SCIENCE POLITIQUE

Par Lucie LE BARREAU

Docteur en Science politique

 

Discours cadre du Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou

 

Le 3 mars dernier, le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou s’est exprimé devant le Congrès américain concernant le dossier du nucléaire iranien.

 

Cette troisième visite le place aux côtés de Winston Churchill comme seuls représentants étrangers ayant eu l’occasion de faire entendre leur voix à trois reprises au sein de l’Assemblée. Si cette intervention semble symboliquement forte, elle incarne surtout le paradoxe des relations internationales contemporaines. Elle a ainsi fait l’objet de nombreuses analyses, de la part de tous les médias internationaux, ne parvenant jamais à faire l’unanimité dans la lecture qui doit en être faite.

La venue du Premier Ministre a soulevé de nombreuses questions, tant auprès des membres du corps politique qu’auprès de l’opinion publique. Les avis divergent quant à la portée d’un tel discours. Surtout, elle met de nouveau en lumière l’ambiguïté des relations entre Israël et les Etats-Unis. Retour sur une alliance stratégique ambivalente…

 

I - Israël ou la « citadelle de l’impérialisme américain »

Après la reconnaissance de l’État hébreu au printemps 1948, les relations américano-israéliennes n’ont eu de cesses de fluctuer. Mariage de raison plutôt que d’amour, cette alliance s’est construite progressivement dans le contexte particulier de la Guerre froide.

La « Doctrine Carter » a ainsi constitué la pierre angulaire du rapprochement entre les deux États, abandonnant la « stratégie des petits pas » développée par Kissinger. Par le biais d’une approche globale, elle parvient progressivement à sécuriser la région à la fin des années 1970. Par les accords de 1975 (Sinaï I et Sinaï II) puis de 1979 (Camp David), Israël est confortée dans son positionnement stratégique dans la zone Moyen-Orient.

La révolution iranienne menée par l’Ayatollah Khomeyni et l’invasion soviétique de l’Afghanistan marquent cependant un bouleversement des enjeux stratégiques et un tournant dans les relations entre Washington et Israël. Le mémorandum de 1979 signé à l’initiative de l’Administration Carter officialise le soutien plein et entier des Etats-Unis à l’égard de son allié. Désormais, le recours à la force armée est une solution plausible à toute rupture de la paix dont pourrait être victime l’État hébreu. Mais au-delà, c’est la sécurisation de la zone du Golfe persique qui intéresse la puissance américaine. Israël incarne dès lors un pivot dans la stratégie américaine au Moyen Orient.

La Présidence Reagan (1981-1989) doit, quant à elle, faire face au déploiement de la puissance soviétique au Moyen-Orient. Israël devient ainsi l’emblème de ce réseau d’alliances souhaité par Washington. Face à la menace d’une montée aux extrêmes entre les deux coalitions, il s’agit de mettre en place un « consensus stratégique » capable de contrer l’influence grandissante de l’URSS, mais aussi garantir la possibilité d’une réponse adaptée en cas d’affrontement. Des dissensions apparaissent pourtant rapidement entre les deux alliés, du fait de livraisons d’armes américaines mais aussi de choix stratégiques militaires israéliens. Si les raideurs diplomatiques sont de courte durée, émerge malgré tout ce mouvement de balancier au gré duquel les relations entre les deux États vont se livrer jusqu’à aujourd’hui.

L’opposition entre la justification d’intérêt national de sécurité de la part d’Israël d’un côté, et d’une approche stratégique globale de la région de la part des Etats-Unis, de l’autre, vont ainsi conduire régulièrement à des oppositions entre les deux États. Sans jamais rompre leur alliance, celles-ci font montre de l’ambivalence de leur relation. L’on ne peut que constater que si le soutien des Etats-Unis auprès d’Israël au sein de l’ONU reste indéfectible, il n’en demeure pas moins que les relations entre les dirigeants des deux nations ne peuvent être qualifiées de sereines (Bush père/Shamir, Clinton/Peres et plus récemment Obama/Netanyahou).

Le 11 septembre 2001 marque un nouveau tournant dans cette coopération bilatérale, renforçant de fait l’alliance stratégique des deux États dans le dossier de lutte contre le terrorisme. Israël devient plus que jamais la clé de la stratégie américaine au Moyen-Orient dans sa lutte contre « l’Axe du mal ». Finalement, malgré les fluctuations – souvent portées au compte des nécessités de politique intérieure – l’alliance stratégique entre Israël et les Etats-Unis n’a fait que se renforcer depuis sa création. L’on comprend en effet aisément que les impératifs géopolitiques et les dossiers brûlants au Moyen-Orient imposent quelques souplesses et un pragmatisme dans la conduite de la politique étrangère américaine comme israélienne. Soumise aux aléas de la donne internationale mais surtout du contexte régional, cette relation ambivalente s’inscrit dans la pérennisation. D’une coopération née de la nécessité de faire contrepoids à l’expansionnisme soviétique, elle est devenue l’emblème de l’enjeu géostratégique et géopolitique que revêt aujourd’hui le Moyen-Orient. Qu’il s’agisse du nucléaire iranien ou de la lutte contre le terrorisme, l’alliance stratégique Israël/Etats-Unis est cristallisée dans une logique « donnant-donnant » qu’aucun des partenaires n’a intérêt à remettre en question.

 

II- Obama/Netanyahou ou la chronique d’un discours controversé

Les relations entre le Président Obama et le Premier Ministre Netanyahou n’ont eu de cesse de défrayer la chronique. Depuis sa première investiture, l’Américain s’est positionné en faveur de la reprise des négociations dans le conflit israélo-palestinien. Hillary Clinton doit ainsi gérer la crise diplomatique de mars 2010 dans le dossier du gel de la « colonisation » de Jérusalem-Est. La logique d’apaisement voulue par Barack Obama s’oppose aux intérêts de politique intérieure israéliens. La question se pose dès lors du renouvellement de la confiance dans cette alliance stratégique, face aux enjeux géopolitiques et géostratégiques toujours plus importants au Moyen-Orient. La lutte contre Daesh est désormais une priorité pour les Etats-Unis, et Israël constitue un partenaire essentiel dans le déploiement de la stratégie américaine. Mais les tensions se cristallisent sur un tout autre dossier, celui du nucléaire iranien. Et c’est autour de cette question que le discours du 3 mars dernier soulève le plus de réactions.

La venue du Premier ministre au Congrès américain s’est avant tout ancrée dans une atmosphère de désapprobation de la part de la Maison Blanche. C’est avec le soutien du « Speaker » républicain de la Chambre des représentants (le Président de cette chambre), John Boehner, que cette intervention a été organisée. Malgré la position claire du Président Obama en sa défaveur, Benjamin Netanyahou a répété à maintes reprises aux médias l’occasion exceptionnelle que représentait cette visite. Considérée comme une « mission historique », elle devait incarner la bataille d’Israël contre le nucléaire iranien et les dangers qu’il représente. La question se pose en coulisse de la motivation réelle de l’émissaire israélien, alors qu’il se trouvait à la veille des élections législatives. Le Président Obama a d’ailleurs refusé de le recevoir, arguant de l’interdiction d’une telle rencontre dans des circonstances électorales telles que celles-ci. De nombreux élus démocrates ont apporté leur soutien à la décision présidentielle, qui pourrait par ailleurs s’étendre jusqu’à la fin de l’actuelle mandature. Le contexte de cette visite a donc été marqué par les tensions et une dégradation de la relation privilégiée entre Israël et Washington. Si la rupture paraît peu probable, l’on assiste déjà cependant à un refroidissement notable du dialogue inter-alliés. Pour preuve, les déclarations israéliennes selon lesquelles les Etats-Unis ne partageraient plus les informations relatives aux négociations sur le nucléaire iranien. Les Etats-Unis ont confirmé cette posture en rappelant à leurs collaborateurs européens la nécessité de ne pas communiquer sur les détails des procédures en cours. Washington a ainsi dévoilé dans les médias le fait que leur partenaire hébreu, en utilisant hors de leurs contextes certains éléments des négociations, venaient compromettre le discours réel promu par l’Administration Obama.

 

III- Le discours du 3 mars 2015 : entre nucléaire iranien et contingences internes

Finalement, le discours du Premier Ministre face au Congrès américain s’est cristallisé autour de cette question iranienne. Contesté par sa mise en scène théâtrale, il l’est aussi par la redondance des propos de fond. Benjamin Netanyahou n’a en effet eu de cesse depuis ces 20 dernières années de « tirer la sonnette d’alarme », prédisant systématiquement une temporalité des plus réduites dans l’émergence d’une menace pour la sécurité internationale. Il ne s’agit pas tant d’analyser la réalité de ce danger du nucléaire iranien, que de dénoncer une certaine forme d’appel de Pierre au Loup…. Force est de constater que la force d’un tel discours ne peut qu’être mesurée au regard de sa longévité. L’objectif principal est la remise en cause des tentatives de Washington à trouver un accord avec Téhéran sur la question nucléaire. Dépeint comme un régime menaçant, l’Iran serait ainsi un État islamiste cautionné par les Etats-Unis et bientôt doté de l’arme nucléaire comme force de frappe, situation intolérable aux yeux du Premier Ministre. Il s’agit de rappeler que l’accord visé porte pourtant sur le démantèlement des infrastructures iraniennes… Mais l’impossibilité d’effectuer de réels contrôles et surtout de réelles sanctions rendrait caduc un tel accord.

Ce dossier reste un point d’orgue dans l’agenda politique des deux États, et il n’y a donc rien d’étonnant à constater la virulence des propos de Benjamin Netanyahou, ni la prudence des démocrates à son égard. La question se pose cependant de déterminer la place occupée par les logiques intérieures dans une telle orchestration. En effet, que penser de l’échéance électorale pesant sur les épaules du Premier Ministre israélien (élections dont on sait aujourd’hui qu’il est sorti vainqueur) ? Que penser également de la fracture au sein du Congrès américain ? Le soutien massif des Républicains à l’égard des propos du représentant israélien vient conforter le malaise ambiant quant à la politique étrangère menée par le Président Obama. Ce dernier est en effet vivement critiqué sur ses positionnements stratégiques et cette intervention aura été l’occasion pour ses détracteurs d’afficher publiquement leur mécontentement. Entre boycott (un quart des élus démocrates manquaient à l’appel) et les standing-ovation, le discours de Benjamin Netanyahou aura ainsi surtout incarné la rupture consommée entre Démocrates et Républicains à un an des élections présidentielles.

Apparaît également en relief la mauvaise qualité des relations entre le Président des Etats-Unis et le Premier Ministre israélien. Les réactions officielles suite à la tenue de ce discours ont ainsi affolé les médias internationaux. La Maison Blanche s’est insurgée des déclarations postélectorales de Benjamin Netanyahou quant à la création – ou en l’occurrence la non-création – d’un État palestinien. Une posture irresponsable selon elle qui maintiendrait la région dans un état de crise inacceptable. À travers la voix du Secrétaire général, Denis McDonought, c’est l’exaspération de la Présidence qui s’exprime. Cette déclaration intervient presque concomitamment à la menace historique de la part des Etats-Unis de retirer leur soutien à Israël entre les murs de l’ONU. L’hostilité assumée de Barack Obama à l’encontre du représentant israélien est notoire et nombreux sont ceux qui ont lu un espoir clair d’une non-réélection dans ses différents positionnements à la veille des élections. L’on comprend dès lors que les relations entre les deux alliés sont nécessairement délicates à l’heure où leurs représentants respectifs entretiennent eux-mêmes des rapports houleux, non plus seulement en coulisse mais désormais à la une des grands quotidiens internationaux.

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Finalement, cette visite aura fait couler beaucoup d’encre sans rien apporter de nouveau dans le dossier du nucléaire iranien. La politique intérieure semble, une fois encore, avoir fortement pénétré les sphères de la politique internationale, peut-être au détriment des réelles problématiques géopolitiques et géostratégiques à l’œuvre au Moyen-Orient. La question qui se dessine au lendemain de cette visite à grand retentissement relève davantage de la contingence interne, voire de la relation interpersonnelle, que de la politique internationale. La « réévaluation » du soutien porté à Israël par les Etats-Unis doit cependant désormais être observée de près pour déterminer s’il ne s’agit que d’un énième mouvement de balancier, ou un véritable arrêt du ballet diplomatique israélo-américain.

Pour aller plus loin…

CLAUDE Gérard, « Israël-États-Unis, de la reconnaissance historique à l’alliance stratégique », Revue historique des armées, n° 252, 2008, p. 114-123.

POURTET Jean-Louis, « Etats-Unis : le soutien obligé des candidats républicains à Israël », disponible en ligne en cliquant ici .

LLB