement, on s’interrogera sur les référentiels d’action publique sur lesquels la REP s’appuie, sur les relations qu’elle entretien avec d’autres modes d’actions et instruments (police administrative, planification, contrat etc…), ainsi que sur les conditions de son évolution (notamment dans un contexte concurrentiel entre les acteurs).
- Modèles et contre-modèles
La REP « à la française » est souvent présentée comme un modèle à part, par la Commission Européenne (Monier et al, 2014), ou l’OCDE (OCDE, 2017). Cette place particulière ne doit pas occulter les multiples critiques adressées à ce modèle depuis sa création au système français. Ainsi, les systèmes individuels – consistant à laisser un metteur sur le marché de produits organiser, seul, la reprise et la valorisation des déchets générés par ses produits - ont souvent été le terrain de contestations du « tout éco-organisme », donnant lieu à des contre-propositions organisationnelles et institutionnelles. Si la majeure partie de ces contre-modèles n’a pas survécu, il est intéressant d’étudier ces « pistes non explorées » en ce qu’elles contribuent à expliquer, par contraste, le succès du modèle dominant.
Aussi, le particularisme de la REP française peut être questionné, dans la mesure où sa construction et ses transformations se sont également faites sous l’effet des évolutions du droit de l’Union européenne et d’un activisme institutionnel incarné par l’OCDE.
Ce troisième axe accueillera par conséquent des communications qui éclairent la manière dont le modèle de la REP française s’est construit, en continuité et en opposition à certains modèles étrangers (on pense au DSD allemand, mais également aux systèmes de crédits de recyclage en Grande Bretagne) ou même promus sur le territoire français. Il pourra également accueillir des contributions visant à formaliser et conceptualiser la REP française, montrant ses principales caractéristiques et la manière dont elles peuvent conduire à parler d’un « modèle » de gouvernance de la matière à part.
3. Modalités de participation et organisation
Pour participer à la journée d’étude, les personnes intéressées peuvent envoyer une proposition de communication d’environ une page d’ici le 31 juillet 2025. Elles seront informées de l’acceptation ou du refus de leur proposition quelques jours après cette échéance.
En vue d’une éventuelle mise en commun de communications sous la forme d’une publication collective, les participant-es pourront également choisir d’envoyer un texte complet à l’issue du colloque.
La journée d’étude se déroulera au Mans, dans le Lieu totem de Rudologie de l’Université du Mans, le 17 octobre 2025.
Les propositions de communications peuvent être envoyées aux membres du comité d’organisation :
vincentjourdain@protonmail.com mathieu.durand@univ-lemans.fr
remy.dufal@univ-lyon3.fr
4. Comité d’organisation
Vincent Jourdain, post-doctorant en sociologie (UMR 6590 ESO), Univ. Le Mans.
Mathieu Durand, professeur des universités en géographie (UMR 6590 ESO), Univ. Le Mans.
Rémy Dufal, maître de conférences en droit public, Institut du droit de l’Environnement (UMR 5600 EVS), Univ. Lyon 3.
5. Bibliographie
Maxime Boul et Rémi Radiguet (2021), Du droit des déchets au droit de l’économie circulaire. Regards sur la loi du 10 février 2020, IFJD, coll. « Colloques & essais », 2021.
Cottel, Jean-Jacques, et Guillaume Chevrolier. 2013. « Rapport d’information déposé par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur la gestion des déchets dans le cadre des filières à responsabilité élargie des producteurs (dites « filières REP ») ». 1347. Assemblée nationale.
Jourdain, Vincent. 2023. « La responsabilité élargie des producteurs, un instrument à usage unique ? : l’institutionnalisation d’un mode de financement de la gestion des déchets ménagers ». Université Grenoble Alpes. https://theses.fr/2023GRALH008.
Lascoumes, Pierre, et Patrick Le Galès, éd. 2004. Gouverner par les instruments. Gouvernances. Paris: Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
Monier, Véronique, Mathieu Hestin, Jérémie Cavé, Ilse Laureysens, Emma Watkins, Hubert Reisinger, et Lucas Porsch. 2014. « Development of Guidance on Extended Producer Responsibility (EPR) ». No 07.0307/2012/63260/ETU/C2. European Commission.
OCDE. 2017. « La responsabilité élargie du producteur: Une mise à jour des lignes directrices pour une gestion efficace des déchets ». OECD. https://doi.org/10.1787/9789264273542-fr.
Parola, Emmanuelle. 2017. « La régulation des éco-organismes pour une meilleure protection de l’environnement. » These de doctorat, Paris 8. https://www.theses.fr/2017PA080119.
Paugam, Anne, Maroussia Outters-Perehinec, Philippe Follenfant, Thierry De Mazancourt, Gabriel Mikowski, Michel Pascal, Axel Thonier, et Ghesquières Cédric. 2024. « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur ». N° 2024-M-007-04 / N° 015523-01 / N° 01552301. Inspection générale des finances / Inspection générale de l’environnement et du développement durable / Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies.
Vernier, Jacques. 2018. « Les filières REP - Responsabilité élargie des producteurs en matière de prévention et de gestion des déchets générés par leurs produits ». Rapport public. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/184000146/index.shtml.
Voß, Jan-Peter, et Arno Simons. 2014. « Instrument constituencies and the supply side of policy innovation: the social life of emissions trading ». Environmental Politics 23 (5): 735‑54. https://doi.org/10.1080/09644016.2014.923625.