Droit des sociétés – Licence 3 - Master

Par Florent BERTHILLON

Doctorant contractuel

Université Jean Moulin Lyon 3, Centre Louis Josserand

 

Cass. com. 25 janvier 2017, n° 14-28.792

 

Conformément à l’article 1835 du Code civil, les statuts d’une société doivent être établis par écrit1 .

Entre autres mentions, ledit article prévoit notamment que le contrat de société2 doit établir « les modalités de son fonctionnement ».

Pourtant, l’article L. 210-2 du Code de commerce3 n’inclut pas les modalités de fonctionnement de la société au titre des mentions obligatoires, mais commande simplement que la forme sociale soit précisée.

Toutefois, en ce qui concerne les SAS, la liberté statutaire laissée aux associés a logiquement amené le législateur à prévoir un grand nombre de mentions obligatoires 4.

 

Sont ainsi prévues les stipulations relatives à la composition, au fonctionnement et aux pouvoirs des organes dirigeants (on retrouve donc en la matière les exigences du droit commun pour ce qui est de la description statutaire du fonctionnement de la société). Ainsi, leurs statuts doivent obligatoirement mentionner l’existence d’un organe social, la réciproque de cette règle étant, par conséquent, qu’un organe social ne saurait exister sans être expressément mentionné au sein du contrat de société.

C’est le sens de l’article L. 227-5 du Code de commerce5 , sur lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir dans un arrêt en date du 25 janvier 2017, promis à la plus large diffusion.

 

I. Analyse de la décision

 

À l’occasion de son départ en retraite, le président du conseil d’administration d’un cabinet de commissaires aux comptes, initialement constitué en société anonyme, s’engage à céder la quasi-totalité de ses actions à une personne morale par un protocole d’accord en date du 22 janvier 2005. Celui-ci prévoyait la réduction du prix de cession en cas de baisse du chiffre d’affaires si (et seulement si) le cédant était maintenu en sa qualité de président du CA. Concrètement, il s’agissait de diminuer le prix de cession de « 70 % de la différence entre le chiffre d’affaires garanti et celui réalisé ».

L’intérêt d’une telle clause (dite de « révision du prix ») est de permettre de compenser une baisse des résultats ultérieure à la cession mais qui trouverait sa source dans un événement survenu alors que le cédant détenait encore les titres. Elle se distingue des clauses de garantie en ce que le montant de la clause de révision ne peut excéder le prix des titres et qu’elle ne peut bénéficier qu’à l’acquéreur (et non pas à la société dont les titres sont cédés ou au créancier, comme c’est le cas pour les clauses de garantie). La Cour de cassation vient de décider que la clause de garantie bénéficie à l’acquéreur et pas à la société sauf clause claire (Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-19.174 F-D).

L’arrêt d’appel6 précise que la cession a effectivement eu lieu le 7 avril 2005, au terme d’un acte auquel le protocole évoqué précédemment a été annexé. Le 26 avril suivant, la société est transformée7 par ses nouveaux actionnaires en SAS, sans doute pour la liberté d’organisation qu’elle permet.

Considérant que le cessionnaire n’a pas respecté ses engagements, le cédant l’assigne en paiement (ainsi que le cabinet d’expertise comptable dont les titres constituaient l’objet du protocole).

Les défendeurs demandent, reconventionnellement, l’application de la clause de réduction du prix évoquée précédemment.

Pour ce faire, ils se basent sur des pièces attestant du maintien en fonction de leur adversaire. Il s’agissait pourtant d’éléments de poids – et publics de surcroit -, tel des extraits de journaux d’annonces légales ainsi qu’un extrait K-bis désignant le cédant comme administrateur, qui avaient emporté la conviction des juges du fond.

La Cour d’appel avait ainsi privilégié une approche globale du protocole d’accord, accordant au cédant l’exécution forcée de celui-ci, mais statuant également en faveur de l’applicabilité de la clause de réduction du prix. Selon elle, le cédant avait conservé sa qualité d’administrateur de cette société jusqu’au 30 septembre 2006, date butoir de la clause de réduction du prix de cession.

Ce dernier se pourvoit en cassation, contestant l’application de la clause de révision du prix. Selon lui, seuls les statuts d’une SAS fixent ses conditions de direction. Par conséquent, comme les statuts ne faisaient aucune référence à l’existence d’un éventuel conseil d’administration, la clause ne pouvait s’appliquer. Il s’agit donc, pour la Haute Juridiction, de vérifier si la Cour d’appel pouvait, sans méconnaitre les dispositions des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce, déclarer la clause de révision applicable.

Elle casse et annule la décision des juges du fond, coiffant son dispositif d’un attendu de principe dont la généralité confirme l’importance qu’elle entend conférer à sa décision. L’interprétation se veut stricte : « Il résulte de la combinaison de ces textes que seuls les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ». L’arrêt illustre de manière assez inédite la nécessaire contrepartie de la liberté statutaire que confère la SAS : la sécurité des tiers.

Pourtant, celle-ci ne semblait pas mise en péril outre mesure dès lors que le cessionnaire avait produit des éléments de preuve à caractère public. Cette circonstance s’avère, selon la Cour de cassation, insuffisante, car selon elle, seules les prévisions statutaires peuvent prévoir l’existence d’un organe social, qui est donc logiquement réputé ne pas exister dès lors que le contrat de société n’en fait pas mention.

 

II. Portée de l’arrêt

 

Aurait-on pu attendre un dispositif en sens contraire, sur le fondement de l’autonomie de la volonté des parties ou encore sur la règle8 selon laquelle la transformation de la société s’analyse comme une continuation de la forme sociale précédente ? Aucune recherche de l’intention des parties n’émerge de l’arrêt ; on peut semble-t-il considérer qu’en l’espèce, la Cour de cassation a fait primer l’ordre public sociétaire, dans une optique de protection des tiers.

L’argument tiré de la continuation de la précédente forme sociale n’emporte pas davantage la conviction : dès lors que l’existence d’un conseil d’administration dans une SAS n’est pas une exigence légale, appliquer la clause de réduction du prix de cession des titres sur un tel fondement semblait périlleux. Une telle conception irait en effet à l’encontre du deuxième alinéa de l’article L. 227-1 du Code de commerce, qui dispose, in fine, que « les attributions du conseil d’administration ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet ».

Faut-il en déduire que la transformation de la société en SAS devait nécessairement faire échec à l’application de la clause de réduction du prix de cession ? On pourrait le croire, à considérer que le passage d’un organe d’origine légale à un organe statutaire dénaturerait la volonté des parties. Ce n’est visiblement pas la position de la Cour, qui semble laisser cette option ouverte aux parties9 .

Sans doute cette clause de révision aurait-elle pu trouver à s’appliquer si les statuts de la SAS avaient prévu l’existence d’un conseil d’administration, même si là encore l’interrogation est permise. Faut-il que l’organe soit dénommé ainsi ou suffit-il qu’il ait, en substance, les mêmes attributions et le même rôle que dans une société anonyme ? Compte tenu de la rigueur de l’interprétation de la Cour sur ce point, on penchera pour un cumul de ces deux critères.

Aurait-il fallu, suite à la transformation, désigner à nouveau le cédant au sein du conseil d’administration, dès lors que « la transformation d’une société anonyme en société par actions simplifiée […] fait perdre aux administrateurs cette qualité dont ils se trouvent donc destitués » ? La Cour prend soin de préciser, afin de ne pas exagérer les conséquences de sa propre jurisprudence, que cette règle se limite aux cas où « les statuts ne prévoient pas de conseil d’administration ».

En conclusion, on retiendra que lors de la transformation d’une SA en SAS, le principe de continuation de la personne morale ne doit pas dispenser le praticien de retranscrire dans les statuts ce qui était précédemment fixé par la loi.

F. B.


1 Faute de quoi elle encourt la requalification en société créée de fait, qui suit le régime de la société en participation, sur le fondement de l’article 1873 du Code civil.

2 On utilisera ici les termes de « statuts » et de « contrat de société » comme synonymes.

3 Qui déroge aux dispositions précédentes en matière commerciale en vertu de l’article 1834 du Code civil, qui dispose : « Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toutes les sociétés, s’il n’en est autrement disposé par la loi en raison de leur forme ou de leur objet ».

4 Voir, outre l’article L. 210-2 précité, les articles L. 225-14, L. 225-16, L. 227-5, L. 227-9 et R. 224-2 du Code de commerce.

5 Qui dispose : « les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

6 CA Paris, Pôle 5, Chambre 8, 24 juin 2014, Répertoire général n° 13/04951.

7 Conformément aux conditions posées par les articles L. 225-243 et L. 227-3 du Code de commerce, relatives à la durée d’existence de la SA (2 ans) et à l’unanimité de la décision de transformation.

8 Article L. 210-6 du Code de commerce.

9 Ainsi qu’en témoigne le dernier paragraphe des motifs, selon lequel : « les statuts de la société par actions simplifiée […] ne faisaient pas mention d’un conseil d’administration, ce dont il résultait que M. X… n’avait pas conservé sa qualité d’administrateur à la suite des modifications de la forme juridique de cette société ».

Faculté de Droit