Droit civil – Droit des sûretés - Master

Par Olivier GOUT

Professeur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3

Directeur de l'Institut de Droit Patrimonial et Immobilier (IDPI)

 

Ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 relative à l'agent des sûretés

 

Notion - Le recours à un agent des sûretés est particulièrement utile dans le cadre de ce que l’on appelle les contrats de crédit syndiqué où plusieurs banques, pour financer une opération, se réunissent au sein d’un même groupement afin de mutualiser les risques encourus. Les dispensateurs de crédit vont, à n’en pas douter, exiger de l’emprunteur la fourniture de sûretés pour garantir l’opération. Ils ont alors intérêt à privilégier une gestion homogène des sûretés. C’est là qu’intervient l’agent des sûretés qui sera l’interlocuteur commun du débiteur, des créanciers et, le cas échéant, des tiers.

 

Apparition – C’est la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 relative à la fiducie qui a officiellement introduit cet agent en droit français en insérant un article 2328-1 dans le Code civil. Ce texte prévoit que toute sûreté réelle peut être inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l’obligation garantie par une personne qu’ils désignent à cette fin dans l’acte qui compte cette obligation. Cette loi a été complétée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 qui a précisé que l’agent des sûretés peut également « constituer » des sûretés pour le compte des créanciers. Il s’agissait déjà de faire face aux insuffisances des instruments juridiques existant en France pour répondre aux besoins de la pratique et à la concurrence du droit étranger.

Persistance des lacunes du droit existant - Pour autant ce texte n’a pas permis de répondre aux attentes du monde des affaires. Il faut dire que les nombreuses imprécisions de l’article 2328-1 du Code civil laissaient planer le flou sur la qualification juridique de l’opération et son régime applicable (mandat, fiducie, institution sui generis…). Surtout, son rôle était trop limité pour satisfaire les attentes des créanciers, ne serait-ce que parce que ce texte n’accordait de pouvoirs à l’agent des sûretés qu’en matière de sûretés réelles. Les acteurs auraient ainsi continué de privilégier les mécanismes de droit étranger.

Aussi, la loi « Sapin 2 » n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique avait-elle indiqué, dans son article 117, I, 2°, qu’interviendrait une réforme de l’agent des sûretés avant le 9 octobre 2017, « afin de doter le droit français d’un régime juridique de l’agent des sûretés efficace, permettant de concurrencer les dispositifs existants dans les pays anglo-saxons ». Le Gouvernement s’est donc trouvé habilité à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi tendant à clarifier et moderniser le régime défini à l’article 2328-1 du Code civil.

Mise en place d’un nouveau régime – C’est désormais chose faite avec l’ordonnance du 4 mai 2017 qui vient ainsi tenter de répondre aux insuffisances évoquées. L’ordonnance abroge l’article 2323-1 du Code civil au profit des nouveaux articles 2488-6 et suivants du Code civil, qui n’entreront toutefois en vigueur que le 1 er octobre 2017, histoire de permettre aux praticiens d’intégrer les nouveaux textes. Cette ordonnance est accompagnée d’un rapport remis au Président de la République qui a pour finalité, on le sait, de livrer une grille de lecture des nouveaux textes. Le livre IV du Code civil, consacré au droit des sûretés s’en trouve même modifié. Il s’enrichit en effet d’un titre III intitulé « De l’agent des sûretés » qui complète le titre I ayant trait aux sûretés personnelles et le titre II concernant les sûretés réelles.

Sûretés visées - Le premier apport significatif de l’ordonnance est de rendre possible le recours à un agent des sûretés pour… l’ensemble des sûretés. Le nouvel article 2488-6 al. 1 du Code civil pose en effet en règle que « toute sûreté ou garantie peut être prise, inscrite, gérée et réalisée par un agent des sûretés, qui agit en son nom propre au profit des créanciers de l’obligation garantie ». Ne sont donc plus seulement visées les sûretés réelles comme dans l’actuel article 2323-1. Surtout, les auteurs de l’ordonnance prennent le soin d’ajouter aux sûretés les « garanties ». Il s’agit de ratisser le plus largement possible et permettre de mobiliser des techniques de garantie qui ne relèvent pas nécessairement du livre quatrième du Code civil. Il suffit par exemple de songer au jeu de la solidarité ou du crédit-bail. Cela permettra aussi de recourir à des sûretés d’origine étrangères.

Opérations envisagées - L’agent des sûretés pourra procéder aux différentes opérations de la vie d’une garantie qu’il s’agisse de sa prise, de son inscription, de sa gestion ou encore de sa réalisation. Il sera donc en mesure de gérer l’opération du début jusqu’à la fin, ce qui paraît somme toute logique eu égard à la finalité de l’opération.

Désignation de l’agent des sûretés - Il n’est plus nécessaire, contrairement à ce qu’exige l’actuel article 2328-1 du Code civil, que l’agent des sûretés soit désigné dans l’acte qui constate l’obligation garantie. Cette désignation pourra ainsi intervenir dans un autre acte pouvant être conclu à un autre moment. En revanche, comme le précise très clairement l’article 2488-7, l’acte de désignation de l’agent des sûretés est un contrat solennel. En effet, « à peine de nullité, la convention par laquelle les créanciers désignent l’agent des sûretés doit être constatée par un écrit qui mentionne sa qualité, l’objet et la durée de sa mission ainsi que l’étendue de ses pouvoirs ». L’exigence s’explique par l’importance des sommes en jeu dans les opérations financières. Il est nécessaire de sécuriser ces opérations en étant le plus explicite possible. Il n’est pas anodin de relever que les textes ne fournissent aucune indication quant à la qualité que doit revêtir l’agent des sûretés, contrairement par exemple à ce qui existe en droit OHADA qui évoque des institutions financières ou des établissements de crédit. Il peut donc être une personne physique ou morale. Compte tenu, une fois encore, des sommes en jeu, il y a fort à parier que les acteurs économiques seront très prudents quant au choix de cet agent. Mais les auteurs de l’ordonnance ont souhaité laisser le plus de marge possible à la liberté contractuelle.

Nature juridique du mécanisme – Il est important de souligner, pour commencer, que l’article 2488-6 affirme que l’agent des sûretés agit en son propre nom. Il en résulte qu’il n’a pas la qualité de mandataire, puisque n’agissant pas au nom des créanciers qui l’ont recruté. Le changement d’un des créanciers du pool sera donc sans incidence, ce qui accroît sans conteste la souplesse du mécanisme.

Cette opération, qui ne s’apparente donc pas à un mandat, se rapproche en revanche de la technique fiduciaire. En effet, indique l’article 2288-6 dans ses alinéas 2 et 3, l’agent des sûretés est titulaire des sûretés et garanties. Les droits et biens acquis par l’agent des sûretés dans l’exercice de sa mission forment un patrimoine affecté à celle-ci, distinct de son patrimoine propre. L’agent des sûretés se voit donc reconnaître les pouvoirs d’un fiduciaire. Entreront en effet dans le patrimoine créé spécialement pour l’opération les sûretés et garanties elles-mêmes ainsi que les actifs perçus dans le cadre de leur gestion et réalisation. Mais comme le précise clairement le rapport remis au Président de la République, l’agent des sûretés est un fiduciaire spécial. Il est seulement soumis aux dispositions visées par les articles qui le concernent. Le rapport ajoute qu’il n’y a donc pas lieu à application des formalités de la fiducie de droit commun des articles 2011 et s. du Code civil. Cela s’avérerait en effet beaucoup trop lourd pour la seule gestion des sûretés.

Gestion par l’agent du patrimoine affecté de sûretés - Dans la mesure où l’agent des sûretés agit en son propre nom, l’article 2488-8 l’oblige à faire mention de sa qualité lorsqu’il agit au profit des créanciers garantis, afin que les tiers en soient informés. Il convient en effet d’éviter tout risque d’ambiguïté. Sans avoir à justifier d’un mandat spécial, l’agent des sûretés peut exercer toute action pour défendre les intérêts des créanciers de l’obligation garantie (art. 2488-9). Ces actions pourront aussi bien tendre à la conservation qu’à la gestion ou à la réalisation des sûretés et garanties. L’article 2488-9 vise tout spécialement, au titre de ces actions, les déclarations de créances qui pourraient s’avérer nécessaires en cas de procédure collective. Les prérogatives de l’agent des sûretés seront toutefois fonction des pouvoirs qui lui auront été accordés par les créanciers dans le contrat de désignation.

Autres conséquences liées à la création d’un patrimoine d’affectation – La première est exposée par l’article 2488-10 al 1 du Code civil. Elle tient à ce que les droits et biens acquis par l’agent des sûretés dans l’exercice de sa mission ne peuvent être saisis que par les titulaires de créances nées de leur conservation ou de leur gestion. Le texte prévoit toutefois logiquement l’exception de l’existence et l’exercice d’un droit de suite d’un autre créancier, et celle des cas de fraude.

Quant à la seconde, qui résulte du deuxième alinéa du même texte, elle tient à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou de rétablissement professionnel à l’égard de l’agent des sûretés. Dans ce cas, ces procédures sont sans effet sur le patrimoine affecté à sa mission. La règle protège pleinement. Il s’agit, comme on le comprend aisément, de protéger les créanciers bénéficiaires des garanties.

Remplacement de l’agent des sûretés – Ce remplacement peut tout d’abord être prévu contractuellement. Si tel n’est pas le cas, tout créancier bénéficiaire des sûretés et garanties peut demander en justice la désignation d’un agent des sûretés provisoire ou le remplacement de l’agent s’il s’avère que l’agent manque à ses devoirs, s’il met en péril les intérêts qui lui sont confiés ou s’il fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Dans tous les cas, le remplacement de l’agent des sûretés emporte de plein droit la transmission du patrimoine affecté au nouvel agent (art. 2488 al. 11).

Responsabilité de l’agent des sûretés – Dans l’hypothèse où l’agent des sûretés commettrait des fautes dans l’exercice de sa mission, l’article 2488-12 dispose qu’il est responsable sur son patrimoine propre. Il est toutefois possible d’imaginer que les parties organisent contractuellement la responsabilité de cet agent en mobilisant les ressources du droit commun des contrats.

O. G.

Faculté de Droit