Appel à communication

Le processus constituant chilien : entre échec et relance

Journée d'étude, Pau, 8 et 9 février 2024

Date limite le jeudi 30 nov. 2023

Depuis l'explosion sociale d'octobre 2019, les digues constitutionnelles héritées de la Constitution adoptée sous Augusto Pinochet semblaient avoir sauté au Chili. En effet, 30 ans après le retour de la démocratie, les conditions semblaient enfin réunies pour un changement de Constitution. Le pays a, ainsi, vécu pendant trois ans au rythme des référendums et des travaux d'une assemblée constituante chargée de rédiger le nouveau texte constitutionnel. Aux premiers abords, ce processus constituant se présentait comme l'un des plus démocratiques, égalitaires et inclusifs jamais mis en place dans l'histoire mondiale. Le peuple était associé à chaque étape de la procédure, qu'il s'agisse du lancement de la procédure, de la désignation des membres de l'assemblée constituante, de la rédaction du texte ou encore de la ratification du projet final. La composition de l'assemblée constituante, première assemblée paritaire dans le monde, avait, elle aussi, attiré l'attention de la communauté internationale. La nouvelle Constitution devait être la réponse institutionnelle, le nouveau pacte politique et social proposé au Chili pour tenter de mettre fin aux inégalités sociales béantes dont souffre le pays. Pourtant, malgré tous ses atours démocratiques et sa dimension sociale, le 4 septembre 2022, 62% des Chiliennes et des Chiliens se sont exprimés contre le projet de nouvelle Constitution.

Le choc est brutal. Il tient à l'ampleur d'un rejet non anticipé mais aussi, et surtout, à l'apparente contradiction qu'il manifeste avec le souhait exprimé deux ans plus tôt par ce même peuple qui, à l'occasion du premier référendum constituant dit « d'entrée », s'était prononcé à 78 % en faveur d'un changement de Constitution. Comment expliquer cette volte-face, de « Una Constitución Ahora » à un « Rechazo » ? Et que dire alors de ses suites et d'un processus qui, relancé, a finalement connu l'épilogue des élections du 7 mai 2023 ? Au sein des nouvelles instances chargées de proposer un nouveau projet de Constitution, c'est finalement le Parti républicain, classé à l'extrême -droite de l'échiquier politique chilien, qui devrait présider aux destinées du futur texte constitutionnel.

Après la stupéfaction, place à l'analyse : cette journée d'étude aura pour objectif de revenir sur le processus constituant initié au Chili en octobre 2019 afin de l'examiner sous un double regard à la fois critique et objectif en vue d'analyser les raisons du rejet, les ressorts de sa réactivation et ses probables suites. La mise à distance qu'offre l'éloignement géographique mais aussi le passage du temps permettra sans aucun doute d'apporter de nouvelles réponses ou, tout du moins, d'enrichir celles déjà formulées par la doctrine chilienne. Afin que ces réflexions soient plus fructueuses encore, cette journée aura vocation à multiplier les regards et les expertises. Ainsi, croisera-t-on les analyses entre juristes et politistes mais aussi entre chiliens, espagnols et français, dans un seul objectif : celui de proposer un diagnostic clair et complet sur le processus constituant, conçu comme un processus intrinsèquement juridique et toujours à l'œuvre.

A l'occasion de cette journée d'étude, plusieurs diagnostics devront être opérés.

 

1/ Le contenu du projet de Constitution de 2022 a-t-il généré des difficultés voire des obstacles ?

Deux critiques majeures ont été formulées contre le texte : la consécration de la plurinationalité et la conception du droit de propriété. Il serait, dès lors, intéressant de revenir sur ces dispositions afin de mieux évaluer leur portée. Présentaient-elles des failles juridiques ? Se distinguent-elles de dispositions comparables dans d'autres textes constitutionnels ? Sans doute serait-il aussi utile de rechercher d'autres points de friction dans le texte de 2022 susceptibles d'expliquer le rejet : les dispositions relatives à l'écologie, aux droits sociaux ou à la parité, pourraient ainsi être étudiées afin de déterminer leur rôle dans la formation du rejet.

 

2/ L'organisation et la composition de l'assemblée constituante de 2021-2022 ont-elles constitué un cadre propice à l'élaboration d'un texte répondant aux attentes du peuple ?

A côté des critiques adressées au texte, des critiques ont visé les auteurs du texte. L'analyse de la composition de la Convention, et en particulier de la place et du rôle joué par les indépendants, par les représentants des peuples originaires, ou même par les professeurs de droit constitutionnel, apparaît indispensable. En outre, les modalités d'organisation des travaux et des débats au sein de la Convention constitutionnelle ne doivent pas être oubliées, afin d'évaluer leur impact sur la qualité du texte final ou sur l'image de la Convention auprès de l'opinion publique. Il serait, notamment, utile d'opérer un bilan des procédures de participation citoyenne prévues dans le cadre de ce processus constituant, pour en apprécier l'efficacité et parvenir à déterminer leur part dans la pédagogie citoyenne. Mais au-delà des critiques, il appartient également à la doctrine d'évaluer les éléments structurants de cette Convention et notamment de mesurer l'impact qu'a pu avoir la parité au sein de la Convention et dans la suite du processus constituant.

 

3/ L'encadrement juridique et politique du processus constituant a-t-il constitué un obstacle ?

Au-delà du texte et de son auteur, la question qui se pose est celle de savoir si le contexte juridique et politique était favorable au succès du processus constituant. Les contraintes qui lui ont été imposées n'ont- elles pas été excessives ? Pensons, plus particulièrement, au cadre pré-constituant, notamment à l'impact de la règle du vote à la majorité des 2/3 au sein de la Convention ou celui du délai d'un an fixé à la Convention pour aboutir à un texte. De même, certains auteurs, dont Roberto Gargarella, dénoncent les risques d'une ratification des Constitutions par référendum. Sans doute, faudrait-il revenir de manière critique sur cette technique de ratification. Par ailleurs, une analyse du rôle joué par les partis politiques dans la conduite du processus constituant permettrait de déterminer si l'échec tient aussi à une trop grande politisation du processus ou, au contraire, d'un manque de consensus politique. Enfin, se pose la question du rôle joué par les médias chiliens tout au long du processus : faut-il revoir les règles en matière de propagande électorale, de lutte contre les fakenews, et de diversité des opinions politiques sur les médias au Chili ?

 

4/ Comment relancer un processus constituant après le rejet d'une première proposition ?

Après l'échec du référendum du 4 septembre 2022, le choix a été fait de continuer le processus constituant selon des modalités et une philosophie différente de la première phase. L'écriture n'est plus confiée à une seule assemblée unique élue directement par le peuple mais à différentes instances. D'abord, une Commission experte, composée de 24 personnes désignées par le Congrès chilien, est chargée de rédiger un avant-projet de Constitution. Ce texte est remis à un « Conseil constitutionnel » composé de 50 personnes élues par le peuple le 7 mai 2023. Ce dernier a alors pour tâche de discuter et d'amender le texte, tout ceci sous le contrôle d'un Comité technique d'admissibilité composé de 14 juristes désignés par le Congrès. Comment analyser ces choix, et en particulier celui d'accorder un poids plus prononcé aux « experts » ? Faut-il totalement renoncer à l'idée d'une « écriture populaire » d'une Constitution ? La composition politique du « Conseil constitutionnel » (avec une majorité d'élus d'extrême-droite) sera-t-elle reflétée dans le nouveau projet de Constitution ou est-ce que finalement les digues imaginées pour canaliser l'expression populaire seront suffisantes pour parvenir à un texte consensuel ?

 

Ces diverses questions ne sont formulées qu'à titre indicatif, et il est fort probable que cet appel à contribution fasse naître d'autres pistes de réflexion. Quel que soit l'angle choisi ou le thème sélectionné, il importe que la proposition de contribution permette de nourrir une réflexion utile non seulement pour le Chili mais aussi, plus globalement, pour la compréhension de ces « moments constituants » qui restent, malgré des années de pratique, des processus encore entourés de mystère.

 

Directives pour les propositions de contributions

Les chercheuses et chercheurs qui désirent participer doivent présenter leur proposition de contribution, sous forme de résumé, au plus tard le 30 novembre 2023. Celle-ci ne devra pas excéder une quinzaine de lignes. Elle peut être rédigée en français ou en espagnol. Elle sera accompagnée d'un curriculum vitae précisant les diplômes de l'auteur, son statut actuel et ses plus récentes publications.

L'ensemble devra être envoyé à l'adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Direction scientifique : Carolina Cerda-Guzman & Hubert Alcaraz

Laboratoires : IE2A de l'UPPA (CNRS UMR DICE 7318), le CERCCLE (UR 7436) et l'IRM (UR 7434) de l'Université de Bordeaux

Projet de recherche soutenu par le département DETS de l'Université de Bordeaux et la MSH Bordeaux