Droit des affaires – Licences 2, 3/ Master

Par Mina ADEL ZAHER

Doctorant, Chargé d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption, et à la modernisation de la vie économique (Sapin 2) publiée au Journal Officiel

 

Plus de vingt trois ans après la première loi « anti-corruption » du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique qui vient d'être publiée avait été adoptée le 8 novembre 2016 par le Parlement, dans le cadre de la procédure accélérée engagée par le Gouvernement le 30 mars 2016. Cette loi a été publiée au Journal Officiel le 10 décembre 2016. Le même jour, une loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, a été publiée.

 

Structurée autour de neuf titres, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption, et à la modernisation de la vie économique contribue à créer un environnement favorable à l’activité économique, le coût de la corruption pénalisant aussi bien les entreprises que le budget de l’État. Ses 169 articles prévoient la mise en place d’un service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption et la création d’un répertoire des représentants d’intérêts, mais aussi le financement de la protection des lanceurs d’alerte. Ces mesures sont de nature à étayer la confiance des citoyens et de la société civile en l’action publique. Mais que sont les lanceurs d’alerte ?

 

Le « lanceur d’alerte » : une personne bien protégée par la loi

 

L’article 6 de la loi définit le lanceur d’alerte comme : « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance . Sachant que « les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre » .

La loi offre ainsi une définition du lanceur d’alerte et crée un socle de droits commun à tous les lanceurs d’alerte. L’anonymat du lanceur d’alerte sera garanti par la loi. Le Défenseur des droits pourra donc accorder un soutien financier au lanceur d’alerte, destiné à prendre à sa charge ses éventuels frais de justice en cas de représailles de son employeur et réparer certains des dommages qu’il a subis.

 

La création de l’Agence française anticorruption

 

La loi a créé une nouvelle entité appelée : « l’Agence française anticorruption ». Cette agence a pour mission de contribuer à la représentation et à la coordination de la position française auprès des organisations internationales dans le domaine de la lutte contre la corruption. Selon l’article premier de la loi, il s’agit « d’un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget, ayant pour mission d'aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ». Ainsi, cette Agence remplacera le Service central de prévention de la corruption (SCPC), tout en bénéficiant de nouvelles prérogatives ayant pour objectif la lutte contre la corruption. L'Agence française anticorruption devrait être mise en place par un décret qui sera publié, au plus tard, au début du mois de mars 2017.

La loi tend également à étendre le champ de la composition administrative de l’Autorité des marchés financiers (AMF)1, transposer plusieurs directives et appliquer plusieurs règlements européens (abus de marché, dispositions répressives de diverses directives financières), et élargir les pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)2. Pour mieux comprendre le rôle de ces autorités, l’article 16 de la loi insère l’article (L. 634-1) au Code monétaire et financier qui dispose que : « L'Autorité des marchés financiers et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution mettent en place des procédures permettant que leur soit signalé tout manquement aux obligations définies par les règlements européens et par le présent code ou le règlement général de l'Autorité des marchés financiers et dont la surveillance est assurée par l'une ou l'autre de ces autorités ».

La loi prévoit, en outre, différentes mesures de protection des consommateurs en matière financière, concernant la durée de validité des chèques, les comptes de paiement, la possibilité d’affecter une partie du livret de développement durable au bénéfice de l’économie sociale et solidaire (ESS). Le texte propose enfin des mesures pour moderniser la vie économique tout en assurant la protection des épargnants et des investisseurs.

La publication de cette loi a été accompagnée de la publication d’une loi organique. « Une loi organique est une loi qui structure les institutions de la République et pourvoie aux fonctions des pouvoirs publics. Une loi organique complète la Constitution afin de spécifier l'organisation des pouvoirs ». La loi organique et la loi ordinaire ont fait l’objet d’un grand débat au cours de l’année 2016. Elles ont été finalement soumises au Conseil constitutionnel qui s’est prononcé sur la conformité de leurs dispositions aux articles de la Constitution.

 

La publication d’une loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte

 

Loi organique n° 2016-1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte

Article unique

La loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits est ainsi modifiée :

1° L'article 4 est complété par un 5° ainsi rédigé :

« 5° D'orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette personne [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016.] » ;

2° L'article 10 est ainsi modifié :

a) Au second alinéa, après la référence : « 3° », est insérée la référence : « et au 5° » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Il ne peut ni être saisi ni se saisir, au titre de ses compétences mentionnées au 5° du même article 4, des différends qui ne relèvent pas des situations prévues par la loi. » ;

3° Au premier alinéa du I de l'article 11, après le mot : « égalité », sont insérés les mots : «, d'orientation et de protection des lanceurs d'alerte » ;

4° L'article 20 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes ayant saisi le Défenseur des droits ne peuvent faire l'objet, pour ce motif, de mesures de rétorsion ou de représailles. » ;

5° Au premier alinéa du II de l'article 22, après la référence : « 3° », est insérée la référence : « et 5° ».

La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.

Suite au contrôle du Conseil constitutionnel, uniquement les mots « et, en tant que de besoin, de lui assurer une aide financière ou un secours financier » figurant au 1° de l'article unique de la loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des ‌lanceurs d'alerte3 furent déclarés contraires à la Constitution. Le reste de l'article unique de la loi organique a été déclaré comme conforme à la Constitution. Ceci démontre l’importance du rôle du Conseil constitutionnel en la matière.

 

Le contrôle du Conseil constitutionnel

 

Concernant la loi ordinaire, le Conseil constitutionnel a validé une grande majorité des dispositions contestées.

Néanmoins, d’autres dispositions étaient considérées comme non conformes à la Constitution . Par exemple, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article 6, relatif à la définition du lanceur d’alerte, était conforme à la Constitution : « Les critères de définition du lanceur d'alerte ainsi retenus ne sont pas imprécis ». L’article 8 relatif à l’organisation de la procédure de signalement de l’alerte en trois phases successives (auprès de l’employeur, auprès d’une autorité administrative ou judiciaire, et en l’absence de traitement, auprès du public) a été également maintenu.

Cependant, le Conseil constitutionnel a invalidé d’autres dispositions de la loi « Sapin 2 » obligeant les multinationales à publier leurs données financières, jugeant qu'elles portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Il a également déclaré contraire à la Constitution, l'ancien article 23 de la loi qui attribuait, au procureur de la République financier et aux juridictions d'instruction et de jugement de Paris, une compétence exclusive pour la poursuite, l'instruction, et le jugement de délits en matière fiscale, économique et financière.

Finalement, il s’avère important de retenir que la nouvelle loi a mis en place un dispositif de prévention de la corruption pour les grandes entreprises. Elle a facilité la poursuite de faits de corruption, notamment au niveau international, tout en accordant une meilleure protection aux lanceurs d’alerte. La nouvelle loi a pour objet de porter la législation française aux rang des meilleurs standards européens et à instaurer davantage de transparence dans le processus d’élaboration des décisions publiques et dans la vie économique. Ainsi, la loi du 9 décembre 2016 constitue une nouvelle étape dans l’édification d’un corpus ayant pour objectif la lutte contre la corruption dans les relations entre les acteurs économiques et les décideurs publics.

M. A. Z.

Faculté de Droit