Droit social – Licence 3

Par Stéphanie ARIAGNO-TAMBUTÉ

Professeur de SES

Doctorante, Université Jean Moulin Lyon

 

Cons. const., Décision n° 2016-582, QPC du 13 octobre 2016
Société Goodyear Dunlop Tires France SA

 

Le contexte économique national difficile est régulièrement marqué par des plans sociaux médiatisés. L’affaire portée devant le Conseil constitutionnel par une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) a trait à un démembrement d’un plan social juridiquement et socialement complexe mis en place dans la société Goodyear.

 

Les salariés et ex-salariés de l’entreprise sont appelés dans les médias « les Goodyear » preuve de la notoriété de leur combat juridique.

Le droit du travail est un droit riche et subtil dans son application. Certaines dispositions ne sont applicables qu’à compter d’un certain nombre de salariés notamment. Ces dispositions appelées « effets de seuils » impliquent qu’une fois dépassé le nombre de salariés requis, les entreprises sont soumises à de nouvelles obligations.

Il est notoire que certaines entreprises font en sorte de ne pas dépasser ces seuils afin de ne pas être soumises à des obligations plus contraignantes comme par exemple le fait de dépasser le nombre de 50 salariés et donc, de devoir mettre en place un Comité d’Entreprise. En droit du licenciement également ces effets de seuil ont un impact. Afin de comprendre les enjeux de cette décision du Conseil constitutionnel du 13 octobre 2016, il convient de s’interroger sur l’intérêt d’une distinction des sanctions selon la taille des entreprises en cas de licenciement sans cause et réelle.

Nous rappellerons tout d’abord le cas d’espèce et les règles prévalant en ce domaine (1) puis nous examinerons en quoi la législation sauvegarde tout de même le principe d’égalité devant la loi (2).

 

1. Un plan social conflictuel en l’espèce

Le conflit social sur le site de production de pneumatiques Goodyear d’Amiens-nord dure depuis plusieurs années et les contentieux juridiques ne sont pas encore épuisés. Les premières difficultés remontent à 2007 lorsque le groupe propriétaire de l’usine souhaite réorganiser la production afin d’être plus compétitif. Un passage des horaires en 4x8 est proposé aux salariés. Le site d’Amiens-Sud accepte la proposition tandis que le site d’Amiens-Nord refuse. Le contexte économique mondial se dégradant au cours de l’année 2007, la direction du groupe décide en 2008 de supprimer la production de pneus tourisme sur le site d’Amiens-Nord. Conséquence directe pour le site d’Amiens-Nord : 817 salariés sont susceptibles d’être licenciés.

A partir de cette date, la situation sociale sur le site ne cessera de se dégrader entre plan de sauvegarde de l’emploi porté devant la Justice par les salariés, séquestration des dirigeants et tentatives de reprise du site par un tiers et par les salariés eux-mêmes dans le cadre d’une SCOP (société coopérative et participative).

Le contentieux juridique dont le Conseil constitutionnel devait traiter le 13 octobre 2016 portait sur une QPC soulevée par les conseils de la direction Goodyear. En effet, l’article L. 1235-3 al. 2 du Code du travail dispose que « si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié.

Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ». Cependant, l’article L. 1235-5 al. 2 du même code précise que ce montant minimal n'est pas applicable au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

Il s’agissait donc de savoir si l’application d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse différentes selon la taille de l’entreprise pouvait être analysée comme inconstitutionnelle aux motifs que cette distinction violerait le principe d’égalité devant la loi et de liberté d’entreprendre. Dans les deux cas, le Conseil constitutionnel décidera d’une pleine compatibilité des dispositions légales avec la Constitution en considérant que cette différence tend à préserver l’intérêt général.

 

2. Une législation protectrice du principe d’égalité devant la loi : à situation différente, indemnité différente

Le Conseil constitutionnel développe une analyse classique en matière de contrôle de constitutionnalité. Il va vérifier la proportionnalité et l’adéquation du critère législatif retenu pour opérer la distinction et l’objectif de la loi. En l’espèce, le législateur cherche, tant avec l’article L. 1235-3 qu’avec l’article L. 1235-5 du Code du travail, à dissuader les employeurs de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Le raisonnement du Conseil constitutionnel se décompose en trois temps. Il estime qu’en prévoyant des indemnités différentes selon la taille de l’entreprise, le législateur souhaitait « faire peser une moindre charge sur les entreprises qu’il a estimé économiquement plus fragiles ». Il s’agit d’un but d’intérêt général permettant donc un traitement des situations différent. Ensuite, le Conseil précise que le critère de l’effectif ne méconnaît pas le principe de la liberté d’entreprendre. Cette liberté d’entreprendre ne peut être limitée pour un motif d’intérêt général et l’atteinte ne doit pas être disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. En mettant en corrélation l’indemnité minimale correspondant à 6 mois de salaires pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse dans les entreprises d’au moins 11 salariés avec le droit à obtenir un emploi garanti par le Préambule de la Constitution de 1946, les Sages considèrent qu’il n’y a pas violation de la liberté d’entreprendre.

Enfin, le Conseil estime qu’en permettant aux juges d’octroyer une indemnité supérieure aux 6 mois de salaires minimum, le législateur ne fait que mettre en œuvre le principe de responsabilité consacrée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Ainsi, le Conseil constitutionnel valide une différence de traitement des salariés en fonction de la taille de l’entreprise. Cela ne contribue pas à clarifier le droit du travail puisque par le passé, le Conseil a pu invalider des dispositions introduisant une différence de traitement des salariés en fonction de la taille de l’entreprise mais l’objectif du législateur était autre.

En rejetant la QPC posée par les avocats de la société Goodyear, le Conseil constitutionnel valide un dispositif permettant de subtils arbitrages en fonction des types d’entreprise. Une sanction différente selon le nombre de salariés dans l’entreprise n’a pas vocation à créer une rupture d’égalité devant la loi des salariés mais bien de permettre une sanction adaptée à la taille de l’entreprise. Quel que soit le cas de figure – entreprise de plus ou moins 11 salariés – le législateur a prévu une sanction dissuasive contre un employeur qui se rendrait fautif d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’égalité devant la loi n’empêche pas une adaptation de la sanction à la situation précise pourvu que le but et les effets juridiques soient identiques. Le Conseil constitutionnel, garant de nos droits et libertés fondamentaux vient de le rappeler à juste titre : sanctionner une faute quelle que soit sa gravité ne doit pas compromettre l’équilibre financier de l’entreprise.

S. A.-T.

Faculté de Droit