Procédure civile – Licence 3

Hervé CROZE

Professeur à la Faculté de Droit, Université Jean Moulin Lyon 3

 

Loi n° 2016-1547, 18 novembre 2016, JO 19 novembre 2016

 

Nul n’ignore que les actions de groupe ont été introduites en droit français par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (dite « loi Hamon »).

On considère unanimement que cet essai était insuffisant ; il a d’ailleurs donné lieu à très peu d’actions effectives ; neuf à fin décembre 2016. C’est pourquoi la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle prétend mettre en place un droit commun des actions de groupe.

 

Les actions de groupe à la française sont un avatar des class actions américaines. Elles sont et resteront beaucoup moins efficaces que ces dernières. En effet les class actions américaines peuvent être introduites directement par les avocats qui prélèvent un honoraire de résultat très important en cas de succès.

Cette solution a été clairement rejetée par le législateur français qui craint qu’elle ne mette en difficulté les entreprises : les actions de groupe seront introduites pratiquement par des associations ou des syndicats qui n’en tireront personnellement aucun profit.

Ce droit commun a une effectivité importante mais limitée car il ne s’appliquera qu’aux actions déterminées par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016. Selon l’article 60 de la loi :

 

« Sous réserve des dispositions particulières prévues pour chacune de ces actions, le présent chapitre est applicable aux actions suivantes devant le juge judiciaire :

1° L’action ouverte sur le fondement de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

2° L’action ouverte sur le fondement des articles L. 1134-6 à L. 1134-10 du code du travail ;

3° L’action ouverte sur le fondement de l’article L. 142-3-1 du code de l’environnement ;

4° L’action ouverte sur le fondement du chapitre III du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique ;

5° L’action ouverte sur le fondement de l’article 43 ter de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. »

(Il faut ajouter que la même loi modifie le Code de justice administrative en introduisant des dispositions relatives à l’action de groupe devant le juge administratif.)

Par ailleurs les actions de groupe en matière de consommation restent soumises au seul Code de la consommation.

Voici la liste simplifiée des nouvelles actions de groupe :

  • actions de groupe en matière de discrimination (cas général) ;
  • actions de groupe en matière de discrimination en droit du travail ;
  • actions de groupe en matière d’environnement ;
  • actions de groupe en matière de santé (créées par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) ;
  • actions de groupe en matière de protection des données à caractère personnel.

Voici le schéma procédural des actions de groupe devant le juge judiciaire étant rappelé d’une part que des dispositions spéciales peuvent y déroger, d’autre part que la loi sera généralement complétée par des décrets. Le tribunal de grande instance est compétent.

 

I. Conditions de l’action

 

D’une manière générale : «lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles , une action de groupe peut être exercée en justice au vu des cas individuels présentés par le demandeur » (art.62).

L’action ne peut être en principe exercée que par « les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte » (art.63).

La nouveauté est ici dans la reconnaissance de la qualité pour agir à des associations non agréées.

 

II. Objet de l’action

 

L’« action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices subis, soit de ces deux fins » (art.62).

La nouveauté est ici dans la reconnaissance d’une action en cessation de manquement qui peut être exercée de manière indépendante.

 

III. Mise en demeure préalable et médiation

 

Les associations qui portent l’action de groupe peuvent recourir à la médiation au moins pour obtenir la réparation des préjudices individuels (art.75). L’accord devra être homologué par le juge qui devra vérifier s’il est conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer et lui donnera force exécutoire (art.76).

En général et sauf dispositions particulières, l’introduction de l’action de groupe devra être précédée d’une mise en demeure adressée au défendeur pressenti afin qu’il « puisse prendre les mesures pour cesser ou faire cesser le manquement ou réparer les préjudices subis ». À peine d’irrecevabilité l’action ne pourra être introduite « qu’à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la réception de cette mise en demeure » (art.64).

 

IV. Cessation du manquement

 

Le juge qui constate l’existence d’un manquement « enjoint au défendeur de cesser ou de faire cesser ledit manquement et de prendre, dans un délai qu’il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin, au besoin avec l’aide d’un tiers qu’il désigne » (art.65).

Cette injonction peut être assortie d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor public (et non de l’association !).

 

V. Réparation des préjudices

 

Si le juge reconnait la responsabilité du défendeur :

« il définit le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité du défendeur est engagée en fixant les critères de rattachement au groupe et détermine les préjudices susceptibles d’être réparés pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe qu’il a défini » (art.66) ;

  • il fixe le délai d’adhésion au groupe ;
  • il ordonne les mesures de publicité pour informer les personnes susceptibles d’avoir subi un dommage causé par le fait générateur constaté ; elles ne seront mises en œuvre que quand le jugement ne pourra plus faire l’objet ni d’un recours ordinaire (notamment l’appel), ni d’un pourvoi en cassation et seront à la charge du défendeur (art.67).

 

A. Procédure collective de liquidation des préjudices

C’est encore une nouveauté importante dont il faudra apprécier l’effectivité pratique.

Le juge peut autoriser le demandeur, sur sa demande et si le contexte s’y prête « à négocier avec le défendeur l’indemnisation des préjudices subis par chacune des personnes constituant le groupe » (art.67).

Dans ce cas :

- il détermine « le montant où tous les éléments permettant l’évaluation des préjudices susceptibles d’être réparés pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe qu’il a défini » ;

- il fixe « les délais et modalités selon lesquels cette négociation et cette réparation doivent intervenir » (art.72).

Les personnes intéressées doivent adhérer au groupe, ce qui vaut mandat ad agendum 1 au profit du demandeur.

Si l’on parvient à un accord, qui peut n’être que partiel, il doit être accepté par les membres du groupe concerné et homologué par le juge qui vérifie que les intérêts des parties et des membres du groupe sont suffisamment préservés (art.73).

En l’absence d’accord total, le juge liquidera les préjudices subsistants.

C’est une procédure curieuse : le terme de négociation fait penser à un mode de règlement amiable des différends (MARD), mais cette négociation est faite sous la contrainte.

En particulier, le dernier alinéa de l’article 73 prévoit que le demandeur ou le défendeur qui fait obstacle à la conclusion de l’accord d’une manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un montant maximal, astronomique par rapport aux pratiques habituelles, de 50 000 €.

 

B. Procédure individuelle de réparation des préjudices

En cas de réparation individuelle des préjudices, ce qui reste le principe, les personnes concernées doivent adhérer au groupe en adressant une demande de réparation soit au responsable, soit au porteur de l’action qui est ainsi mandaté ad agendum (art.69).

Il n’y a pas de difficulté si le défendeur indemnise spontanément les membres du groupe (art.70).

Dans la négative, le juge condamnera la personne responsable à indemniser ceux qui ne l’auront pas été intégralement (art.71).

D’une manière générale, le concours éventuel entre les actions de groupe et les actions individuelles peut susciter deux sortes de difficultés :

en matière de prescription : l’action de groupe suspend la prescription des actions individuelles ; la prescription recommande à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à 6 mois soit à compter de la date à laquelle le jugement n’est plus susceptible de recours ordinaire ou de pourvoi en cassation, soit à compter de la date de l’homologation de l’accord résultant d’une éventuelle médiation ;

en matière d’autorité de chose jugée : le jugement de condamnation ou celui qui homologue l’accord résultant d’une médiation « ont autorité de la chose jugée à l’égard de chacune des personnes dont le préjudice a été réparé au terme de la procédure » (art.77). Naturellement l’adhésion au groupe n’empêche pas d’agir en réparation de préjudices qui n’entrent pas dans le champ défini par le jugement ou l’accord de médiation homologué (art.79). Enfin une nouvelle action de groupe fondée « sur le même fait générateur, le même manquement et la réparation des mêmes préjudices que ceux reconnus » par le jugement ou par un accord résultant d’une médiation homologué se heurterait à l’effet négatif de la chose jugée et serait donc irrecevable.

H. C.


1 Le mandat ad agendum est le mandat d’agir en justice. Il ne se confond pas avec le mandat ad litem que l’association donnera éventuellement à un avocat puisque la représentation est obligatoire devant le tribunal de grande instance.

Faculté de Droit