Ce commentaire a été rédigé par les étudiants du DJCE de Lyon, formation professionnelle de droit des affaires. Cet arrêt noté PBI mais encore relativement peu commenté permet de faire le point sur la notion de droit propre du débiteur, sur le pouvoir du liquidateur et de s'interroger sur les sûretés les plus efficaces en procédure collective dont la déclaration notariée d’insaisissabilité fait incontestablement partie

PROCEDURES COLLECTIVES (LOI DU 26 JUILLET 2005) – LIQUIDATION JUDICIAIRE – DECLARATION D’INSAISISSABILITE

Par Emma FAVRE-ROCHEX

M2-DJCE- Université Lyon 3

Un arrêt publié au Bulletin des arrêts des chambres civiles, au Bulletin d’information de la Cour de cassation et diffusé sur le site internet de la Cour de cassation est généralement signe d’un Grand Arrêt. Mais quel peut être l’intérêt d’un arrêt qui, somme toute, ne fait qu’expliquer qu’une déclaration d’insaisissabilité rend le bien… insaisissable ? En réalité, l’arrêt de la chambre commerciale du 14 mars 2018 permet à la Cour d’expliciter la coordination entre deux positions jurisprudentielles récentes qu’elle confirme et ordonne.

En l’espèce, un couple marié sous le régime de la séparation de biens dont l’époux était entrepreneur individuel avait procédé à la déclaration d’insaisissabilité d’un bien immobilier indivis qu’il habitait. Cette déclaration avait été publiée le 16 avril 2004 au service de la publicité foncière. En 2007, le redressement judiciaire de l’époux avait été ouvert, puis sa liquidation judiciaire en 2008. Le liquidateur judiciaire avait alors assigné l’épouse en partage de l’indivision et licitation de l’immeuble. Le juge-commissaire avait ordonné la vente de l’immeuble indivis puis ordonné l’ouverture des opérations de liquidation et de partage. L’épouse indivisaire avait alors interjeté appel de cette décision. Cet appel a été vain.

La Cour d’appel de Toulouse avait en effet décidé que la demande du liquidateur en partage de l’indivision était recevable en raison du dessaisissement du débiteur : le liquidateur exerçant ses droits et actions avait donc – pour elle – qualité pour agir en partage de l’indivision.

Cette position résultait de la conjonction de deux textes :

  • L’article 815 du Code civil, qui dispose que le partage peut toujours être provoqué par l’un des indivisaires ;
  • L’article L.641-9 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2015-990 du 6 août 2015 dite « Macron », emportant dessaisissement du débiteur à partir du jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire. Cet article précise que les droits et actions patrimoniaux du débiteur sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Le droit pour l’époux indivisaire de demander le partage devait donc, logiquement, être exercé par le liquidateur pendant la liquidation judiciaire.

Le dessaisissement ne comporte que deux exceptions :

  • Une exception légale mentionnée au dernier alinéa de l’article (réalisation de biens ou droits acquis ou partage de l’indivision résultant d’une succession ouverte après l’ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire). Pour réaliser ces opérations, le liquidateur doit recueillir l’accord du débiteur.
  • Une exception jurisprudentielle résultant de la théorie des « droits propres ». Cela vise notamment tous les droits non dévolus au liquidateur par la loi ou le jugement (droits et actions mentionnés à l’article L641-9 alinéa 3 du Code de commerce).

Or, la Cour de cassation décide depuis près de 15 ans que lorsqu’un indivisaire est mis en liquidation judiciaire, son droit résultant de l’article 815 du Code civil de demander le partage de l’indivision n’est pas un droit propre. Ce droit peut donc être exercé par le liquidateur, à condition pour lui de respecter les droits des coïndivisaires, et notamment le droit à l’attribution préférentielle et l’action tendant au maintien dans l’indivision (Com., 3 déc. 2003 n°01-01.390 ; Civ. 1ère, 29 juin 2011 n°10-25.098 ; Com., 1er oct. 2013 n°12-20.567 ; Com., 20 sept. 2017 n°16-14.295).

Mais alors pourquoi casser cet arrêt d’une cour d’appel qui n’avait fait qu’appliquer la jurisprudence constante sur l’intérêt à agir du liquidateur ?

En réalité, la cour d’appel avait pris les problématiques dans le désordre. Celle-ci avait décidé que la qualité pour agir du liquidateur, exerçant les droits et actions du débiteur dessaisi, demeurait, peu important l’existence d’une déclaration d’insaisissabilité sur le bien indivis.

Mais avant de se demander si le liquidateur avait intérêt à agir en partage de l’indivision aux fins de licitation de l’immeuble, encore fallait-il savoir si l’immeuble rentrait dans le patrimoine du débiteur réalisable dans le cadre de la procédure. Cela conduisait à s’interroger sur l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la procédure.

Les modalités et conditions de l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la procédure collective ont alimenté abondamment la jurisprudence ces deux dernières années.

La Cour de cassation avait tout d’abord reconnu au débiteur en liquidation judiciaire la possibilité d’opposer la DNI au liquidateur, malgré son dessaisissement (Com., 28 juin 2011 n°10-15.482). Cet acte était d’autant plus opposable à la procédure qu’il était dénié au liquidateur la possibilité d’une action tendant à faire admettre l’inopposabilité de la DNI si elle était irrégulière, au motif qu’elle concernait tant les créanciers personnels que professionnels (Com.,13 mars 2012 n°11-15.438). Cette position était curieuse : le débiteur défaillant, négligeant ou malchanceux, se trouvait donc dans une situation plus confortable que l’honnête – ou fortuné – débiteur in bonis.

L’année 2015 laissait présager un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt de 2012. Dans un arrêt du 2 juin 2015 n°14-10.383, la chambre commerciale avait retenu que seule la publicité de la DNI pouvait faire obstacle à la vente par le liquidateur de l’immeuble : la Cour de cassation confessait, à demi-mots, son erreur et reconnaissait que le liquidateur pourrait passer outre une déclaration d’insaisissabilité irrégulièrement publiée. D’ici qu’elle reconnaisse la possibilité pour le liquidateur d’engager une action tendant à faire admettre l’inopposabilité d’une DNI irrégulière, il n’y avait qu’un pas. D’autant qu’un arrêt rendu le même jour, dans un contexte certes un peu différent (n°14-24.714), avait retenu que les organes de la procédure avaient qualité à agir pour la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers.

Quelques arrêts ultérieurs avaient continué à préciser le lien entre la déclaration notariée d’insaisissabilité et la liquidation judiciaire. Un arrêt du 22 mars 2016 (Com., 22 mars 2016, n°14-21.267) avait décidé que le juge-commissaire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, autoriser le liquidateur à procéder à la vente d’un immeuble dont l’insaisissabilité publiée avant la liquidation judiciaire lui était opposable. Solution classique, dans la lignée de la position de 2011. Puis, un arrêt du 5 avril 2016 (Com., 5 avr. 2016, n°14-24.640) décidait qu’un immeuble faisant l’objet d’une DNI était hors procédure, et qu’en conséquence le créancier titulaire d’une sûreté réelle auquel la DNI n’était pas opposable pouvait procéder à une vente sur saisie sans demander une quelconque autorisation au juge-commissaire. Cet immeuble échappait en effet aux droits et actions du liquidateur, la déclaration lui étant opposable. Le doute était permis jusqu’à un arrêt très remarqué du 15 novembre 2016 (Com., 15 nov. 2016, n°14-26.287). Au prix d’une motivation enrichie, où transparaissaient ses excuses, la Cour de cassation indiquait que contrairement à ce qu’elle avait retenu en 2012, et dans la suite de la position retenue le 2 juin 2015, une DNI n’est opposable à la liquidation judiciaire que si elle a fait l’objet d’une publicité régulière. Le liquidateur a donc qualité pour agir en contestation de la régularité de la DNI au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers pour reconstituer leur gage commun.

Peut-être la Cour d’appel de Toulouse avait-elle déduit de la position de la Cour de cassation de 2012 l’inopposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité à la procédure. C’était sans compter sur la clarification de novembre 2016. La déclaration d’insaisissabilité est opposable à la procédure collective dès lors qu’elle a fait l’objet d’une publicité légale régulière. L’immeuble n’entre alors pas dans le cadre de la procédure, échappe au dessaisissement du débiteur, et le liquidateur ne peut exercer les droits et actions du débiteur sur cet immeuble. Ce qui vaut pour le tout vaut pour la partie : le liquidateur ne peut pas non plus demander le partage de l’immeuble indivis. La solution du 14 mars 2018 s’inscrit donc dans la suite de la jurisprudence récemment stabilisée en matière de déclaration notariée d’insaisissabilité. A noter également que pour être opposable, la déclaration d’insaisissabilité doit être réalisée tant qu’il est encore temps. Depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 (n°2014-326), une DNI réalisée pendant la période suspecte est nulle de plein droit, et celle effectuée dans les six mois précédant la date de cessation des paiements peut être annulée (article L.632-1 I 12° et II du Code de commerce).

Que reste-il de l’arrêt du 14 mars 2018 sous l’empire des dispositions de la loi Macron ? Presque tout, semblerait-il. Si ces dispositions ont eu pour conséquence de rendre de droit l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur, il n’en demeure pas moins que cette résidence peut être l’objet d’une indivision, notamment entre époux ; et la problématique de la validité d’une DNI reste entière pour les immeubles autres que la résidence principale non affectés à la réalisation de l’activité du débiteur. L’ordonnancement des décisions sur l’opposabilité de la DNI à la procédure et la qualité du liquidateur pour demander le partage de l’indivision est donc bienvenu, et mérite les honneurs des doubles bulletins et du site internet de la Cour.

E. F.-R.

Faculté de Droit