Droit pénal – Licence 2

Par Sophie VISADE,

Doctorante, Chargée d’enseignements à l’Université de Lille 2

 

Cons. const., Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017

 

Par une décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 421-2-5-2 du Code pénal réprimant le délit de consultation habituelle de sites terroristes introduit par la loi du 3 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme1. Le législateur l’a réintroduit au sein du Code pénal, par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, sous une version modifiée en considération des enseignements de ladite décision QPC.

 

La pérennité n’aura pas été de mise pour la version initiale2 du délit de consultation habituelle de sites terroristes qui s’était déjà difficilement imposé dans l’arsenal répressif français3.

Controversé depuis sa genèse, l’abrogation de ce délit n’est guère une surprise tant les questions qu’il soulevait étaient multiples. Le nombre de griefs d’inconstitutionnalité invoqués par le requérant en atteste d’ailleurs : celui-ci soutenait que l’incrimination méconnaissait la liberté de communication et d’opinion, le principe de légalité des délits et des peines, l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, le principe d’égalité, celui de proportionnalité, et enfin, le principe de la présomption d’innocence. Par application du principe de l’économie des moyens, c’est néanmoins sur le seul grief relatif à la méconnaissance de la liberté de communication que le Conseil constitutionnel s’est prononcé, celui-ci suffisant à justifier l’abrogation du délit de consultation habituelle de sites terroristes. Et pour cause, cette liberté fondamentale se trouvait en effet directement affectée par ce délit.

L’article 421-2-5-2 du Code pénal lui portait ainsi une particulière atteinte en sanctionnant d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la seule consultation de site « mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes », sauf si cette consultation était effectuée de « bonne foi ». Le simple fait de consulter de tels sites était donc réprimé sans qu’aucune intention de commettre un acte terroriste, non plus qu’aucune adhésion idéologique, ne soit nécessaire. Cela revenait donc à une répression de la liberté de s’informer, pendant de la liberté de communication.

Il incombait alors au Conseil constitutionnel d’analyser la constitutionnalité de cette atteinte à la liberté de communication. Pour ce faire, le Conseil commence par rappeler la valeur fondamentale de la libre communication des pensées. Cette liberté, protégée, au sein du bloc de constitutionnalité par l’article 11 de la DDHC de 1789, implique, selon lui, la liberté d’accéder à des services de communication au public en ligne4 . Le Conseil rappelle ensuite qu’est déduit de l’article 34 de la Constitution, qui fixe le domaine de compétence de la loi, un objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions. Or le Conseil constitutionnel affirme que l’objectif de lutte contre l’incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne participe de cet objectif à valeur constitutionnelle de prévention et de protection de l’ordre public5. La proclamation d’un tel objectif confère au législateur la possibilité de porter atteinte à une liberté fondamentale dans la poursuite de cet objectif à valeur constitutionnelle. Il est donc en principe loisible au législateur de concilier l’exercice de la liberté de communication avec la poursuite de l’objectif de lutte contre l’incitation au terrorisme mais à la triple condition que l’atteinte portée à cette liberté soit nécessaire, proportionnée et adaptée à l’objectif ainsi poursuivi. C’est sur ces trois critères que le Conseil constitutionnel invalide l’incrimination de consultation habituelle de sites terroristes, estimant qu’elle ne remplit pas cette triple exigence.

 

L’absence de nécessité de l’incrimination

La démonstration du Conseil constitutionnel s’avère particulièrement motivée sur l’absence de nécessité de l’atteinte portée à la liberté de communication par l’article 421-2-5-2 du Code pénal. Ainsi, le Conseil expose-t-il d’une part, que l’autorité administrative dispose de nombreux pouvoirs permettant de prévenir la commission d’actes de terrorisme mais surtout, d’autre part, que l’arsenal juridique répressif français contient déjà un ensemble de dispositions, tant en droit pénal substantiel6 qu’en droit pénal procédural, permettant de surveiller et de sanctionner un individu qui consulte un site terroriste dès lors que « cette consultation s’accompagne d’un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d’exécution »7. Le Conseil constitutionnel en déduit donc que l’atteinte portée à la liberté de communication ne répond pas à l’exigence de nécessité.

Les enseignements à tirer de cette appréciation sont importants car ils semblent dessiner les prémices d’une frontière entre une intervention préventive du droit pénal qui peut être admise et celle qui ne le pourrait plus.

En effet, c’est parce que le droit pénal français fournit déjà des outils lui permettant d’intervenir en prévention, c’est-à-dire avant que l’individu n’entre dans la phase d’exécution d’une infraction terroriste, que le Conseil constitutionnel écarte la nécessité de l’incrimination de consultation habituelle de sites terroristes. Le Conseil fait ici référence à l’arsenal répressif permettant au droit pénal d’intervenir de manière préventive en amont de l’iter criminis, par dérogation au principe selon lequel le droit pénal n’a pas à intervenir, sur le chemin du crime, avant un commencement d’exécution de l’infraction par son auteur. Les outils de cet arsenal sont autant d’infractions8 incriminant de manière autonome la commission d’actes préparatoires, par définition antérieurs au commencement d’exécution, dès lors que ces actes corroborent une intention criminelle, en l’occurrence, terroriste.

Or, c’est justement cette exigence d’intention qui différenciait le délit de consultation habituelle de sites terroristes des autres infractions préventives en matière de lutte contre le terrorisme : cette infraction intervenait encore plus en amont de l’iter criminis, en incriminant un comportement qui, d’une part, n’est même pas encore un acte matériel au sens d’actes préparatoires, et d’autre part surtout, n’impliquait et n’avait à impliquer aucune intention terroriste. C’était d’ailleurs là tout son intérêt, et nul doute que dans l’esprit du législateur, c’est ce qui rendait l’infraction nécessaire au sens de sa politique criminelle : inquiet de la prolifération de la propagande Djihadiste sur internet, il lui a paru impératif d’endiguer cette propagande, appréhendée comme la source du mal terroriste, en réprimant ceux qui s’en placeraient en destinataires, et cela peu importe leur intention car justement, l’objectif était d’éviter que ne se produise une adhésion à l’idéologie.

Cet impératif n’est cependant pas partagé par le Conseil constitutionnel dont la décision est sans appel : ce délit n’est pas nécessaire car notre législation permet d’ores et déjà une intervention préventive du droit pénal par l’incrimination de comportements qui se situent avant la phase d’exécution d’actes de terrorisme, dès lors que ces comportements révèlent une intention illégale. Il est possible d’en tirer la conclusion suivante : l’incrimination d’un comportement encore insignifiant sur un plan matériel, tel que la consultation d’un site, ne peut être regardée comme une atteinte nécessaire à une liberté fondamentale comme la liberté de communication dès lors qu’il ne révèle pas, a minima, une intention terroriste.

 

L’absence de proportionnalité et d’adaptation de l’incrimination

C’est aussi autour de cette absence d’intention exigée pour la caractérisation du délit que le Conseil s’est prononcé sur la proportionnalité et l’adaptation de l’atteinte portée à la liberté de communication. Ainsi, de manière plus sommaire cette fois, le Conseil s’en réfère à la peine de deux ans d’emprisonnement encourue pour le simple fait de consulter un site terroriste et semble poser comme principe la disproportion de la répression à une peine d’emprisonnement pour une infraction dont on n’exige aucune intention particulière de la part de son auteur. De plus, l’atteinte portée par le délit n’est pas adaptée à l’objectif poursuivi car la notion de consultation effectuée « de bonne foi », envisagée pour exclure la pénalisation, est imprécise. En effet, la « bonne foi » étant insuffisamment définie et ne permettant pas de déterminer la portée que le législateur a entendu attribuer à cette exemption, l’incrimination contestée fait peser une incertitude sur la licéité de l’usage d’internet pour rechercher des informations. Elle ne satisfait donc pas à l’exigence de précision de la loi, corollaire du principe de légalité des délits et des peines.

Cette déclaration d’inconstitutionnalité était inévitable. Dans sa lutte toujours plus préventive contre le terrorisme, le législateur semble légitimer toutes les atteintes qui pourraient être portée aux libertés fondamentales, et notamment à la liberté d’expression et de communication. Mais il avait cette fois-ci péché par excès d’anticipation répressive. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé à l’ordre et a marqué un point d’arrêt à l’expansion de cette politique criminelle dont la fin ne saurait justifier tous les moyens.

Dans sa ténacité, le législateur a réintroduit, par la loi du 28 février 2017 précitée, l’article 421-2-5-2 au sein du Code pénal en considération des enseignements du Conseil. Est ainsi désormais réprimée la consultation de sites terroristes « lorsqu’[elle] s’accompagne de la manifestation de l’adhésion à cette idéologie ». L’ajout de cette brève précision est-il cependant suffisant pour rendre le délit exempt de critique au regard des principes de nécessité et de légalité ? Il est permis d’en douter.

S. V.


1 Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme.

2 Le législateur a en effet réintroduit l’article 421-2-5-2 au sein du Code pénal par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique sous une rédaction modifiée en considération de la décision du Conseil constitutionnel ici commentée. L’article 421-2-5-2 prévoit ainsi désormais que la consultation de sites terroristes peut être réprimée « lorsqu’[elle] s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie » terroriste.

3 Elle faisait suite à deux tentatives avortées de l’introduire dans notre Code pénal : d’une part, lors du projet de loi « renforçant la prévention et la répression du terrorisme » du 11 avril 2012, qui ne sera jamais discuté, d’autre part, lors des discussions sur la proposition de loi « tendant à renforcer l’efficacité́ de la lutte antiterroriste » enregistrée au Sénat le 17 décembre 2015, qui en abandonnera finalement l’idée.

4 Considérant 4 de la décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 commentée.

5 Considérant 5 de la décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 commentée.

6 Dans ses considérants 7 et 8, le Conseil constitutionnel relève ainsi un certain nombre d’infractions ayant pour objet de prévenir la commission d’actes de terrorisme, telles que l’article 421-2-1 du Code pénal réprimant la participation à une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, l’article 421-2-4 du même code réprimant le recrutement en vue de participer à un groupement terroriste, l’article 421-2-5 réprimant la provocation et l’apologie d’actes de terrorisme et enfin l’article 421-2-6 du Code pénal réprimant le délit d’entreprise individuelle terroriste, qui vient d’être déclaré conforme à la Constitution sous réserve d’interprétation par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2017-625 QPC du 7 avril 2017.

7 Considérant 13 de la décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 commentée.

8 C’est notamment le cas de l’infraction d’entreprise individuelle terroriste de l’article 421-2-6 du Code pénal qui fait également l’objet d’une QPC renvoyée au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation le 25 janvier 2017, affaire n° 2017-625 QPC.

Faculté de Droit