Procédure pénale – Licences 2 et 3

Par Mathias MURBACH-VIBERT

Magistrat,

Maître de conférences associé, Université Jean Moulin Lyon 3

 

Cass. crim., 22 février 2017, n° 16-82.412

 

Le contexte. L’article 78 alinéa 1 er du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2016, dispose que :

« Les personnes convoquées par un officier de police judiciaire pour les nécessités de l'enquête sont tenues de comparaître. L'officier de police judiciaire peut contraindre à comparaître par la force publique, avec l'autorisation préalable du procureur de la République, les personnes qui n'ont pas répondu à une convocation à comparaître ou dont on peut craindre qu'elles ne répondent pas à une telle convocation. Le procureur de la République peut également autoriser la comparution par la force publique sans convocation préalable en cas de risque de modification des preuves ou indices matériels, de pressions sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches, ou de concertation entre les coauteurs ou complices de l'infraction ».

 

Ce pouvoir d’investigation1 comporte deux paliers. Le premier est un ordre de comparaitre2 et résulte de la première phrase : « Les personnes convoquées par un officier de police judiciaire pour les nécessités de l'enquête sont tenues de comparaître ». Il convient de préciser que ce pouvoir peut s’appliquer à l’encontre de toute personne que l’officier de police judiciaire a besoin d’auditionner dans le cadre de son enquête. Il peut s’appliquer aussi bien sur le témoin, un tiers ou sur le mis en cause. La contrainte repose sur le fait que le convoqué, qui n’est pas censé ignorer la loi, sait que s’il ne vient pas, alors la suite de l’article pourra être mise en œuvre.

Le second palier est un pouvoir d’arrestation3 qui permet d’aller chercher celui qui n’est pas venu à la convocation prévue au premier palier ou dont on peut craindre qu’il ne viendra pas ou enfin qu’il profitera de ladite convocation pour paralyser l’établissement de la vérité : « Le procureur de la République peut également autoriser la comparution par la force publique sans convocation préalable en cas de risque de modification des preuves ou indices matériels, de pressions sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches, ou de concertation entre les coauteurs ou complices de l'infraction » (cette dernière phrase élargissant le champ du pouvoir d’arrestation est issue de la loi URVOAS de juin 2016).

Les précisions - L’arrêt de la chambre criminelle n° 16-82.412 du 22 février 2017 apporte des précisions concernant la possibilité d’aller chercher le témoin. Il indique que « l’article 78 du code de procédure pénale ne permet pas à l’officier de police judiciaire, autorisé par le procureur de la République à contraindre une personne à comparaître par la force publique, de pénétrer de force dans un domicile, une telle atteinte à la vie privée ne pouvant résulter que de dispositions légales spécifiques confiant à un juge le soin d’en apprécier préalablement la nécessité ».

L’évolution - Comme le contrôle d’identité4 , l’article 78 dans son volet pouvoir d’arrestation est un pouvoir d’investigation complexe car il recèle deux titres de contrainte : l’un explicite, l’autre implicite5 . Le premier est le pouvoir d’arrestation à proprement parler. Le deuxième est un droit de pénétration6 , acte support permettant de procéder à l’arrestation. Par cet arrêt, la Cour de cassation supprime ce droit de pénétration implicite en exigeant que l’O.P.J le puise dans les « dispositions légales spécifiques confiant à un juge le soin d’en apprécier préalablement la nécessité ». Autrement dit, dans un pouvoir explicite de pénétration.

Ainsi, les enquêteurs peuvent arrêter de force la personne s’ils la trouvent dans un lieu ouvert, s’ils frappent à sa porte et qu’elle sort de chez elle mais ils ne peuvent plus rentrer dans un domicile sur le fondement de l’article 78.

Désormais, le droit de pénétration dans un domicile devra être puisé dans l’article 76 alinéa 4 du Code dont la lecture montre que le formalisme de cette entrée dans un « lieu clos » devient lourde7 et circonscrite aux infractions les plus graves (infractions passibles d’un emprisonnement d’au moins 5 ans).

Il est dommageable de constater que cet article 78 qui a été encore retouché par la loi du 3 juin 2016 voit son équilibre modifié par cet arrêt et la procédure d’espèce qui découlait de son utilisation annulée !

M. M.-V.


1 Un pouvoir d’investigation est un titre de contrainte permettant de caractériser un trouble à l’ordre public. MURBACH-VIBERT Mathias, Les pouvoirs d’investigation en droit français : essai d’une théorie générale. Th : Droit : Lyon 3. Publiée chez Editions Universitaires européennes. 2011, 2 tomes, 1203 p., p. 93.

2 L’ordre de comparaître est le pouvoir de contraindre un individu à se présenter devant l’investigateur pour lui permettre d’accomplir sa mission de démonstration du trouble à l’ordre public . Il s’agit comme son nom l’indique, d’un pouvoir d’ordonner. L’ordre de comparaître est donc un titre de contrainte psychologique. Ce type de pouvoir affecte la liberté d’aller et venir du contraint dans le sens où ce dernier est obligé de se présenter à l’agent. Il n’est donc pas libre d’aller où bon lui semble mais contraint de se présenter devant l’autorité qui l’a convoqué.

3 L’arrestation est l’acte dont l’objet est l’appréhension physique d’une personne, au moyen d’une contrainte matérielle et dans le but de caractériser un trouble à l’ordre public.

4 MURBACH-VIBERT Mathias, Les contrôles d’identité vers un changement de paradigme ? La Gazette, Université Jean Moulin Lyon 3/UNJF, Février 2017, n° 15, p. 7 et s.

5 M. BUISSON précise que « sous l’angle de la garantie du citoyen, le titre implicite peut être admis à la condition, qui en constitue aussi le critère, qu’il n’organise la contrainte que comme l’indispensable accessoire d’un pouvoir explicite d’ores et déjà existant, aucune contrainte ne pouvant être conférée implicitement à titre principal ». BUISSON Jacques, Chronique de police judiciaire. R.S.C 2007, p. 588.

6 Le droit de pénétration est le titre permettant à l’agent, dans le cadre de la caractérisation d’un trouble à l’ordre public, d’entrer dans un « lieu clos », un « lieu mixte » pour sa partie où l’accès n’est pas libre où encore dans un « lieu alternatif » à un moment où il n’est pas ouvert.

7 Autorisation écrite et motivée du J.L.D.

Faculté de Droit