Droit pénal – Licence 2

Par Jean-Baptiste CRABIÈRES

Magistrat

Chargé d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3, École de droit de Lyon (EDL)

 

Cass. crim, 10 janvier 2017, n° 16-84.740

 

La problématique de la place des journalistes dans les investigations pénales, marquées par le secret de l'enquête et de l'instruction, continue de nécessiter des précisions et de conduire à des évolutions jurisprudentielles. L'arrêt commenté du 10 janvier 2017 en est une énième illustration. Il convient de noter que la Cour de cassation procède à cette occasion à un revirement de jurisprudence, tout en apportant des précisions à une question déjà évoquée.

 

Dans la présente affaire, une enquête préliminaire avait été diligentée par le procureur de la République, laquelle avait donné lieu à la réalisation d'une perquisition sans assentiment sur autorisation du juge des libertés et de la détention en application de l'article 76 alinéa 4 du Code de procédure pénale.

Or, ladite perquisition avait été réalisée en présence d'un journaliste qui en avait ensuite fait état dans un reportage diffusé à la télévision. Le reportage contenait également une interview du directeur d'enquête.

 

I. Le secret de l'enquête et de l'instruction : un principe cardinal

 

L'arrêt impose tout d'abord de rappeler le principe posé par l'article 11 du Code de procédure pénale, en ses alinéas 1 et 2 :

« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. ».

Fort logiquement, le respect de ce secret s'impose tout particulièrement aux services d'enquête, lesquels pourraient relever, le cas échéant, des sanctions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal. De surcroît, la Cour de cassation, au visa de l'article 11 du Code de procédure pénale et de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, a déjà jugé que la divulgation d’informations permettant d’identifier les personnes mises en cause à l’occasion d’une enquête était constitutive d'une faute lourde obligeant l'État à réparation pour dysfonctionnement du service de la justice (Cass. 1ère civ., 9 mars 1999, n° 96-16.560).

Cependant, si la violation du secret de l'enquête ou de l'instruction est sévèrement réprimée, elle est par principe sans incidence sur la validité d'un acte réalisé antérieurement (Cass. crim., 23 mai 2001, n° 01-81.567). On comprend aisément une telle position, une jurisprudence contraire risquant de conduire certaines parties peu scrupuleuses à organiser des « fuites » de pièces incriminantes pour mieux les faire annuler ensuite.

Pour autant, la question est bien différente lorsque comme dans le cas d'espèce, le secret de l'enquête ou de l'instruction est violé au moment de la réalisation de l'acte dont la nullité est alléguée.

 

II. La violation du secret au moment de la réalisation de l'acte : une nullité à géographie variable

 

La position de principe adoptée par la chambre criminelle jusqu'alors résultait d'une affaire ayant donné lieu à deux arrêts des 19 juin 1995 et 25 janvier 1996. La cour avait tout d'abord affirmé dans l'arrêt du 19 juin 1995 qu'en ce cas, la violation du secret n'était pas sanctionnée, sauf atteinte aux intérêts de la partie concernée (Cass. crim., 19 juin 1995, n° 94-85.915 et 94-85.915). Dans l'arrêt du 25 janvier 1996, la cour, à nouveau saisie à la suite d'un pourvoi formé contre l'arrêt rendu après renvoi, avait alors affirmé que « la violation du secret de l'instruction, non pas postérieure mais concomitante à l'accomplissement d'un acte de la procédure, ne peut conduire à son annulation que s'il en est résulté une atteinte aux intérêts d'une partie » (Cass. crim., 25 janvier 1996, n° 95-85.560).

La position qui était alors celle de la cour doit être lue à la lumière de l'article 802 du Code de procédure pénale et de son interprétation

jurisprudentielle : « En cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne . ».

Il est aujourd'hui admis qu'en application de cet article, il convient de distinguer quatre catégories de nullité obéissant à des régimes différents. Les nullités d'ordre public, de par leur gravité, sont prononcées automatiquement, sans qu'il soit nécessaire de prouver un grief. Les nullités d'intérêt privé nécessitent quant à elles la preuve d'un grief, mais des distinctions doivent être opérées : il existe tout d'abord des nullités dites « textuelles », c'est à dire expressément prévues par un texte, et pour lesquelles la preuve d'un grief est requise. Il existe ensuite des nullités dites « substantielles », prononcées même en l'absence de texte, nécessitant elles aussi la preuve d'un grief. Enfin, pour certaines irrégularités de procédure qui – sans être d'ordre public – portent attentent à des principes cardinaux du droit pénal, il existe des nullités avec « présomption de grief ».

Ainsi, dans son arrêt de 1996 précité, la Cour de cassation avait fait le choix de ranger la question de la violation du secret de l'enquête ou de l'instruction concomitante à l'accomplissement d'un acte de la procédure dans la catégorie des nullités substantielles nécessitant la preuve d'un grief : la violation n'était cause de nullité que s'il en était résulté « une atteinte aux intérêts d'une partie ».

 

III. Le revirement de jurisprudence : un régime de nullité qui se renforce

 

Or, l'arrêt commenté du 10 janvier 2017 procède sur ce point à un revirement. Le deuxième moyen de cassation soulevé, reprenant la position classique de la Cour de cassation dans son arrêt de 1996 précité, tentait de démontrer dans sa première branche l'existence d'un grief. La Cour ne s'embarrasse pas de telles difficultés et répond dans un attendu de principe visant l'article 11 du Code de procédure pénale que « constitue une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction concomitante à l'accomplissement d'une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne, l'exécution d'un tel acte par un juge d'instruction ou un officier de police judiciaire en présence d'un tiers qui, ayant obtenu d'une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son et l'image ».

La nullité de procédure quitte donc le régime des nullités substantielles nécessitant la preuve d'un grief. La formulation adoptée pourrait même laisser à penser que la question relève désormais des nullités d'ordre public. Gageons qu'il n'en est rien : dans l'arrêt précité de 1996, les parties avaient même demandé au cours des investigations le visionnage des images des journalistes pour étayer leurs déclarations. On pourrait donc imaginer sans difficulté des situations où les parties auront tout intérêt à renoncer à la nullité pour se prévaloir des images des journalistes. Il semble donc logique de considérer que la question relève désormais du régime des nullités substantielles à grief présumé. Notons que la cour précise utilement que cette règle ne vaut que lorsque la présence du journalisme a été autorisée : on ne saurait en effet faire grief aux enquêteurs ou magistrats de la violation du secret de l'enquête ou de l'instruction en cas d'images ou vidéos prises à leur insu.

La Cour aurait donc pu se contenter de la première branche du deuxième moyen de cassation. Elle va cependant plus loin, reprenant également à son compte une argumentation soulevée dans la troisième branche du deuxième moyen.

 

IV. La question des scellés visibles à l'écran : une restriction supplémentaire

 

En effet, à l'occasion de la perquisition, les enquêteurs avaient présenté au journaliste des éléments destinés à être saisis en tant que pièces à conviction. Or, l'article 56 du Code de procédure pénale précise en son alinéa 2 que l'officier de police judiciaire a seul « le droit de prendre connaissance des papiers, documents ou données informatiques avant de procéder à leur saisie ». L'alinéa 3 dudit article précise même qu'il a « l'obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense ».

La troisième branche du moyen faisait valoir que les pièces présentées à la caméra permettaient de révéler l'identité du mis en cause et invoquait en conséquence une violation des dispositions de l'article 56 du Code de procédure pénale. La Cour d'appel avait rejeté le moyen, faisant valoir que l'identité en question n'était visible que par un procédé d'agrandissement de l'image, la version originale de la vidéo ne permettant pas une telle identification. Elle concluait en conséquence à l'absence de grief.

Face à un tel argumentaire, la Cour de cassation indique que la Cour d'appel, en statuant ainsi alors qu'un journaliste, muni d'une autorisation, a « assisté à une perquisition au domicile d'une personne gardée à vue et a filmé cet acte, y compris en ce qu'il a permis l'appréhension de documents utiles à la manifestation de la vérité, visible à l'image et qui ont été immédiatement saisis et placés sous scellé », a méconnu la portée de l'article 56 du Code de procédure pénale.

On le voit, la chambre criminelle refuse de se placer sur le terrain de l'existence ou l'absence de grief lié à la révélation de l'identité du mis en cause. Le fait qu'apparaisse à l'image l'appréhension de documents utiles à la manifestation de la vérité et placés sous scellés suffit en tant que tel à caractériser une nullité de procédure sur le fondement de l'article 56 du Code de procédure pénale.

La Cour de cassation lance donc un message très clair à tous les parquetiers, juges d'instructions et officiers de police judiciaire : « pas de journalistes ! ». Et l'on ne peut que l'approuver.

J.-B. C.

Faculté de Droit