Droit des contrats - Licences 2 et 3

Par Maïthé SAMBUIS

Avocate au Barreau de Lyon, www.sambuis-avocat.com

Chargée d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Cass, civ. 1ère, 22 juin 2016, n° 15-18086

 

Par un arrêt du 22 juin 2016, la 1re chambre civile de la Cour de cassation1 est venue confirmer une jurisprudence qu’elle a établie par quatre arrêts marquants du 18 janvier 2012 2, et selon laquelle :

« 1) ALORS QUE seuls sont rapportables à la succession les donations et les avantages indirects ; que l'occupation gratuite d'un immeuble qui s'analyse comme un commodat [ou prêt à usage], n'est ni une donation ni un avantage indirect résultant d'une convention entre le [défunt] et son héritier ; qu'en décidant que Mme A. devra rapporter à la succession l'avantage constitué par la jouissance exclusive dont elle a bénéficié de la maison de l'île de Ré deux mois et demi par an de 1989 à 2005 inclus et cinq mois et demi par an de 2006 jusqu'au décès de Camile Y. le 31 janvier 2009, quand l'occupation intermittente à titre gratuit d'un immeuble constitue un prêt à usage, distinct d'une donation ou d'un avantage indirect, la cour d'appel a violé les articles 843 et 853 du code civil ;

2) ALORS QUE la libéralité rapportable à la succession suppose de la part du disposant l'intention de gratifier son héritier [ET un appauvrissement du disposant] ; qu'en se bornant à relever que « Mme A... a bénéficié d'un avantage constitué par la jouissance gratuite d'un bien […], rompant l'égalité entre les héritiers et contribuant à l'appauvrissement du patrimoine de sa mère qui s'est trouvée privée de la possibilité de louer la maison et d'en tirer des revenus pendant les vacances de Pâques et la saison estivale », sans caractériser l'existence d'une intention libérale à l'origine de cet avantage prétendu [ET] sans établir la réalité de l'appauvrissement qui en serait résulté, faute de constater que Mme Y. aurait souhaité louer la maison et en tirer des revenus], la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».

Voilà qui est rassurant pour tous les parents qui souhaitent accorder la jouissance gratuite d’un bien immobilier à l’un de leurs enfants et pour l’enfant en question, lequel n’a plus à craindre le rapport de cet avantage lors de leur succession sauf à ce qu’il soit démontré (difficilement en pratique, au regard de la jurisprudence récente), d’une part, l’intention libérale de ses parents et d’autre part, leur appauvrissement.

Or, l’enjeu financier est souvent considérable puisqu’il représente, en général, l’équivalent de loyers sur des dizaines années (comme dans la décision précitée).

C’est donc tout l’intérêt de la qualification de l’opération en prêt à usage ou commodat.

Cette convention, datant pourtant du droit romain, vient en effet au secours des familles en mettant un terme à un abondant et récurrent conflit en la matière.

« C’est [dès lors, bien] dans les vieux pots que l’on fait la meilleure soupe » !

 

Mais, finalement, qu’est-ce que véritablement le commodat ?

 

• Selon l’article 1875 du Code civil, il s’agit d’« un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi » ; l’article 1878 du même code ajoutant, en outre, que « Tout ce qui est dans le commerce, et qui ne se consomme pas par l’usage, peut être l’objet de cette convention ».

Il ressort de ces textes qu’une grande place est laissée à l’imagination des praticiens de sorte qu’en réalité, le commodat recouvre des situations extrêmement diverses. Cette souplesse constitue d’ailleurs un de ses plus grands avantages. Outre le cas précité, il peut en effet aussi s’agir :

Du prêt à usage d’une partie du logement du dirigeant à sa société en cas, par exemple, d’interdiction par son bail de la seule sous-location ;

Du prêt à usage dans l’attente de la finalisation d’une vente immobilière ;

Du prêt à usage de cuves accessoire à un contrat de distribution conclu entre une société pétrolière et un pompiste, etc..

 

• Un autre avantage du contrat de prêt à usage, est par ailleurs qu’il permet - lorsqu’il est écrit du moins -, de sécuriser les rapports entre les parties, en particulier s’agissant :

D’une part, de la personne qui supportera le risque de perte de la chose (outre son entretien) ;

Les articles 1880 et suivants du Code civil prévoient, en effet, que l’emprunteur est responsable, même par cas fortuit, lorsque :

Il utilise la chose pour un usage autre que celui déterminé par sa nature ou par la convention ou pour un temps plus long ;

Il aurait pu empêcher la perte de la chose en employant ou en sacrifiant la sienne ;

Ou si la chose perdue a été estimée en la prêtant, sauf convention contraire.

En revanche, selon l’article 1884 du Code civil, l’emprunteur n’est bien évidemment jamais responsable de la seule détérioration par l’usage et sans faute de sa part de la chose qui lui a été prêtée.

D’autre part, de la fiscalité et de la réglementation applicables à l’opération (le contrat de prêt à usage échappant, comme indiqué précédemment, à la réglementation sur les donations (rapport à la succession) mais aussi sur la location (imposition des revenus locatifs) et sur les ventes (publicité foncière)).

 

• S’agissant d’un prêt, le commodat se distingue, en effet, non seulement de la donation (ce qui permet, en l’occurrence, de ne pas se déposséder définitivement de la chose), mais aussi de la vente et de la location.

A contrario , le principal risque du prêt à usage est précisément sa requalification en donation (sous les deux conditions restrictives précitées) ou en location.

Dans ce dernier cas, il faut rappeler que le contrat de prêt à usage se doit d’être « essentiellement gratuit » selon l’article 1876 du Code civil.

Bien sûr, cela n’empêche pas l’emprunteur de supporter certaines charges tels que les frais de conservation de la chose prêtée puisque, conformément à l’article 1880 du Code civil, il est tenu de cette conservation.

Néanmoins, les charges en question ne doivent jamais équivaloir au versement d’un loyer (à défaut de quoi il s’agirait, au contraire, d’une opération à titre onéreux relevant du statut des baux).

A ce titre, une comparaison coût/service rendu s’avère parfois nécessaire.

II est, en outre, communément admis que l'emprunteur puisse s'acquitter du paiement, par exemple, de charges afférentes à l'occupation de l'immeuble et à l'usage de ses équipements ainsi que de la taxe d'habitation et, le cas échéant, du paiement de la contribution à l’audiovisuel public (redevance télé) durant la période de jouissance (s’il s’agit naturellement de la jouissance gratuite d’un logement).

En revanche, le prêteur doit toujours rester le seul redevable de la taxe foncière.

De même, ont été requalifiées en contrats de bail, les conventions qui mettaient à la charge de l’occupant d’un bien immobilier, une indemnité mensuelle ou une rétrocession d’honoraires (entre dentistes par exemple).

Plus récemment, a également été requalifié en bail (rural, cette fois), le contrat de prêt à usage de parcelles agricoles dans lequel l’emprunteur s’obligeait à « payer, pendant toute la durée du prêt et au prorata de cette durée, les impôts et toutes taxes grevant le bien prêté » alors même que, dans les faits, le paiement de ces impôts et taxes n’a finalement jamais été réclamé ! ( Cass. 3ème civ., 26 mai 2016, n° 15-10838).

 

• S’agissant de considérations plus générales, il sera enfin précisé que le contrat de prêt à usage est, comme tout contrat, à durée déterminée ou indéterminée :

S’il est à durée déterminée, il prend alors fin, en principe, automatiquement au terme convenu qui peut être une date précise ou la cessation des besoins de l’emprunteur (la fin des études de l’enfant, par exemple).

Néanmoins, si avant cela, le prêteur a un besoin « imprévu et pressant » de la chose, le juge peut, bien sûr et suivant les circonstances, obliger l’emprunteur à la lui rendre. Cela peut être, en particulier, le cas lorsque le prêteur connait des difficultés financières ou de santé qui n’existaient pas lors de la conclusion du contrat.

Si le commodat est à durée indéterminée, il peut, dans ce cas, y être mis fin à tout moment en respectant simplement un préavis raisonnable (en matière de prêt d’un logement, six mois ayant été jugés suffisant).

Le prêt à usage est, en outre, cessible pour cause de mort, c’est-à-dire que les héritiers de l’emprunteur peuvent continuer à jouir de la chose qui lui a été prêtée dans les conditions initialement fixées, sauf si le prêt a été conclu en considération de la personne de ce dernier et à lui seul.

En revanche, en principe, l’emprunteur ne peut, de son vivant, ni céder son prêt à usage, ni sous-prêter à un tiers, sauf, là encore évidemment, convention contraire entre le prêteur et l’emprunteur.

M. S.


1 Cass ; 1ère Civ., 22 juin 2016, n° 15-18086.

2 Cass. 1ère Civ., 18 janvier 2012, n° 09-72.542 ; Cass. 1ère Civ., 18 janvier 2012, n° 10-25.685 ; Cass. 1ère Civ., 18 janvier 2012, n° 10-27.325 ; Cass. 1ère Civ., 18 janvier 2012, n° 11-12.863.

Faculté de Droit