L’acculturation du droit français dans les anciens territoires des Amériques (Québec, Louisiane, Haïti)

Appel à communication

L’acculturation du droit français dans les anciens territoires des Amériques (Québec, Louisiane, Haïti)

Colloque, Grenoble, 2-3 décembre 2025

Date limite le mercredi 01 oct. 2025

L’existence de codes civils, et parfois de traditions civilistes, dans les sociétés postcoloniales en terres d’Amérique, est plus que symbolique sur les plans politique, culturel et même linguistique. La fin du XVIIIe siècle au Québec, et le début du XIXe siècle en Haïti et en Louisiane, marquent une période de flottement entre, d’une part, la tradition civiliste (Québec) ou la codification (Haïti, Louisiane) et, d’autre part, l’influence du droit de common law anglais (Québec) ou américain (Louisiane). Le droit civil français est globalement envisagé de manière favorable pour régir la société dans les anciennes colonies d’outre-Atlantique. C’est aussi, dans une certaine mesure, le droit public français qui sert de modèle (à travers l’adoption de différentes constitutions en Haïti) ou d’inspiration sur afin d’éclairer des questions précises (par exemple, la distinction entre citoyenneté et nationalité en Louisiane et en Haïti). Le Québec connaît un rapport similaire aux différentes sources de droit après 1866, le droit civil résistant à la pénétration du common law, en raison de l’influence francophone, mais aussi sous l’effet d’un « droit public » colonial anglais, de nature écrite. L’adoption/adaptation du droit français dans les anciens territoires coloniaux des Amériques se présente dans des contextes historiques, géopolitiques et culturels bien différents, dont il faut rappeler les grandes lignes avant d’envisager des modes de comparaison entre les différents droits postcoloniaux en construction au XIXe siècle en Haïti, en Louisiane et au Québec.

L’évolution récente des droits louisianais et québécois les a rendus à la fois moins français qu’ils ne l’ont été et plus « européens ». À défaut de disparaître, l’opposition des grands systèmes juridiques semble avoir vécu. Depuis la décolonisation, la fin de la Guerre froide et l’accélération de la mondialisation économique et financière, l’on vit à l’ère d’un « marché du droit » sur lequel les États peuvent choisir les matériaux qui conviennent à leur ordre juridique, comme le confirme l’existence de droits mixtes en Afrique du Sud, en Namibie ou au Sri-Lanka. Toute entité politique peut compléter son droit par des éléments issus de différents systèmes, mais les expériences d’Haïti, de la Louisiane et du Québec montrent, à travers l’histoire des codes et des traditions civilistes, mais aussi des jurisprudences, des doctrines ou encore des coutumes (Haïti), qu’un droit homogène peut se construire dans l’articulation de plusieurs traditions juridiques héritées des puissances coloniales. Une approche tocquevillienne permet de dire que l’essence libérale a contribué à faire vivre la tradition civiliste comme un héritage culturel, freinant les velléités d’assimilation intégrale au common law américain. C’est pourquoi il est juste de parler, non d’un système civiliste, mais plutôt d’un modèle civiliste en Louisiane ou au Québec. Le libéralisme politique américain apparaît comme porteur des traditions juridiques européennes à concilier avec les règles et l’esprit du common law. C’est autour des codes civils adoptés par les sociétés postcoloniales d’Amérique au XIXe siècle que se (re)dessinent les méandres d’une culture juridique réunissant les héritages de deux grands systèmes de droit, à travers les aléas d’une histoire coloniale devenue mondiale.

À Saint-Domingue, le 18 novembre 1803, la défaite française à la bataille de Vertières consacre la victoire définitive de l’armée indigène, au profit de la première indépendance d’une colonie française, proclamée solennellement aux Gonaïves par Dessalines, général en chef, le 1er janvier 1804. L’événement historique marque officiellement le passage du droit colonial français au droit national haïtien, à construire dans le cadre d’un nouvel État. L’acte de l’Indépendance, rédigé en français par Boisrond-Tonnerre dans l’émotion de la victoire et les ressentiments contre le système esclavagiste, vaut déclaration de constitution. Bien que différent d’une constitution, ce premier acte juridique fait naître un « droit intermédiaire ».

L’ampleur quantitative et qualitative des textes (codes, actes, lois, décrets-lois, décrets) est l’expression d’une production intensive de règles de droit pour régir l’organisation du pays naissant et les rapports sociaux. Par simple coïncidence, l’année 1804 de l’indépendance d’Haïti correspond à celle de la publication du Code civil des Français. Or, la proximité des deux événements prépare la voie à l’adaptation locale du Code Napoléon, dans la période précédant la publication du Code civil haïtien en 1826. Les errements du droit intermédiaire (1804-1826) reflètent les tâtonnements des pères fondateurs à la recherche du meilleur mode d’organisation sociale possible. Dans cette double décennie, les nouveaux dirigeants ne peuvent se couper totalement du droit colonial et des structures économiques hérités de l’ancienne métropole. À l’image de l’ancienne France, mais pour des raisons bien différentes, Haïti est caractérisé par un droit à la fois fragmenté et territorialisé, à l’image de la société. Ainsi, la mort de Dessalines en 1806 fait pressentir la nécessité de codifier le droit afin d’en assurer l’unité et la pérennité. Le décalage entre le discours nationaliste et la réalité haïtienne après l’indépendance se reflète dans un droit à double vitesse, écartelé entre des tendances conservatrices et des aspirations novatrices.

La tendance conservatrice se manifeste dans tous les domaines du droit haïtien, en particulier dans les finances publiques. Les lois nationales, au lendemain de l’indépendance, reproduisent souvent, en les modifiant, l’ancien droit colonial (législation royale et règlements des gouverneurs locaux). Ainsi, le droit de la famille (mariage, divorce), les impôts, droits et taxes (enregistrement, patente, impôt locatif), reprennent le modèle français. L’administration et les finances conservent la fonction d’intendant, tout en réduisant son autorité et sa fonction à celle d’un agent. L’organisation de la justice s’inspire également du même modèle. Au lendemain de l’indépendance, le jeune État, redoutant le retour des Français, cherche à consolider les acquis, tant dans la rédaction de l’Acte d’Indépendance que par les lois nouvelles inspirées des idéaux révolutionnaires. Cette tendance réformatrice s’affirme à travers une volonté de révolutionner le droit, surtout dans le droit des étrangers, le droit de propriété immobilière et le droit pénal militaire. Mais l’activité normative s’est limitée jusque-là à la production de règles éparses, sans projet de codification, hormis pour maintenir la discipline des troupes. En effet, le premier code haïtien est le Code pénal militaire, élaboré et promulgué le 26 mai 1805 par le Conseil privé de Dessalines, et appliqué pour imposer la discipline à la première institution du nouvel État. Le 30 mai 1805, l’empereur fait également promulguer une loi sur l’organisation des conseils spéciaux militaires, pour renforcer la structure de l’armée et l’application du Code, remplacé en 1807 par celui d’Henry Christophe dans le royaume du Nord. Cette tendance réformatrice se maintient dans le nouvel État jusqu’à l’assassinat de Dessalines au Pont Rouge, le 17 octobre 1806, qui provoque un schisme entre le Nord et le Sud et donne un coup d’arrêt à la construction du droit haïtien. Les nouvelles lois ne s’appliquent plus sur l’ensemble du territoire national, car elles ont une assise géographique.

On assiste alors à la naissance d’un droit fragmenté et territorialisé après le schisme, ce qui entraîne une division dans la compétence législative, et partant, dans l’application du droit sur le territoire. La fragmentation du droit concerne surtout le droit constitutionnel, le droit de la famille et le droit de propriété. D’un côté, le Sud et l’Ouest du pays, avec des tendances plus ou moins libérales, se regroupent pour former une république, avec Alexandre Pétion, à Port-au-Prince. Celui-ci prend des lois afin de distribuer des terres aux anciens combattants pour la liberté. D’origine mulâtre et plus conciliant avec la France, le président Pétion est disposé à accueillir le droit nouveau. Dès 1811, se manifeste un certain intérêt pour le Code Napoléon dans le Sud, et plus particulièrement aux Cayes. De l’autre côté, le Nord prend la forme d’une monarchie avec Henry Christophe au Cap-Haïtien, qui défend la grande propriété et le domaine de l’État. Le royaume du Nord, plus hostile à l’ancienne métropole, renforce la structure militaire et modifie en 1807 le Code pénal militaire. Christophe adopte timidement les dispositions du Code civil français en droit de la famille, dont il supprime le divorce au nom du catholicisme. Le gouvernement de Jean-Pierre Boyer, qui succède à celui de Christophe dans le Nord et à celui de Pétion dans le Sud, met fin au schisme du pays sous le nom de République d’Haïti et réunifie les deux parties de l’île en 1821. La pacification et la réunification font renaître le besoin d’harmonisation du droit en Haïti.

Le Code civil haïtien est essentiellement français dans son contenu, embrassent, dans un ordre logique, les grands axes du Code Napoléon, à travers les principes généraux (modification et non-rétroactivité des lois), le droit des personnes et de la famille, le droit des successions et des biens, et le droit des obligations, avec certaines modifications inspirées des mœurs et usages haïtiens. Le Code civil, comme les autres codes, est quasiment imposé par la volonté d’un dirigeant contre les travaux des rédacteurs de la commission, alors que l’éventualité de la réception des codes français était jugée inopportune par les auteurs du Code Henry en 1812. Les modalités d’adoption du nouveau Code sont symptomatiques d’un passage rapide du nationalisme au mimétisme juridique, dans un contexte de reconnaissance internationale d’Haïti. Si, dans la pratique, l’application du Code civil de 1825 ne se fait pas sans résistances, sa structure continue de régir l’ordre social haïtien actuel. En 1826, l’adoption du Code civil haïtien marque l’arrêt des discussions en cours au Parlement sur l’élaboration d’une mouture nationale du droit civil. Haïti est dès lors le premier État post-colonial, avant ceux du continent sud-américain, à intégrer la « transposition » des codes napoléoniens au nom de la nécessité politique et économique. La République dominicaine adopte même le Code d’instruction criminelle haïtien, à la suite de l’occupation de l’Est sous la présidence Boyer.

La composition même et l’édiction du droit, dans le siècle de l’Exégèse, montrent que la loi devient en quelque sorte la raison écrite de l’État. Mais la législation n’est pas la seule forme du droit, car il subsiste aussi des coutumes. Or, la réception des codes napoléoniens en Haïti suppose aussi celle du positivisme juridique. Au lendemain de l’indépendance, le système judiciaire français sert de modèle pour l’organisation de la justice en Haïti. Cette transposition n’est pas sans conséquence, car elle revient en quelque sorte à « homologuer » le même type de rapport à la coutume. Dans l’esprit du positivisme légaliste, les coutumes ne peuvent plus faire autorité. Ainsi, l’article 1176 du Code civil haïtien, par reprise de l’article 1390 du Code civil français, dispose que « Les époux ne peuvent, par une disposition générale, se soumettre à aucune des anciennes lois ou coutumes qui sont abrogées par le présent Code »[1], ce qui donne théoriquement un coup d’arrêt à leur invocation. Dans un esprit similaire, l’article 2047 prescrit que « Le présent Code sera exécuté dans toute la République à dater du 1er mai 1826, an 23e : en conséquence, tous actes, lois, coutumes, usages et règlements relatifs aux matières civiles sur lesquelles il est statué par ledit Code, seront abrogés. ». Cet article s’inscrit dans le prolongement de la loi française du 30 ventôse an XII (21 mars 1804), dont l’article 7 dispose que « les coutumes cessent d’avoir force de loi ». Seul le besoin d’interprétation des contrats permet de faire référence aux usages en cours dans le lieu de passation de l’acte. Néanmoins, à côté des dispositions concernant les contrats de bail et autorisant le recours aux usages afin d’interpréter les clauses qui y sont stipulées[2], le terme d’usage s’entend généralement dans le Code civil haïtien au sens d’« utilisation », ainsi qu’on le trouve dans l’expression particulière « droit d’usage et d’habitation ». Depuis l’indépendance, cet héritage de la codification n’a pas été repensé.

La réception des codes napoléoniens sous Boyer marque ainsi l’intégration en Haïti dans le système juridique romano-civiliste. Par son implantation locale, le droit français vient se greffer sur un système politique répressif, incarné par une administration rudimentaire. Cette réception s’étend à l’île entière lors de la conquête de l’Est. Ainsi, la législation relative à la procédure pénale est aussi une version haïtienne du Code d’instruction criminelle français de 1808, et de ses modifications successives de 1816 et de 1832[3]. Pour comprendre les effets d’hybridation de cette transposition en Haïti, il faut s’interroger sur l’existence (ou l’absence) d’un « moule juridique ». Selon cette perspective, le monisme apparaît indépassable pour réguler la société haïtienne. Or la loi écrite n’est pas la seule forme du droit et on ne peut pas toujours faire disparaître totalement la coutume.

Les expériences de Christophe et de Boyer montrent que tout projet de codification est porteur d’une volonté d’unité politique. Les codes préparés dans cette période, en dépit de leurs particularités, adoptent la même approche sur la place des coutumes, officiellement abrogées mais survivant en réalité à la phase positiviste de construction du droit national.

À la Louisiane, le droit romain jouit d’un certain prestige auprès des magistrats, comme dans d’autres États américains. Lors de la cession du territoire par la France en 1803, le droit colonial en vigueur (français, puis espagnol) compte alors plus de 20 000 textes et de multiples dispositions souvent contradictoires, répartis dans onze codes. Par l’intégration progressive des apports du common law, l’ancienne colonie hérite d’une double culture juridique, ou « bijuridisme », qui rend son droit complexe. Le Code civil de Louisiane (en tenant compte de ses différentes versions de 1808, 1825 et 1870) demeure une ressource pour les juristes locaux. Les réformes successives opérées dans le droit louisianais contribuent à maintenir la volonté de conserver la tradition civiliste et ses principes, afin de rendre le common law compatible avec le Code. À défaut d’importer des pans entiers du système romano-civiliste comme mode de production normative, la Louisiane construit son droit dans un équilibre relatif entre l’héritage juridique franco-espagnol et son identité d’État américain. Il est moins question de système juridique que de modèle juridique, les sources françaises n’étant influentes que dans la mesure où elles sont rendues accessibles par la traduction. C’est à travers les traditions européennes de droit civil et de common law, mais aussi les langues anglaise et française, que la doctrine et la jurisprudence en Louisiane entretiennent une dialectique entre deux modèles juridiques. Le Code civil louisianais apparaît à maints égards comme un « miroir » de la culture juridique européenne[4].

Le premier grand texte adopté par le Territoire d’Orléans (devenu État américain de Louisiane en 1812) est le Code civil de 1808, renommé « Digeste » à la dernière minute pour montrer que, contrairement au Code Napoléon, il ne s’agissait pas d’un nouveau départ mais de la conservation du droit civil existant, ce dernier ne pouvant être abrogé qu’en cas d’incompatibilité avec le Code. Refondu en 1825, le Code de 1808 est très substantiellement révisé en 1870, et régulièrement mis à jour depuis le milieu du XXe siècle. Les Codes de 1808 et de 1825[5] sont officiellement rédigés en français, avec des versions promulguées comprenant une traduction anglaise. Par contre, le Code civil de 1870 est rédigé et publié seulement en anglais, en raison du déclin du bilinguisme local. Mais la Louisiane connaît depuis quelques années des projets de retraduction du Code en français, motivés entre autres par l’intérêt scientifique de l’étude renouvelée du bilinguisme juridique, dans une perspective à la fois internationale et transnationale, qui englobe évidemment le Québec (et qui pourrait s’étendre à Haïti ?).

C’est dans un contexte particulier que la pensée de Portalis prend corps en Louisiane. Héritage de la famille romano-civiliste, le Digeste de Louisiane est proche du droit français dans le contenu et sur la forme, tout en étant imprégné du droit colonial espagnol. Le Code louisianais de 1808, de nature beaucoup plus doctrinale et théorique que le Code Napoléon, contient un grand nombre de définitions, qui sont censées rendre le droit civil plus accessible aux juristes de common law venus s’installer dans l’État. Ce qui est alors remarquable est que même les législateurs s’écartent parfois de leur œuvre, afin d’adopter des solutions inspirées de la doctrine de l’ancien droit français. Le Code louisianais de 1825 fait ainsi l’objet de nombreux amendements inspirés de la lecture des travaux de Domat, Pothier, Toullier et d’autres grands jurisconsultes français. Afin d’anticiper les problèmes d’interprétation linguistique, le législateur de Louisiane décida en 1808 qu’en présence de « toute obscurité ou ambiguïté, faute ou omission, les deux textes [français et anglais] devront être consultés et devront servir mutuellement à l’interprétation l’un par rapport à l’autre », disposition qui ne fut pas reprise lors de la codification de 1825. Dans la pratique, l’applicabilité des deux versions entraîne des confusions en raison de leur disparité. D’abord, la Cour suprême de Louisiane respecte la décision parlementaire l’enjoignant de comparer les deux textes, afin d’appliquer la variante la plus complète. Depuis la codification de 1870, la haute juridiction fait prévaloir la versions française pour les dispositions dont l’origine est  dans le Code de 1825 ou le Digeste de 1808.

Les Codes de 1808 et de 1825 sont conçus dans l’inspiration du modèle tripartite du Code Napoléon. La traduction anglaise du Code est généralement considérée comme médiocre, la Cour suprême estimant que « la définition sur laquelle se fonde la partie anglaise d’un des articles du Code ne prouve rien d’autre que l’ignorance de la personne qui l’a traduit du français ». En décidant qu’en cas de divergence le texte en français doit prévaloir, la Cour suprême de Louisiane abandonne sa jurisprudence de 1817. Sur le fond, les Codes civils de 1808 et de 1825 reprennent la tradition civiliste française en droit des biens, en droit des régimes matrimoniaux, et en grande partie en droit de la preuve. On y retrouve, entre autres, l’antichrèse, la dation en paiement, et l’acte authentique, pourtant assez éloigné de la culture juridique anglo-saxonne. Techniquement, après 1762, la transition du droit colonial français vers le droit colonial espagnol a été facilitée par la proximité historique et conceptuelle des deux droits civils, historiquement très imprégnés de la doctrine romano-canonique, dont la Louisiane connaît d’ailleurs des survivances sur des points précis. Les rédacteurs du Code de 1808 n’ont pas abrogé les fueros, les Siete Partidas et les Recopilaciones espagnols, sauf lorsqu’ils étaient incompatibles avec les nouvelles dispositions, notamment lorsqu’elles étaient inspirées du droit français. Un examen approfondi montre que l’influence castillane reste présente en droit des successions, dans le régime de la communauté des acquêts ou des gains (sociedad de ganancias), ainsi que dans la vente d’immeubles. L’esprit de la cinquième Partida sur le droit des contrats et le droit commercial se ressent par ailleurs dans le Code civil de 1825, à travers la communauté d’acquêts. En droit des successions, les causes d’exhérédation rappellent également celles qui étaient admises dans les Siete Partidas.

Le contexte d’élaboration du Code civil de Louisiane de 1870 et les révisions postérieures reflètent à la fois l’américanisation du droit local et le besoin de conserver la tradition civiliste. L’on passe ainsi d’un universalisme juridique où, surtout jusqu’en 1850, les juges croient à l’unité du droit et cherchent la convergence, à un développement du positivisme, moins en Louisiane que dans le reste des États-Unis, ce qui conduit à la reconnaissance de common laws multiples, et au besoin d’harmonisation. La Louisiane reste plutôt jusnaturaliste, comme l’a bien démontré Olivier Moréteau[6].

Le Code de 1870 reproduit, intégralement ou partiellement, environ 1 800 articles du Code Napoléon. Après la Guerre de Sécession, cette révision vient « purger les démons de l’esclavage » (aboli en 1865), en supprimant les dispositions héritées du Code Noir de 1724 (inspiré pour l’essentiel de l’édit de mars 1685). Dans l’essentiel de ses dispositions, le Code civil de 1870 est le même que celui de 1825, mais il est adopté et promulgué uniquement en anglais, sans traduction française. La jurisprudence continue malgré tout à accorder une place importante à la langue française dans les modes d’interprétation du Code, ce qui est un facteur déterminant dans l’approche terminologique des juristes. Or, le début d’émancipation du droit local par rapport à son modèle d’inspiration français s’explique par l’élément linguistique, le choix de la langue n’étant pas neutre. Alors que les anciens juristes lisaient le français ou l’espagnol, ceux qui arrivent en Louisiane au moment de la conquête de l’Ouest (dans le dernier tiers du XIXe siècle), ou qui ne parlent que l’anglais, se réfèrent spontanément aux traités de common law et aux recueils de jurisprudence en anglais. Depuis lors, les décisions de la Cour suprême de Louisiane s’appuient beaucoup plus sur le common law américain. Même les références  au  Code  ne  sont  plus  systématiques,  tandis  que  les  tribunaux  citent  de  plus  en  plus les « précédents » et la doctrine publiée en anglais. L’expérience historique de la codification d’un droit pluriculturel dans l’ancienne colonie invite à reconsidérer le Code civil de Louisiane comme le vecteur d’un dialogue des cultures juridiques. Le « bijuridisme », incarnant la richesse d’un droit mixte mêlant common law et droit civil, est doublé d’un bilinguisme universitaire, ce qui ouvre des perspectives de réflexion sur les potentialités de ce droit hybride. L’histoire du droit civil à la Louisiane est indissociable d’un mouvement politique et culturel, passé de l’hésitation dans le choix d’un modèle juridique à la dialectique entre common law et droit civil. La traduction d’ouvrages doctrinaux français, notamment ceux de Planiol, a beaucoup contribué à la survie de la tradition civiliste en des temps où la doctrine locale était inexistante, d’où, notamment, la création d’une terminologie civiliste en langue anglaise[7].

Selon les concepts du droit comparé, le système mixte est « un droit dont les institutions émanent de systèmes juridiques différents et résultent de l’interaction de techniques qui appartiennent ou se rattachent à ces systèmes »[8]. En Louisiane, la mixité du droit se ressent surtout en dehors du Code mais aussi dans le Code, à travers un rapport dialogique entre le texte et les juristes. La procédure suivie par les juridictions de Louisiane est également de nature hybride, avec une forte domination du common law. Dès 1805, une loi inspirée du droit espagnol a ainsi simplifié la procédure civile, codifiée ensuite en 1825. Les décisions anciennes de la Cour suprême de Louisiane, réunies et publiées par le juge Martin, rappelaient sensiblement la teneur de la jurisprudence française par un contenu bref et concis, mais sous forme d’opinions individuelles signées par les juges. Dans un premier temps, la jurisprudence s’est fondée presque exclusivement sur les articles du Code de 1808 et sur des opinions doctrinales françaises, notamment de l’ancien droit, alors que les ouvrages juridiques français traduits en anglais étaient extrêmement rares, à l’exception du Traité des obligations de Pothier (traduit par le juge Martin). Dès le milieu du XIXe siècle, les juges de Louisiane citent dans leurs décisions, entre autres, le Story on Abatements et le Edwards on Abatement, même si la doctrine française est encore présente à travers les références à Merlin, Pothier, Toullier, Troplong ou Duranton. Il devient également fréquent de voir les décisions rapportées avec les opinions divergentes et concordantes des juges, alors que l’autorité de la doctrine française décroit lentement. Dans les procès, les mémoires et plaidoiries se réfèrent souvent au common law et cela même à travers une parfaite maîtrise du droit civil par certains avocats. D’importants éléments du common law ont pénétré ainsi le droit louisianais par le biais de la doctrine, selon une approche plus ou moins civiliste. Le droit prétorien a acquis la même autorité que les écrits doctrinaux, mais selon une approche plus civiliste que celle du common law des États voisins. Dans le système américain, une loi écrite n’intéresse vraiment les juristes que dans la mesure où elle a déjà été interprétée par le juge. Mais l’approche des sources de droit est différente en Louisiane, où les juges ne reconnaissent d’autorité qu’à la seule jurisprudence constante (compatible avec le Code civil), à ses commentaires doctrinaux. Dans cette optique, l’opinion majoritaire, concurrente ou dissidente d’un juge s’appuie très souvent sur des références doctrinales, actuelles ou non. Le juge qui rédige une opinion doit convaincre les autres juges de la pertinence de son point de vue, au besoin en usant de l’argument d’autorité.

La doctrine est probablement la source qui reflète le plus les mouvements de fond d’un droit local mixte, en constante évolution. Les travaux du Louisiana State Law Institute, créé en 1938, à l’instar des programmes d’études universitaires, témoignent dans l’ensemble d’une tendance à conserver, voire à développer les ressources de la tradition civiliste. Le conseil du Louisiana State Law Institute a joué également un rôle majeur dans la conservation de la doctrine civiliste par la traduction d’ouvrages de Planiol, Aubry et Rau, Gény ou encore des articles de Jean Carbonnier. Le modèle civiliste de la Louisiane invite par ailleurs à dépasser la vision classique des rôles respectifs du magistrat, de l’avocat et de l’universitaire. L’enseignement local du droit est aussi de nature mixte, le programme de l’Université d’État prévoyant une instruction obligatoire en droit civil et en common law. La richesse de cette formation « bijuridique » explique que les juristes formés au droit louisianais sont tant convoités par les employeurs, dans un contexte de mondialisation du droit et de l’économie.

La publication officielle n’existant qu’en anglais depuis le Code civil de 1870, l’État de Louisiane n’a pas encouragé l’enseignement et l’usage de la langue française chez les juristes. La linguistique reste néanmoins l’une des grandes préoccupations de certains universitaires locaux. Les traités rédigés en français par les juristes au XIXe siècle, et gardés à la bibliothèque de l’Université d’État, sont rarement utilisés. Seuls quelques grands traités de droit civil français sont traduits en anglais, la plupart des juristes délaissant la version originale. Sans la maîtrise préalable du français, il leur est difficile d’utiliser les ouvrages des juristes louisianais francophones du XIXe siècle ou ceux des grands auteurs français non traduits. Cette carence dans la traduction des ouvrages de droit s’ajoute aux facteurs risquant d’affaiblir la tradition civiliste en Louisiane, contrairement à la situation du Québec qui a su mieux préserver la culture juridique française à travers sa langue. En cherchant à former quelques juristes bilingues à Loyola University et à la LSU, la Louisiane essaie de préserver son double modèle, voire à diffuser plus largement sa culture bijuridique comme source d’inspiration (notamment en droit international privé). Le Code civil de Louisiane est non seulement utilisé par des juristes maîtrisant deux cultures juridiques, mais il est également porteur d’un anglais civiliste, une terminologie juridique anglaise qui se distingue de celle du common law. L’« anglais de droit civil » pourrait peut-être fournir les bases d’un langage commun aux juristes d’Europe, universitaires et praticiens compris, héritiers lointains d’un ius commune formé des droits savants médiévaux.

 

Au Québec, si l’on fait abstraction des autochtones peuplant le territoire avant l’arrivée des Européens, les premiers occidentaux à s’implanter sont les Français. Dans leurs rapports juridiques, les colons s’en remettent alors à un droit coutumier, lequel se caractérise dans l’ancien droit par la pluralité des coutumes susceptibles de s’appliquer sur le territoire. Ainsi, la pratique notariale fait état du recours à la coutume de Paris, qui l’emporte rapidement sur les autres[9]. Le droit colonial puise à d’autres sources en matière civile, surtout les grandes ordonnances de l’Ancien Régime, sur la procédure civile (1667), les donations (1731), les testaments (1735), les substitutions fidéicommissaires (1747) ou encore sur les biens de main morte (1749). Le droit canonique et le droit romain sont aussi des sources incontournables dans le Canada français. Cette transposition partielle de l’ancien droit par le biais du droit colonial entraîne une acculturation par le fait des autorités. La « coutume de la prévôté et vicomté de Paris », qui remonte au Xe siècle, a été rédigée une première fois vers 1510, puis réformée en 1580. Elle comprend alors 362 articles répartis en seize titres, qui portent sur les fiefs, les censives et les droits seigneuriaux, ainsi que la communauté de biens entre époux, les donations, les testaments, et, enfin, les successions. La coutume de Paris (comme les coutumes du Vexin, d’Orléans ou de Normandie) est introduite en Nouvelle-France lors de l’arrivée des premiers colons, et mentionnée dès 1627 par la Compagnie des Cent-Associés. Plus tard, l’édit de 1663 créant le Conseil souverain en suggère l’emploi exclusif, néanmoins sans la rendre obligatoire. En mai 1664, l’édit royal sur la Compagnie des Indes occidentales impose, dans son article 33, la coutume de Paris comme unique source de droit dans les colonies, au Canada français mais aussi dans les Antilles et les possessions  de  l’Océan  Indien.  Enregistré  au  Conseil souverain de la Nouvelle-France le 6 juillet 1665, l’édit de Louis XIV interdit le recours aux autres corps de lois. La coutume de Paris devient donc le droit commun de la Nouvelle-France, qui régit la vie de ses habitants. Par cet acte de souveraineté, la coutume de Paris devient donc un « droit commun colonial », dans une période où l’idée émerge en métropole qu’elle serait l’une des principales matrices d’un ius commune de la France (ce que Bourjon s’efforce de théoriser au XVIIIe siècle). Toutes les dispositions de la coutume ne sont toutefois pas appliquées localement. Ainsi, les articles concernant les formes noble et bourgeoise de la tutelle des mineurs restent inappliqués. Par ailleurs, les administrateurs doivent apporter des nuances à la coutume, pour l’adapter aux mœurs et usages locaux. C’est surtout le Conseil souverain qui modifie à plusieurs reprises la coutume de Paris, notamment en 1667, 1678 et 1685. Peu à peu, la coutume de Paris transposée localement se « canadianise » et s’éloigne sur le fond de la version en vigueur dans la métropole.

Après la conquête de 1763, les Britanniques interdisent l’application de la coutume de Paris et imposent le common law, ce qui soulève des contestations. Après moult griefs invoqués par les nouveaux sujets, l’Acte de Québec de 1774 rétablit, dans son article 8, la coutume française en matière de droit civil, mais conserve les lois britanniques pour les affaires criminelles. La coutume de Paris reste en vigueur dans la province du Bas-Canada (créée par l’Acte constitutionnel de 1791), et est maintenue dans l’est du Canada après l’Acte d’Union de 1840. Entretemps, une partie de ses dispositions évolue cependant avec l’introduction de règles du common law, à la demande des anciens sujets de la Couronne britannique. Sur le temps long, la période coloniale fait émerger la dualité de l’ordre juridique québécois, qui reste imprégné par la coutume de Paris, au moins jusqu’en 1866, ce qui est un cas historique de survivance de l’ancien droit coutumier au XIXe siècle[10]. L’adoption du régime anglais de la preuve en matière commerciale en est une bonne illustration. Cette dialectique entre droit civil et common law a suscité de longues et intéressantes controverses entre juristes, magistrats et représentants/dirigeants politiques francophones et anglophones.

De prime abord, la coexistence sur le territoire canadien d’un droit coutumier, hérité de l’ancien droit colonial français, et de règles issues du common law anglais ne peut qu’engendrer la pratique et la formation d’un droit hybride. Alors qu’elle a été abrogée par la France révolutionnaire et napoléonienne, c’est en territoire nord-américain que la coutume de Paris survit le plus longtemps après sa quasi-disparition des sources du droit moderne. Quelques illustrations permettent de montrer les différentes voies d’acculturation du droit civil français dans un contexte postcolonial et de volontés de conservation d’un « pré carré » par les puissances européennes.

La coutume de Paris régit d’abord le droit des fiefs, qui demeure en vigueur au Québec jusqu’à la fin du régime seigneurial en 1854. Certaines de ses dispositions sont néanmoins contestées par des habitants de la vallée du Saint-Laurent, affirmant que leur application freinerait le développement agricole. La critique vise surtout le mécanisme du retrait lignager, qui permet en principe à l’héritier (même lointain du seigneur) de racheter un bien vendu en en remboursant le prix. C’est aussi la question des lods et ventes, ou le droit que perçoit le seigneur sur la vente d’une censive. Pourtant, les sujets britanniques possédant des fiefs semblent s’en accommoder assez bien, car le régime seigneurial concerne essentiellement les terres concédées sous le régime français. Dès 1774, les terres concédées par la Couronne britannique le sont « en franc et commun socage », c’est-à-dire en pleine propriété (alleux).

C’est en droit de la famille que l’on retrouve les dispositions les plus symboliques de la coutume de Paris, dont l’approche des relations entre époux et celle des successions reflètent une vision spécifique de la place des hommes et des femmes dans la société, ainsi que des liens unissant les membres d’une famille (en ligne directe ou en ligne collatérale). Durant le mariage, les biens de la communauté et les propres de l’épouse sont en principe administrés par le mari, même si l’épouse reste seule propriétaire des biens propres. Selon la coutume de Paris, la femme est également protégée au moment du décès de son mari. Au décès du premier conjoint, la communauté est partagée par moitié, entre les héritiers du défunt et le conjoint survivant, qui reçoit également, avant partage, un préciput sous la forme d’une somme d’argent ou d’un ensemble de meubles.

À ce sujet, l’étude des actes notariés canadiens montre que les habitants respectent généralement l’esprit égalitaire de la coutume de Paris, au moins jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Après 1774, le droit coutumier français des successions est altéré par la règle anglaise de la liberté de tester, imposée par les autorités britanniques. Certains actes notariés attestent alors que les sujets français commencent progressivement à transmettre, par différents moyens (dont la donation), le patrimoine foncier de la famille à un seul héritier, lequel peut entretenir ses parents tout en essayant de dédommager ses collatéraux.

Officiellement abrogée et même « oubliée » en France (hormis dans le milieu des juristes), la coutume de Paris continue d’être en usage au Québec, malgré de nouvelles modifications inspirées du common law. L’avènement d’une nouvelle société industrielle au XIXe siècle remet toutefois en question certains aspects hérités de la coutume de Paris, notamment en matière de propriété. Dans un temps propice au libéralisme économique, l’ancien droit coutumier français est parfois perçu comme un frein au progrès économique et à la circulation du capital. Ainsi, en 1857, le procureur général Cartier crée la « commission de codification des lois civiles du Bas-Canada », en vue de les moderniser dans le cadre d’un recueil bilingue. Le Code civil du Québec de 1866 est organisé selon la forme et l’esprit du Code Napoléon, tout en étant inspiré de la coutume de Paris, de décisions du Conseil souverain de la Nouvelle-France, et des ordonnances royales d’avant 1763, de même que des règles du common law anglais et des statuts du Bas-Canada promulgués depuis 1791. Au demeurant, le nouveau code, qui marque la fin de l’application de la coutume de Paris, est en partie inspiré du Code Napoléon (de 1804), imprégné lui-même de certaines règles de la coutume de Paris. Celle-ci, qui a traversé les époques et les continents par diverses formes d’adaptations et de réappropriations, a laissé des traces assez profondes dans les mentalités et la culture québécoises. L’empreinte de la coutume de Paris figure aussi dans le Code civil de 1994. Encore aujourd’hui, la dualité du système juridique québécois voit cohabiter le droit anglais en matière criminelle avec le droit civil hérité de la Nouvelle-France.

Si la tradition civiliste domine au Québec, il demeure que la culture juridique locale garde sa mixité[11]. Dans la manière de concevoir les sources du droit, la relation entre le Code et la jurisprudence est à cet égard assez révélatrice. Le caractère hybride du droit québécois s’explique aussi par l’histoire des institutions juridictionnelles et la place centrale du juge dans un système inspiré du common law. Ce qui est présenté parfois comme une tendance à la « décodification » n’a pas la même signification d’un continent à l’autre. Alors qu’en France, la décodification caractérise en partie le droit commercial et le droit pénal des dernières décennies, dans le Québec de tradition civiliste, cette évolution des sources du droit prend un sens particulier, dès lors que le Code tend à être relégué au second plan par les juristes.

L’intérêt plus récent est porté sur une autre dynamique juridique, celle des droits autochtones en contexte colonial ou même, dans d’autres juridictions du Commonwealth, sur un droit autochtone traversant les âges depuis le « Contact ». Il y a matière à réflexion sur la superposition (et l’imbrication) des deux ordres normatifs ou juridiques, européen et autochtone, notamment à travers la question de la contrebande au temps de la Nouvelle-France et des Treize colonies (surtout New York). Certains travaux ont bien montré comment Français et Anglais ont abordé différemment le problème de la souveraineté et de l’occupation du territoire nord-américain (ceux d’Allan Greer, notamment). L’utilisation du droit civil français dans les communautés amérindiennes est aussi un beau sujet d’étude (la tutelle des mineurs chez les Abénaquis d’Odanak au XIXe siècle[12]. Il y aurait également un axe de recherche intéressant, au-delà du cas du Québec après 1763, qui est celui des changements de souveraineté, notamment des îles, et de la question du respect des droits acquis, et même parfois du maintien partiel du droit de l’ancienne puissance (la seule question du droit d’aubaine à la Grenade et à Tobago mériterait par exemple un approfondissement).

 

 

INDICATIONS SUR LES AXES THÉMATIQUES DU COLLOQUE (éléments non exhaustifs)

 

I. Le droit français est-il perçu comme une boîte à outils techniques ou comme le vecteur d’un système de valeurs ?

L’on peut compléter le recours à la notion d’acculturation par la notion missionnaire d’inculturation (insertion du message chrétien dans une culture donnée) : il peut y avoir une influence des valeurs contenues dans le droit français tout en en modifiant la forme.

  • Il peut s’agir de prendre le contrepied du droit français, qui sert de contre-modèle.
  • Le droit français peut aussi renforcer une dynamique
  • Il y a toujours la problématique de la forme politique (Empire colonial, Fédération ou État), qui peut peser sur la nature de l’hybridation et sur son

 

 

II.  Une codification conservatrice et libérale dans les sociétés postcoloniales : des codes civils dans leur « ordre naturel »

L’adoption apparente du droit français moderne dans le Code civil d’Haïti de 1825 :

  • Le besoin d’unification d’un droit fragmenté après l’Indépendance.
  • La reproduction de fait du Code Napoléon et l’abrogation officielle de la
  • La résistance au Code : les coutumes haïtiennes dépositaires d’un ordre

 

L’inspiration franco-espagnole des Codes civils de Louisiane au XIXe  siècle :

  • Le besoin de réappropriation du droit civil après l’héritage colonial d’un droit
  • L’empreinte romaniste des Codes civils de 1808 et de
  • Le Code civil de 1870 et la fin du bilinguisme
  • L’émergence d’un modèle d’interprétation civiliste du common law.

 

La préservation réaliste du droit français dans le Code civil du Québec de 1866 :

  • L’empreinte de la coutume de Paris antérieure au Code : un rapport original au droit coutumier écrit et à la doctrine de l’ancien
  • Une approche plutôt conservatrice en droit de la famille ?
  • Une approche plus libérale en droit des contrats et en matière de propriété ?

 

 

III.  L’héritage d’une doctrine savante en terres d’Amérique et l’acculturation de concepts étrangers aux traditions civilistes

Les modes de réappropriation de la doctrine civiliste de l’ancien droit français :

  • Une influence portée par la culture juridique des codificateurs en
  • Une influence liée à la culture des juges et à l’apport doctrinal de la jurisprudence au Québec.
  • La recherche du « vrai supplément de la législation » en Louisiane et au Québec (Renvoi des Codes civils louisianais à l’équité et au droit naturel, renvoi du Code civil québécois à l’équité et aux principes généraux du droit, expression d’une forme civiliste d’equity en terres de common law ?).

L’acculturation de concepts étrangers aux traditions civilistes : quelques exemples.

  • Des pratiques coutumières plus ou moins articulables avec le droit civil en Haïti (Le plaçage, entre mariage légitime et concubinage hérité de la période coloniale[13] ? La pratique coutumière de l’indivision, entre arrangements sociaux et Code civil ?).
  • Des éléments de common law intégrés dans le droit civil au Québec et en Louisiane (L’acculturation de la conception française de l’adoption en terres de common law ? La fiducie au Québec : l’intégration réussie d’un concept anglais au droit civil ?).

 

L’acculturation des concepts de nationalité et de citoyenneté :

  • Concernant la nationalité, l’on peut intégrer la question de la défrancisation, en s’inspirant des travaux d’E. Baraton sur la question de savoir comment les Canadiens ont cessé d’être français. Elle se pose de manière différente dans les trois territoires, notamment avec la problématique des déchéances de nationalité française de propriétaires d’esclaves en Louisiane après 1848. La question peut mener à une approche plus globale, au regard de son rôle important quant à la forme progressive de l’hybridation.
  • Il y a aussi la problématique des réactions politico-juridique, pensées avec les outils du droit français ou en lien avec lui (par exemple, la question de la réaction louisianaise à l’abolition de l’esclavage en 1848, concurremment à la montée des tensions débouchant sur la guerre de Sécession).
  • Concernant la nationalité, la question de la réception du Code civil de 1804 se pose : on assiste par exemple à une adaptation du modèle français en Haïti avec le Code de
  • Concernant la citoyenneté et la nationalité, les deux peuvent être étudiées isolément, mais l’absence ou non de la distinction peut être interrogée, en terres de common law.
  • L’articulation entre couleur, citoyenneté (et éventuellement l’esclavage) ne peut qu’être interrogée, concernant la Louisiane et Haïti.

 

 

 

Composition du comité scientifique :

David Gilles, Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

Olivier Moréteau, Professeur de droit comparé à la Louisiana State University (Bâton-Rouge)

Alain Guillaume, Professeur de droit public à l’Université Quisqueya (Haïti) Carine Jallamion Professeur en histoire du droit à l’Université de Montpellier Sylvain Soleil, Professeur en histoire du droit à l’Université de Rennes

Éric Wenzel, Maître de conférences HDR en histoire du droit à l’Université d’Avignon Sébastien Le Gal, Professeur en histoire du droit à l’UGA (directeur du CESICE) Martial Mathieu, Professeur en histoire du droit à l’UGA

Frédéric Charlin, Maître de conférences HDR en histoire du droit à l’UGA

 

CALENDRIER PREVISIONNEL

Les  propositions  de   communication,   qui   se   limiteront   à  5000  signes,   sont   à  envoyer   avant le 1er octobre 2025 à l’adresse : frederic.charlin@univ-grenoble-alpes.fr

Une fois la proposition acceptée par le comité, les textes de communication devront être transmis (au plus tard mi-novembre 2025) aux présidents de séance, dans l’intérêt de la discussion scientifique.

Le colloque aura lieu en mode hybride (présentiel et distanciel) les 2 et 3 décembre 2025, à l’Auditorium de l’IMAG (Université Grenoble Alpes). L’événement fera l’objet d’une captation audiovisuelle.

En vue de la publication des actes à la rentrée 2026, les contributions définitives seront demandées pour le 30 juin 2026.

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages sur Haïti

CORNEVIN (Robert), Haïti, PUF, Que sais-je ?, 1982.

DALBEMAR (Jean-Joseph), Des institutions judiciaires et de la justice de paix en Haïti, Manuel théorique et pratique de la justice de paix en matière civile, judiciaire et extrajudiciaire, tome 1er, 3e éd., Port-au- Prince, Fardin, 1997.

DESPEIGNES-MONTALVO (Jacquelin), Le droit informel haïtien. Approche socio-ethnographique, PUF, 1976.

DÉVOT (Justin), Cours élémentaire d’instruction civique et d’éducation patriotique, Paris, tome 1er, 1894.

FROSTIN (Charles), Histoire de l’autonomisme colon dans la partie française de Saint-Domingue aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse en lettres, Paris, 1972, 2 vol.

Les révoltes blanches à Saint-Domingue aux XVIIe  et XVIIIe  siècles (1975), Presses universitaires de Rennes, 2008.

PAISANT (Gilles) (dir.), De la place de la coutume dans l’ordre juridique haïtien. Bilan et perspectives à la lumière du droit comparé, actes du colloque des 29 et 30 novembre 2001, PUG, 2002.

PIERRE (Luc-Joseph), Haïti, les origines du chaos, H. Deschamps, 1997. POUJOL (Alexandre), Code de commerce d’Haïti, Pédone, 1933.

VIEUX (Serge-Henri), Le plaçage. Droit coutumier et famille en Haïti, Publisud, 1987.

 

Ouvrages sur le Québec

ANTIER (Louis), La survivance de la seconde coutume de Paris. Le droit civil du Bas-Canada (thèse en droit, Paris), Rouen, 1923.

ATIAS (Christian), Savoir des juges et savoir des juristes : mes premiers regards sur la culture juridique québécoise, Montréal, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Quebec Research Centre of Private & Comparative Law, 1990.

BAUDOUIN (Louis), Les aspects généraux du droit privé dans la province de Québec (Droit civil, droit commercial, procédure civile), Dalloz, 1967.

BORROWS (John), Les traditions juridiques autochtones au Canada, Rapport pour la Commission du droit du Canada, Ottawa, 2006.

BRISSON (Jean-Maurice), La formation d’un droit mixte : l’évolution de la procédure civile de 1774 à 1867, Montréal, Thémis, 1986.

GILLES (David), Essais d’histoire du droit. De la Nouvelle-France à la Province de Québec, Éditions Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke, 2014.

LACOURSIÈRE (Jacques), Histoire populaire du Québec, tome 1er, Des origines à 1791, Sillery, Septentrion, 1995.

MARIN (Armand), L’honorable Pierre-Basile Mignault, Montréal, Fides, 1943

YOUNG (Brian), The Politics of Codification, The Lower Canadian Civil Code of 1866, Toronto, The Osgoode Society for Canadian Legal History, 1994.

 

Ouvrages sur la Louisiane

DARGO (George), Jefferson’s Louisiana, Politics and the Clash of Legal Traditions, Harvard University Press, 1975, reed. Lawbook Exchange, 2009.

GAYARRÉ (Charles), Histoire de la Louisiane, Nouvelle-Orléans, 2 vol., 1846-1847.

GIRAUD (Marcel), Histoire de la Louisiane française, 1953-1974, rééd. L’Harmattan, 2012, 5 vol. HATCHER (William B.), Edward Livingston. Jeffersonian Republican and Jacksonian Democrat, Louisiana State University Press, 1940.

KILBOURNE Jr. (R. Holcombe), A History of the Louisiana civil Code. The Formative Years, 1803-1839, Louisiana State University, 1987.

MARTIN (François-Xavier), The History of Louisiana, from the Earliest Period, 1827, rééd. 1882, réimp. 2000.

MOORE (Elon Howard), The criminal jurisprudence of Edward Livingston, University of Wisconsin, Madison, 1927.

MORÉTEAU (Olivier) (dir.), Le Code civil de Louisiane, édition bilingue, Société de législation comparée, 2017.

YANNOPOULOS (Athanassios N.), The civil codes of Louisiana, West Publishing Company, College & School Division, 1985.

 

[1] Cette disposition rappelle, en substance, la loi française du 30 ventôse an XII, dont l’article 7 dispose de manière expresse que « les coutumes cessent d’avoir force de loi ».

[2] Art. 949.- Ce qui est ambigu s’interprète par ce qui est d’usage dans le pays où le contrat est passé.
Art. 950.- On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées...
Art. 1507.- Si le bail a été fait sans écrit, l’une des parties ne pourra donner congé à l’autre qu’en observant les délais fixés par l’usage des lieux. »

[3] Código processal penal de la República Dominicana, 2002, 27-28. Le rattachement de la République dominicaine au vieux projet napoléonien par ce cordon ombilical juridique ne sera partiellement interrompu qu’en 2002 avec la liquidation du vieux Code d’instruction criminelle hérité de ce processus et l’adoption d’une procédure accusatoire.

[4] V. notre art., « Un « miroir » de la culture juridique européenne : le Code civil de Louisiane » (communication aux journées d’histoire du droit de Clermont-Ferrand, 23-25 mai 2019), La Revue du Centre Michel de L’Hospital, n°24, 2022, La culture juridique européenne, entre mythes et réalités (URL : https://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=913).

[5] Le Code civil de 1825 est initialement préparé en français, le Parlement ordonnant néanmoins qu’il soit publié en anglais et en français.

[6] Olivier MORÉTEAU, « Les codes civils de Louisiane dans leur ordre naturel », Les Cahiers Portalis, 2020/1, n°7, p. 207-223.

[7] Olivier MORÉTEAU, « Deux siècles de traduction juridique en Louisiane : développement et promotion de la terminologie anglaise du droit civil », in Revue internationale de droit comparé,4, 2024, p. 11-40.

[8] Cité par Jacques VANDERLINDEN, « Aux origines de la culture juridique française en Amérique du Nord », Journal of Civil Law Studies, vol. 2, 2009, 1, p. 382.

[9] Jean-Marie AUGUSTIN, « Les premiers contrats de mariage à Montréal de 1648 à 1664, et la Coutume de Paris », Revue juridique Thémis, 1996, n°30, p. 1-19.

[10] La coutume de Paris a fait l’objet de solides études : F. OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomte de Paris, E. Leroux, 3 vol., 1922-1930 (réédité en 1972 en 2 vol. aux éditions Cujas) ; P. LEMERCIER, Les justices seigneuriales de la région parisienne de 1580 à 1789, thèse en droit, Domat-Montchrestien, 1933. Sur son application au Canada, v. notam. L. ANTIER, La survivance de la seconde coutume de Paris. Le droit civil du Bas-Canada (thèse en droit, Paris), Rouen, 1923, et Y. F. ZOLTVANY, « Esquisse de la coutume de Paris », Revue d’Histoire de l’Amérique française, n°25, 1971, p. 365-384. Cette partie de l’histoire de la Nouvelle-France, longtemps peu étudiée, est désormais bien mieux maîtrisée, notamment pour les droits seigneuriaux, grâce à l’étude de Jean-François NIORT, « Aspects juridiques du régime seigneurial en Nouvelle-France », Revue générale de droit, 2002, n°32, p. 443-526.

[11] Maurice TANCELIN, « Comment un droit peut-il être mixte ? », in Frederick PARKER WALTON, Le domaine et l’interprétation du Code civil du Bas-Canada, introduction et traduction par Maurice Tancelin, Toronto, Butterworths, 1980, p. 1-33 ; Jean-Philippe GARNEAU, « Une culture de l’amalgame au prétoire : les avocats de Québec et l’élaboration d’un langage juridique commun au tournant des XVIIIe et XIXe siècles », Canadian Historical Review, 88 (2007), p. 113-148 et André MOREL, « La langue et l’acculturation juridique au Québec depuis 1760 », (1990) 24, Revue juridique Thémis, p. 99-108.

[12] Isabelle BOUCHARD, « La capacité juridique collective des Premières Nations avant la Loi sur les Indiens : l’exemple des Abénakis d’Odanak », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 77, n°1-2, été-automne 2023, p. 5-33.

[13] Yves LASSARD, « Mariage coutumier et filiation en Haïti », Mélanges offerts à Geneviève Pignarre : un droit en perpétuel mouvement, LGDJ-Lextenso, 2018, p. 507-535.


Colloque organisé par le CESICE, département Histoire des droits de l’homme, sous la direction scientifique de Frédéric CHARLIN, Maître de conférences HDR en histoire du droit à l’UGA.