Droit social – Licence 3

Stéphanie ARIAGNO-TAMBUTÉ

Professeur de S.E.S

Chargée d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

 

Certains projets de lois connaissent des destins plus ou moins mouvementés et connaissent la gloire avant même d’être adopté par le Législateur. Le projet de réforme du droit du travail dit « Loi Travail », porté par la Ministre du travail, Mme El Khomri, fait partie de ce type de projet de lois.

 

Présenté début 2016, le projet de loi a été plusieurs fois remanié sous l’impulsion des syndicats et de la contestation sociale née de la présentation du projet de loi. L’objet de la Loi travail est en effet une modification profonde des relations sociales dans l’entreprise. Des principes anciens et essentiels à l’identité du droit du travail français sont – étaient- remis en question dans ce projet. L’objectif initial de la loi était d’améliorer la compétitivité des entreprises et favoriser l'emploi dans un contexte de chômage de masse.

Finalement adoptée à l’été 2016 par la procédure dite du « 49-3 », le contenu de la Loi travail a beaucoup évolué. Nous proposons un tour d’horizon des réformes souhaitées et des réformes qui verront finalement le jour.

 

1. Un projet de loi ambitieux et novateur

Quand le projet de loi est présenté en février 2016, l’une des idées fortes était de donner la primauté aux accords d’entreprises sur les autres types d’accords. Deux autres grands axes se dégageaient : plafonnement des indemnités devant les Conseils de Prud’hommes et modification des critères du licenciement économique.

La volonté du Ministère du Travail était la mise en place de « plus de dialogue social, plus de souplesse et de visibilité pour les entreprises, plus de protections pour les actifs et en particulier ceux en situation de précarité. Avec un objectif : construire un monde du travail, en phase avec les parcours professionnels actuels et créateur d’emplois durables » (voir présentation de la loi par le Ministère du Travail).

En période de crise économique, la question de l’attractivité est essentielle en économie. Or, il est de coutume de dire que le droit du travail peut être un frein à l’activité économique en encadrant de façon trop restrictive les capacités d’adaptation des facteurs de productions de l’entreprise. L’idée générale depuis plusieurs années est d’instaurer plus de souplesse dans la gestion des règles en droit du travail.

Cependant, il faut veiller – et c’est la tâche des partenaires sociaux – à respecter un équilibre entre les droits fondamentaux des salariés et les contraintes économiques subies par les employeurs. Le projet de loi a cristallisé les peurs et les inquiétudes dans une période où le chômage de masse ne baisse pas. Cette période de contestation sociale illustre donc les liens évidents entre le droit et les problématiques sociales. Le droit n’est pas hermétique à son environnement et il est difficile pour le Législateur de réformer le droit en profondeur si le contexte social ne s’y prête pas.

 

2. Un texte de loi marqué par la contestation sociale et recherche du consensus

L’adoption de la Loi Travail a été rendue possible par l’utilisation de la procédure dite du 49-3. Cette procédure autorisée par l’article 49-3 de la Constitution de la Vème République permet au Gouvernement d’engager sa responsabilité sur l’adoption d’un texte. Pour mettre fin à la contestation sociale et pour parvenir à sortir par le haut d’une crise sociale, le Gouvernement a choisi de « passer en force » afin de parvenir à l’adoption d’un texte avant les vacances législatives.

 

Article 49, alinéa 3

Constitution française

« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

 

L’article 2 du projet de loi, article le plus contesté car le plus novateur dispose finalement que c'est bien dans l'entreprise que doivent se négocier les questions d'organisation du temps de travail. La durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine, mais c’est entreprise par entreprise que seront prises les modalités concernant les heures supplémentaires et le seuil de déclenchement de la rémunération des heures supplémentaires. Cependant, en l’absence d’accord, les règles négociées dans la branche continueront de s’appliquer. Il faudra donc une négociation dans chaque entreprise avec les partenaires sociaux représentatifs de cette entreprise pour déterminer les règles exactes en matière de temps de travail. L’idée étant de rapprocher les règles du temps de travail avec la réalité économique et les besoins de l’entreprise ; ces règles étant évolutives dans le temps.

In fine , concernant le licenciement économique, la position adoptée est le fruit d’un consensus entre les partenaires sociaux. Les TPE (moins de 11 salariés) pourront recourir au licenciement économique si elles subissent une baisse de chiffre d'affaires pendant plus d'un trimestre (comparé à l'année précédente). Les PME de 11 à 50 salariés devront justifier de deux trimestres consécutifs, celles de 50 à 300 salariés de trois trimestres consécutifs. Au-delà de 300 salariés, il faudra quatre trimestres de baisse. L’idée est de rendre ce critère du chiffre d’affaires plus objectif et plus conforme à la réalité économique des entreprises. Pour les multinationales, le périmètre d’analyse des difficultés économiques reste « le périmètre monde » c’est-à-dire la jurisprudence appliquée actuellement. Les difficultés économiques s’entendent comme « une baisse significative [...] des commandes ou du chiffre d'affaires ». Il est également possible d’invoquer « des pertes d'exploitation, une dégradation de la trésorerie » ou « tout autre élément de nature à justifier ces difficultés ». La nouvelle législation n’est donc pas si novatrice et si elle définit des règles différentes selon la taille des entreprises, la façon dont le juge analyse les difficultés économiques n’est pas réellement impactée par la réforme.

Ainsi, après plusieurs mois de discussions avec les partenaires sociaux et après une longue contestation des jeunes et des salariés, la Loi Travail a pu être adoptée. En partie vidée de son contenu initial, la loi répond-t-elle aux objectifs de protection des salariés et de souplesse supplémentaire pour les employeurs ? De façon certaine, la Loi travail modifie certaines pratiques notamment concernant la hiérarchie des accords d’entreprise et de branche. Il n’est en revanche pas certain que la loi atteigne réellement l’un de ses objectifs initiaux qui était d’être un outil pour réduire le chômage. Sur cette problématique, la réponse ne peut être que globale. La réponse s’appuiera à la fois sur le droit mais également sur d’autres disciplines, d’autres outils plus subtils et plus coûteux qu’une loi.

S. A.-T.

Faculté de Droit