Droit social – Licence 3

Par Stéphanie ARIAGNO-TAMBUTÉ

Professeure de SES, Doctorante, Chargée d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Décret n° 2016-1074 du 3 août 2016 relatif à la protection des travailleurs contre les risques dus aux champs électromagnétiques

 

Les nouvelles technologies sont partout dans nos vies tant personnelles que professionnelles. Les boîtes mails personnelles sont reliées aux boîtes professionnelles afin de ne rater aucun courriel. La fonction bluetooth des téléphones est activée dans les véhicules de fonction et les véhicules personnels. La wi-fi doit rendre le compte mail accessible y compris durant les congés. Par le jeu des nouvelles technologies, si le salarié ne vient pas au travail, le travail viendra à lui.

 

Cette intrusion des nouvelles technologies dans la vie des salariés interroge les liens entre utilisation des outils numériques et préservation des périodes de repos obligatoire. Le Code du travail impose notamment un repos hebdomadaire de vingt-quatre heures consécutives (L. 3132-2 C. Tr.) et des congés payés annuels à la charge de l’employeur (L. 3141-1 C. Tr.). Ces périodes de repos visent à, préserver la santé et la sécurité des salariés. Il est aujourd’hui possible de se demander si, dans un futur proche, le fait de ne pas rester en éveil professionnel durant ces moments de congés constituera une faute sanctionnée par le droit ?

La présence des nouvelles technologies dans la vie des salariés ne s’attaque pas seulement à la porosité de la frontière temps de travail/temps de repos. Ce sont les conditions même de travail qui peuvent se trouver affectées notamment par les conséquences sanitaires de l’exposition permanente aux ondes électro-magnétiques des réseaux wi-fi des entreprises par exemple. Or, l’employeur est débiteur d’une obligation de sécurité et de résultat en matière de santé au travail (L. 4121-1 et suiv. C. Tr.).

Plusieurs textes ont été publiés sur ces questions depuis le début de l’année 2017. Tour d’horizon des textes en vigueur et prolongements en contentieux du droit du travail.

 

I. Protection des salariés contre les ondes-électromagnétiques : une obligation d’évaluation des risques par l’employeur

Depuis le 1er janvier 2017 (J.O. du 06.08.2016), l’employeur est débiteur d’une obligation d’évaluation des risques d’exposition aux ondes électromagnétiques. Les employeurs devront identifier, signaler et éventuellement limiter l’accès aux « lieux où les travailleurs sont susceptibles d’être exposés à des niveaux de champs électromagnétiques dépassant les valeurs déclenchant l’action ».

Le décret porte sur les champs électriques statistiques, les champs magnétiques statiques et électriques, les champs magnétiques et électromagnétiques variant dans le temps dont les fréquences vont de zéro hertz à 300 gigahertz. Ces ondes peuvent être produites par des appareils spécifiques mais également par de simples tablettes, smartphones et autres réseaux internet wi-fi propres à l’entreprise. De plus, le Décret est plus précis encore concernant les femmes enceintes et les salariés de moins de 18 ans. Le texte prévoit en effet que « lorsque dans son emploi, la femme enceinte est exposée à des champs électromagnétiques, son exposition est maintenue à un niveau aussi faible qu’il est raisonnablement possible d’atteindre . » L’imprécision des textes implique de jure un possible contentieux que nous analyserons plus tard.

Si l’employeur dépasse les seuils autorisés, il devra mettre en place « une approche graduée » et une signalisation concernant les zones surexposées. L’inspection du travail sera en droit de demander une expertise par un organisme spécialement accrédité et donc indépendant de l’entreprise ; cette expertise tierce entraînant la communication des résultats par l’employeur tant au médecin du travail qu’au CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) dans le cadre du document unique d’évaluation des risques.

L’objectif de cette nouvelle réglementation est bien évidemment de répondre aux problèmes sanitaires engendrés par le déploiement toujours plus intense des ondes électromagnétiques. La conséquence de cette réglementation est l’adaptation des postes de travail des salariés concernés par la surexposition. Cependant, il convient d’être prudent sur l’application effective de cette nouvelle réglementation. Comment protéger un salarié des ondes wi-fi par exemple lorsque l’entreprise est située dans une zone industrielle où une dizaine d’entreprises possèdent chacune leur propre réseau sans fil ? La faisabilité concrète d’une telle réglementation demande à être observée. L’employeur semble être titulaire d’une obligation de moyen (faire en sorte que l’exposition diminue) mais nous savons qu’en matière de santé au travail, la jurisprudence est plus encline à attribuer des obligations de résultat aux employeurs induisant des conséquences autrement différentes.

 

II. Droit à la déconnexion : une protection légale prévue par la Loi Travail

L'article 55 de la loi du 8 août 2016 dite « loi Travail » a introduit en droit français un droit à la déconnexion. Droit éminemment moderne et actuel, ce droit se fait fort de préserver la vie privée des salariés et de mieux redéfinir temps de travail et temps de repos. Les partenaires sociaux des entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation de négocier sur ce point dans le cadre des « négociations annuelles sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. » A défaut d’accord sur la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, l’employeur devra rédiger une charte après avis du Comité d’entreprise ou des Délégués du personnel.

Pratiquement parlant, certains secteurs ont déjà travaillé sur cette thématique avant même l’entrée en vigueur de la Loi Travail (notamment de grandes entreprises comme Orange, Bouygues Télécom ou La Poste) obligeant à des plages de déconnexion. Tout accord ou charte présuppose un diagnostic préalable afin de mieux cerner les spécificités de l’entreprise : secteur d’activité, taille, développement à l’international, nombre de salariés utilisant une messagerie professionnelle, un ordinateur ou un téléphone portable professionnels, autant de paramètres, de contraintes dont l’entreprise ne peut parfois pas s’affranchir.

L’idée du droit à la déconnexion n’est pas d’interdire l’utilisation des outils numériques en dehors du temps de travail mais d’en limiter le plus possible les conséquences négatives sur la vie privée des salariés et notamment des cadres. Il s’agit davantage de construire un ensemble de règles permettant un bon usage des outils numériques pour protéger les salariés des abus.

Cependant, les acteurs de l’entreprise sont mitigés quant à la pertinence de ce droit à la déconnexion. Ne sera-t-il pas davantage un facteur de stress induisant de ne quitter le bureau qu’une fois l’ensemble des dossiers traités entraînant donc un temps de travail non rémunéré plus important ? Le salarié sera-t-il réellement en mesure psychologique d’opposer ce droit à la déconnexion à son employeur si ce dernier lui reproche de n’avoir pas répondu à un courriel essentiel au traitement d’un dossier par exemple ? Si théoriquement le droit protège le salarié, est-ce que pratiquement parlant, ce droit sera invoqué en interne ? Dans une charte régissant le bon usage des outils numériques, il peut être commun de ne pas répondre aux courriels tardifs sauf importance extrême. Qui définira la notion d’importance extrême en cas de conflit ? L’importance de la négociation collective et de la représentation des salariés via les institutions représentatives du personnel seront primordiales pour que le dialogue se noue autour de ces problématiques.

 

III. Un nouveau champ du droit du travail : la promesse d’un contentieux à venir

Ces dispositions récentes ayant trait aux nouvelles technologies impliquent la création d’un nouveau champ du droit du travail. Un champ de conseil afin de faire respecter la réglementation et un champ de contentieux en cas de non ou de mauvaise application des dispositions mais également en cas de divergences d’interprétation sur les notions. L’imprécision des textes en la matière fournira probablement un contentieux nourri. Ces problématiques fondent l’avenir des conditions de travail. C’est un champ nouveau et qui n’aura de cesse de se développer au fil des années tant les nouvelles technologies font partie intégrante de notre environnement.

Demain, la législation devra peut-être concerner les robots dont le déploiement au sein des entreprises est de plus en plus important. Nous n’en sommes qu’aux prémices d’une réglementation claire et d’une jurisprudence qui aura, comme toujours, pour fonction de préciser les textes, les obligations et les droits de chacun. Les nouvelles technologies ont pour particularité d’affecter la santé physique et la santé mentale des travailleurs impliquant des dispositifs de protection spécifique. Pour que ces dispositifs soient efficaces il faut également former les acteurs aux risques liés à l’exposition aux ondes mais aux risques liés à l’utilisation abusive des outils numériques.

La prévention passe par l’information mais celle-ci échappe au droit dans de nombreux domaines.

S. A.-T.

Faculté de Droit