Droit pénal - Licence 2

Par Mathias MURBACH,

Docteur en Droit

Magistrat, ancien capitaine de la Police nationale,

Maître de conférences associé à l’Université Jean Moulin Lyon 3, École de droit de Lyon (EDL)

 

Cons. Const., Décision n° 2016-606/607, QPC du 24 janvier 2017

 

Par Qui ? L’article 78-1 du Code de procédure pénale prévoit que « Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivant ». L’officier de police judiciaire et ceux qui agissent « sous ses ordres et sa responsabilité », autrement dit ses subordonnés, à savoir les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints peuvent soumettre un individu à un contrôle d’identité.

Qu’est-ce que c’est ? Le contrôle d’identité est le pouvoir de contrainte qui va permettre à l’un des agents susmentionnés d’ordonner à une personne de lui prouver son identité. Ce pouvoir recèle deux titres de contrainte : l’un explicite, l’autre implicite. Le premier est l’ordre de justifier de son identité et il s’agit d’une forme de réquisition. Le deuxième est une interpellation. A partir du moment où le citoyen fait l’objet de la sommation : « Police vos papiers ! », il est psychologiquement saisi. Il est obligé de s’arrêter et de se prêter au contrôle. L’intérêt de bien révéler l’appréhension psychologique inhérente au contrôle d’identité est qu’elle constitue le point de départ de l’atteinte à la liberté individuelle et donc le point de départ des délais nécessairement limités de rétention.

Comment ? L’article 78-2 alinéa 1er précise que la preuve de l’identité peut se faire par tous les moyens. Il s’agit bien évidemment d’une pièce d’identité mais cela peut aussi être une carte vitale avec photo, une carte de transport ou le témoignage de ceux qui accompagnent l’individu et qui l’identifie. Si les policiers ne sont pas convaincus, ils pourront mettre en œuvre la procédure de vérification d’identité prévue à l’article 78-3.

A quoi ça sert ? On pourrait croire que le contrôle d’identité sert à connaître l’identité mais en réalité son objet est plus large. Ainsi, la Cour de cassation a précisé qu’il était possible de contrôler une personne dont les policiers connaissent déjà l’identité. Derrière l’expression contrôle d’identité, il se cache une réalité tout autre de véritable cadre d’enquête préalable qui permet de révéler un trouble à l’ordre public ou d’apporter des éléments notamment l’identification des protagonistes suite à son constat.

Vers un changement de paradigme ? Dans le quotidien des services de police, le contrôle d’identité est une mesure très fréquente qui permet aux agents de soumettre dans un temps très court un individu à une vérification sommaire de sa situation : son identité, le port d’objet prohibé, sa situation administrative, si elle est recherchée et même des fouilles de bagages et véhicules. On voit donc qu’au-delà du pouvoir d’établir l’identité d’une personne, c’est quasiment un pré-cadre d’enquête qui, par l’étendue des mesures de vérifications, va permettre de caractériser un nombre important d’infractions pénales et va constituer le point de départ de bon nombre de procédures qui atterrissent dans les juridictions. Doit-on encore le qualifier de contrôle d’identité et laisser penser qu’il est circonscrit à cela alors qu’en pratique, il est bien plus qu’un contrôle d’identité ? Nous sommes clairement à un point de bascule entre l’impossible récépissé de contrôle d’identité qui sonnerait le glas de cette mesure d’un côté et la multiplication des cas de contrôle et vérifications sommaires concomitantes qui tendent à son développement de l’autre.

De la lutte contre les contrôles au faciès . Dans ce contexte d’utilisation massive des contrôles d’identité, on peut comprendre l’inquiétude qui résulterait d’une discrimination sur les assujettis à la mesure. L’article R. 434-16 du Code de la sécurité intérieure du 4 décembre 2013 a prohibé une telle discrimination : « Lorsque la loi l'autorise à procéder à un contrôle d'identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s'il dispose d'un signalement précis motivant le contrôle. Le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet ».

La Cour de cassation par quatre arrêts1 remarqués vient de rappeler avec vigueur qu’un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire. Elle précise qu’il s’agit d’une faute lourde qui engage la responsabilité de l’État. En ce qui concerne la preuve de cette faute, la Cour aménage la charge de la preuve en trois temps :

  • la personne qui a fait l’objet d’un contrôle d’identité et qui saisit le tribunal doit apporter au juge des éléments qui laissent présumer l’existence d’une discrimination ;
  • c’est ensuite à l’administration de démontrer, soit l’absence de discrimination, soit une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs ;
  • enfin, le juge exerce son contrôle.

Dans quel contexte ? Les contrôles d’identité sont soit réactifs, s’ils sont consécutifs à la perception d’un trouble à l’ordre public, soit proactifs, si leur raison d’être est alors de révéler un trouble à l’ordre public dans des situations que le législateur estime propices à ces troubles.

Les contrôles d’identité réactifs sont tout d’abord ceux des alinéas 2 à 6 de l’article 78-2. Il s’agit des hypothèses que la doctrine qualifie de contrôles de police judiciaire mais cette qualification malaisée d’utilisation est sans intérêt dans la matière car l’ensemble des contrôles relève d’un bloc de compétence au profit du juge judiciaire. Pour y procéder, il faut que l’agent ait relevé des éléments d’espèce de nature à justifier le contrôle. Ces éléments constituent la condition préalable de la mise en œuvre du titre de contrôle d’identité réactif. Le texte y fait référence par la formule : « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner ». Les juridictions de fond examinent avec attention l’existence et l’objectivité de ces raisons plausibles et conclut à la nullité du contrôle et des procédures subséquentes si cette condition préalable n’a pas été scrupuleusement respectée et justifiée dans le procès-verbal.

En ce qui concerne le titre issu de l’article 78-2 alinéa 8 du Code de procédure pénale, il est traditionnellement considéré comme un pouvoir de police administrative car sa finalité est de prévenir un trouble à l’ordre public. L’alinéa énonce : « L’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens ». Ce contrôle peut paraître proactif de prime abord car il permet de contrôler toute personne quel que soit son comportement. En effet, l’agent n’a pas à circonstancier les raisons qui le poussent à contrôler tel individu plutôt que tel autre. On pourrait ainsi penser qu’il s’agit d’un contrôle proactif. Cela reviendrait à dire que ce titre de contrainte ne nécessite pas que l’agent ait relevé des éléments de contexte objectifs et apparents, se rattachant à un trouble à l’ordre public déterminé, en préalable à l’utilisation du pouvoir. Cependant, le Conseil constitutionnel2 a déclaré : « s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ». Les sages exigent donc que l’utilisation de ce pouvoir intervienne dans un contexte particulier qui doit être relevé par l’agent préalablement à l’exercice du pouvoir. La réserve du Conseil constitutionnel oblige l’agent à relever des indices objectifs et apparents en lien avec un trouble à l’ordre public déterminé. Il doit donc en quelque sorte constater la présence d’un trouble passé, actuel ou à venir justifiant l’exercice de la contrainte.

Ainsi, si l’agent relève une alerte à la bombe pour contrôler toute personne, il caractérise par des indices objectifs et apparents la présence d’un trouble à l’ordre public déterminé : un acte terroriste sur le point de se commettre. Ce titre de contrainte est donc réactif du fait de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel. Ce n’est pas le législateur qui affirme péremptoirement que telle situation, parce qu’elle présente une potentialité de trouble à l’ordre public, justifie le contrôle d’identité, comme c’est le cas des contrôles dans l’espace Schengen3. C’est l’agent qui doit caractériser la présence d’un trouble à l’ordre public déterminé justifiant l’utilisation de la contrainte.

L’apport de la QPC du 24 janvier 2017 . Pour les contrôles d’identité sur réquisition du procureur de la République (78-2 al 7 C.P.P), il suffit pour l’agent, que l’individu qu’il veut contrôler, soit dans la zone et la période de temps définies par la réquisition. Il n’a nullement besoin de relever à l’encontre de l’assujetti des éléments qui justifient que cet individu plutôt qu’un autre soit soumis à la mesure car il agit en vertu d’un acte d’un tiers : le procureur de la République. Jusqu’à la QPC du 24 janvier 2017, ce type de contrôle était considéré comme proactif car le procureur n’avait pas à motiver ses réquisitions en se référant à des désordres précis justifiant l’opération4 . La décision QPC par la réserve d’interprétation figurant au 23 ème considérant pose une exigence de motivation de la réquisition du parquet5. Ce faisant, elle ouvre la possibilité de contester devant les juges du fond le bien-fondé d’une telle réquisition. Est-ce qu’il y avait sur le secteur visé par la réquisition une criminalité particulière justifiant le recours à cette mesure d’investigation ? Ce débat pourra avoir lieu lors de l’examen des procédures découlant des infractions relevées par le biais de ces contrôles d’identité, ce qui n’était pas le cas avant. On voit désormais la nécessité pour le parquetier de justifier sa réquisition par des références vérifiables à des infractions déjà commises ou dont on peut légitimement craindre qu’elles se produisent c’est-à-dire à des éléments objectifs. Ainsi, cette forme de contrôle d’identité par une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel devient réactive. On mesure l’impact de cette décision…

Il existe encore les contrôles d’identité de l’état d’urgence, ils sont assimilables dans leur structure à ceux réalisés sur réquisition du procureur de la République à la différence près et ce jusqu’à la décision QPC du 24 janvier 2017, que le Préfet devait déjà agir de manière réactive en motivant sa décision qui pouvait être contestée même devant les juridictions pénales par le biais de l’exception d’illégalité de l’article 111-5 du Code pénal. Le contrôle est réactif de ce fait. Pour les policiers procédant à l’opération, la caractérisation du constat ayant été opérée par la décision préfectorale, ils peuvent de manière indéterminée et sans justification contrôler toute personne se trouvant dans la zone du contrôle. La différence essentielle entre ce contrôle d’identité et celui de l’article 78-2 alinéa 8 est que dans ce dernier, les policiers n’ont pas besoin d’une décision préfectorale pour pouvoir agir mais en contrepartie c’est à eux de motiver avec rigueur le trouble à l’ordre public justifiant l’opération.

Les contrôles d’identité proactifs. Pour les réaliser, le policier qui va les opérer n’a pas besoin de relever en préalable dans les faits certains éléments lui permettant de recourir au pouvoir. Dès lors qu’une personne rentre dans le champ d’application du pouvoir, elle peut être soumise à la mesure de contrainte quel que soit son comportement et quel que soit le contexte.

Les contrôles d’identité « Schengen » (78-2 al 9 du C.P.P) peuvent être exercés sur toute personne se trouvant dans un lieu rentrant dans la définition de la zone du même nom. L’agent qui désire utiliser cette prérogative n’a pas besoin à titre préalable de recueillir des éléments de contexte en lien avec un trouble à l’ordre public déterminé.

Les contrôles d’identité de l’article 78-2-1 du Code de procédure pénale s’exercent sur les personnes occupées dans une entreprise contrôlée en vertu d’une réquisition du procureur de la République. L’agent n’a pas à faire ressortir des éléments de contexte lui laissant penser que ces personnes sont en situation de travail dissimulé et le parquet n’a pas à motiver sa réquisition. Le contrôle est donc proactif.

M. M.


1 Cass. 1ère civ. 9 novembre 2016, n° 1239, 1241, 1244 et 1245.

2 DC n° 93-323 du 5 août 1993, Contrôles d’identité.

3 Article 78-2 alinéa 9.

4 Cass. 2ème civ. 19 février 2004, n° 03-50.025.

5 QPC du 24 janvier 2017, n° 2016/606-607.

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