Droit fiscal – Licence 3

Aurélien ROCHER,

DJCE, Diplômé du CAPA

Doctorant, Chargé d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Cons. const., déc. 21 oct. 2016, n° 2016-591 QPC, JO 23 oct. 2016

 

Le contexte et la décision

 

L’article 1649 AB, al. 2 à 4, du Code général des impôts, issu de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, a institué un registre public des trusts.

Ce registre recense les trusts déclarés pour lesquels :

  • un au moins des constituants, bénéficiaires ou administrateurs a son domicile fiscal en France ;
  • l’un des biens ou droits sur lesquels le trust porte est situé en France.

Le registre présente donc un certain nombre d’informations sur les trusts déclarés, notamment le nom de l'administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust. Peut accéder à ce registre toute personne munie de son numéro fiscal et de son code d'accès pour y effectuer une recherche en entrant le nom d'un trust ou d'un membre d'un trust.

Ce dispositif fiscal a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par le Conseil d'État au Conseil constitutionnel le 22 juillet 2016 au motif d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée induite par les conditions d'accès audit registre (CE, 22 juillet 2016, n° 400913 : JurisData n° 2016-014576 ; RFP 2016, act. 226).

Dans la décision du 21 octobre 2016, objet de la présente note, le Conseil constitutionnel a décidé que les dispositions de l'article 1649 AB, alinéa 2 du CGI étaient contraires à la Constitution.

Avant d’aller plus avant dans l’analyse de cette décision, il importe de procéder à un rappel de quelques points essentiels de droit.

 

Points de droit

La notion de trust : La notion de trust ressort du droit anglo-saxon et constitue un lointain héritage des croisades, pendant lesquelles les croisés laissaient, sous la forme d’un trust, la gestion de leur patrimoine à une personne de confiance pour le bénéfice, le plus souvent, de leurs héritiers ou proches. En substance, le dispositif juridique est le suivant : en application d'un acte, le trust deed, une personne, dénommée settlor, confie un bien à une autre personne, dénommée trustee, à charge pour celle-ci de le gérer et d'en faire bénéficier une troisième, le beneficiary. Ce dispositif a historiquement été utilisé pour des fins successorales mais son développement récent semble aussi aller dans le sens d’une utilisation à des fins d’évasion fiscale.

La fiducie (C. civ., art. 2011) : Face au constant usage très important du trust dans les pays de tradition juridique de Common law et de l’attractivité de ce régime juridique, le droit français a accoutumé ce dernier sous la forme du contrat de fiducie. La fiducie se définit ainsi comme « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ».

 

Le régime fiscal applicable aux trusts

 

Conscient de l’utilisation massive du trust à des fins d’évasion fiscale, le législateur français a cherché à instaurer un régime apte à assurer l’imposition effective, en matière de droits de mutation à titre gratuit, d’impôt sur le revenu et d’ISF, de ces opérations au travers de la première loi de finances rectificative pour 2011 (L. n° 2011-900, 29 juill. 2011, art. 14 : Dr. fisc. 2011, n° 30-34, comm. 461). Ce régime fiscal repose sur des obligations déclaratives à la charge des administrateurs de trusts afin de révéler à l'administration fiscale l'identité des constituants, bénéficiaires et administrateurs, la composition de leurs actifs et tout événement affectant le trust, pouvant donner lieu à imposition en France. Pour s’assurer du respect de ce dispositif, des sanctions particulièrement dissuasives ont été instaurées, notamment une amende à hauteur de 12.5% de la valeur des actifs en trust pour les manquements aux obligations déclaratives constatés à compter du 8 décembre 2013.

La collecte de ces informations permet ainsi la mise en place et la tenue d’un registre public des trusts, prévu dès la loi de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013, art. 11 : Dr. fisc. 2013, n° 51, comm. 566). Les modalités de consultation de ce registre devaient être déterminées par la voie réglementaire, ce qui fut chose faite via le décret en Conseil d'État daté du 10 mai 2016 (D. n° 2016-567, 10 mai 2016 : Dr. fisc. 2016, n° 21, act. 306), aboutissant à la mise en ligne du registre le 4 juillet 2016.

C’est le régime issu de ce décret qui fait l’objet de la censure du Conseil constitutionnel. Celui-ci relève certes que le législateur a poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales mais constate aussi que la publicité du registre « fournit des informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine » et constitue une atteinte au droit au respect de la vie privée.

La comparaison avec l’exemple antérieur du FICOVIE, c’est-à-dire le fichier des contrats d'assurance-vie prévu par la loi de finances rectificative pour 2013 (L. n° 2013-1279, 29 déc. 2013, art. 10 : Dr. fisc. 2014, n° 5, comm. 102), est, à ce titre, très enrichissante (comme relevé par M. KHAYAT et S. PANNETIER, "Censure du registre public des trusts : vie et mort d'un OVNI juridique", Dr. fiscal 2016, comm. 620). Ce fichier, poursuivant le même objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, recense les informations relatives aux polices d’assurance-vie souscrites auprès de banques et d’assurances établies en France, et a, quant à lui, été jugé conforme à la constitution. Il est à noter, cependant, que ledit fichier n’est accessible que par l’administration fiscale, astreinte au secret professionnel.

Cette décision du Conseil constitutionnel permet donc de rappeler que la forte dynamique, constatée au niveau mondial, de lutte contre la fraude fiscale, ne saurait faire l’économie du respect des droits fondamentaux, et plus particulièrement du droit au respect de la vie privée.

A. R.

Faculté de Droit