DROIT CIVIL – DROIT DE LA FAMILLE

Par Stéphanie ARIAGNO-TAMBUTÉ

Doctorante, Chargée d’enseignements, Université Jean Moulin Lyon 3

 

CE, 12 décembre 2014, req. n° 367324, 366989, 366710, 365779, 367317, 368861, Association Juristes pour l’enfance et autres. Retrouvez également le communiqué de presse en cliquant ici.

La circulaire de la Garde des Sceaux, Christiane TAUBIRA, du 23 janvier 2013 portant sur la nationalité des enfants issus d’une gestation pour autrui à l’étranger a fait l’objet de requêtes en annulation devant le Conseil d’Etat pour excès de pouvoir.

Point de droit

Le recours pour excès de pouvoir

Se définit comme « le recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif et qui a pour effet d'assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité » (CE, Assemblée, Dame Lamotte, 17 février 1950).

En l'occurrence, les requérants invoquent l'illégalité des dispositions contenues dans la circulaire. 

Pour répondre à la question posée de la légalité ou non de cette circulaire, le Conseil d’Etat a mis en balance plusieurs droits fondamentaux avant d’effectuer un arbitrage qui, sans désigner précisément l’intérêt supérieur de l’enfant, cherche à mettre en cohérence la filiation biologique et sociale d’un enfant, quitte à dépasser le droit positif français actuel.

Cette circulaire visait à accorder beaucoup plus facilement des certificats de nationalité française aux enfants issus d’une GPA à l’étranger. La condition posée par la circulaire pour la délivrance de ce certificat consistait en ce que « le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du Code civil ».

Elle précisait également que le simple soupçon d’un recours à la GPA à l’étranger ne pouvait permettre d’opposer un refus à la demande de certificat de nationalité française pour ces enfants.

A l’époque de cette circulaire, certains y ont vu la légitimation du recours à la GPA à l’étranger comme mode de conception des enfants alors même que cette technique de procréation n’est pas admise en droit français. Il s’agissait pour les détracteurs de cette circulaire de démontrer que le pouvoir exécutif en la personne du Garde des Sceaux contournait le droit positif français en permettant la transposition d’un acte effectué à l’étranger. Ils ne voyaient pas là la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant d’avoir un certificat de nationalité française lui permettant d’avoir une existence légale au regard du droit national. Ils ne voyaient simplement qu’une technique pour imposer en droit positif un objet juridique – la GPA – qui n’avait pas recueilli l’approbation du Législateur. En effet, aucune loi n’autorise la GPA en France alors même qu’à l’étranger cette technique est largement autorisée, notamment aux Etats-Unis.

La requête en annulation déposée auprès du Conseil d’Etat est une technique visant à faire annuler un acte pris par une personne publique, en l’espèce l’exécutif et plus précisément le Garde des Sceaux. Le Conseil d’Etat rappelle la condition de nullité d’ordre public pour tout contrat portant sur le corps humain y compris donc les contrats ayant pour objet une GPA.

Ceci étant, le Conseil d’Etat s’appuie sur l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, garant du droit au respect à la vie privée, pour juger que l’atteinte à l’établissement de la nationalité française d’un enfant né à l’étranger d’une GPA et dont la filiation avec un français est reconnu à l’étranger est disproportionnée. En d’autres termes, le Conseil d’Etat estime que refuser la nationalité française à un enfant au motif que son mode de conception n’est pas légal en France porte une atteinte disproportionnée à un droit fondamental. En définitive, le droit fondamental – en l’espèce le droit à la vie privée issu de l’article 8 de la CEDH – prime sur l’ordre public national.

« Mais considérant que la seule circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l'ordre public français, ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu'implique, en termes de nationalité, le droit de l'enfant au respect de sa vie privée, garanti par l'article 8 [précité], conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit (…) lorsque sa filiation avec un Français est établie. »

En rejetant la requête en annulation pour excès de pouvoir, le Conseil d’Etat s’inscrit dans le mouvement jurisprudentiel dont les arrêts de la Cour de cassation et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme font partie et visant à mettre en cohérence les modes de conception des enfants avec la réalité juridique que vivent ensuite ces enfants. Le souci premier étant de garantir un cadre juridique stable et sécurisé pour leur développement. La jurisprudence et le Conseil d’Etat ne s’intéressent pas aux questions d’éthique ou morale. Le Conseil d’Etat juge en droit ce qui est le mieux pour l’enfant. Le droit contemporain de la filiation ne passe pas nécessairement par le Législateur, pris dans un jeu de pouvoir, mais par une jurisprudence qui recherche l’objectivité et la sécurité pour chacun des sujets de droit.