DROIT CIVIL – DROIT DES OBLIGATIONS

Par Gatien CASU

Maître de conférences en Droit privé, Université Jean Moulin Lyon 3

 

Projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

 

Les étudiants la redoutent, les praticiens l’espèrent, les Universitaires la critiquent. Voilà un trait commun à toute réforme : elle ne laisse jamais personne indifférent. La remarque vaut a fortiori lorsque le législateur entend s’attaquer à un monument bicentenaire de notre droit civil : le droit des contrats.

 

À l’aube d’une réforme aujourd’hui certaine, il est apparu indispensable de décrypter les dispositions du projet d’ordonnance récemment présenté par le Garde des Sceaux. Le but de l’entreprise est simple ; il consiste à prendre le pouls de cette réforme : codification à droit constant ou véritable bouleversement ?

Sur le fond, le projet témoigne d’un subtil équilibre. À sa lecture, l’étudiant, le praticien et l’universitaire ont le sentiment de se trouver en terrain connu. Souvent, le législateur a pris acte de solutions jurisprudentielles bien établies. Il faut s’en réjouir tant il dangereux d’innover pour innover et de revenir sur des solutions forgées à l’épreuve du temps. L’onction législative est un signe fort, une belle reconnaissance.

Cette constance est salutaire mais elle n’empêche pas, ici ou là, quelques prises de position détonantes. Il s’agira évidemment de les mettre en évidence après avoir rappelé la genèse de cette réforme d’envergure.

 

Genèse : La nécessité de réformer le droit des obligations n’a pas véritablement posé question. Du point de vue interne, les dispositions bicentenaires du Code civil sont loin de proposer un panorama fidèle de la matière ; d’abord parce que leur sens a été largement modelé par une jurisprudence (souvent) bien inspirée ; ensuite parce que de nombreuses législations spéciales dérogent aux dispositions générales du Code civil, soit pour pallier ses insuffisances, soit pour satisfaire aux exigences du droit de l’Union européenne. Il suffit de tourner le regard vers le droit de la consommation pour comprendre que le droit commun des contrats n’a plus grand chose… de commun. La nécessité de réformer le droit interne des contrats a sans doute également subi la pression d’une émulation au niveau supranational.

Principes Unidroits relatifs aux contrats du commerce international ; principes européens du droit des contrats ; proposition de règlement relatif à un droit commun de la vente… Autant de projets qui ont impulsé la réforme nationale. En effet, comment peser au moment des négociations si l’on est accompagné d’un Code à l’image poussiéreuse ?

Annoncée il y a près de dix ans, la réforme s’est faite désirer. Pas moins de trois avant-projets marquèrent les esprits[1] avant qu’un projet de loi d'habilitation ne voie le jour. Ce projet, déposé au Sénat le 27 novembre 2013, autorisait le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance et notamment « à prendre les mesures, relevant du domaine de la loi, nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme et à cette fin… ».

Si le principe de la réforme fut accueilli favorablement, les modalités de sa réalisation font encore aujourd’hui l’objet de sévères critiques. L’autorisation accordée au Gouvernement de légiférer par ordonnance prive le Parlement de tout débat sur le fond de la réforme. La modification d’un pan entier de notre droit civil ne méritait-t-elle pas d’être soumise à la contradiction ? Les deux chambres du Parlement se sont d’ailleurs opposées sur cette question, l’Assemblée nationale ayant été favorable à l’habilitation cependant que le Sénat s’y refusait. Certes, finalement, l’Assemblée nationale obtint gain de cause, mais l’opposition du Sénat aura marqué cette réforme au fer rouge avant même sa présentation.

Sitôt la loi d’habilitation adoptée[2], la Ministre de la Justice rendit public un projet d’ordonnance. S’il peut encore faire l’objet de modifications au cours de la période de concertation, le projet livre un bon aperçu de ce que devrait être notre droit des contrats modernisé.

Sur la forme, le projet d’ordonnance remet à plat l’ensemble de la numérotation du Code. Il va donc falloir chambouler les habitudes et prendre acte de ces permutations. Hormis la définition du contrat qui demeure à l’article 1101, la numérotation retenue relève d’un nouvel apprentissage. Ainsi par exemple, le principe de la force obligatoire du contrat est éjecté de l’article 1134 pour se retrouver soixante articles plus loin. L’alinéa 3 fait au contraire un bon en avant et se retrouve au frontispice du Titre III (article 1103). La perte des réflexes anciens sera sans doute longue et délicate, mais elle est au profit d’une réorganisation salutaire. En effet, le plan adopté est logique, presque intuitif. Le droit des obligations serait composé de trois Titres bien distincts : source des obligations, régime de l’obligation, preuve de l’obligation. Le premier Titre s’ouvrirait sur un chapitre intitulé « dispositions préliminaires » où l’on retrouverait posés les grands principes (liberté contractuelle, bonne foi dans la formation et l’exécution du contrat) ainsi que les principales définitions.[3] L’objet de cette étude consiste à présenter les Chapitres II et III et, par voie de conséquence, à étudier les modifications relatives aux règles qui régissent la formation et l’interprétation du contrat. Une seconde étude, publiée dans le prochain numéro, présentera quant à elle le Chapitre VI et les modifications qu’il contient concernant les effets du contrat.

 

1/ La conclusion du contrat

La période précontractuelle : Sans surprise, le projet de réforme prévoit de faire entrer dans le Code une période qui, faute d’avoir été pensée par ses auteurs, a nourri une jurisprudence foisonnante. Telle est la période précontractuelle. Une sous-section composée de deux articles et intitulée « Les négociations » lui est consacrée. Sur le fond, l’article 1111 rappelle que la négociation est une période de liberté mais qu’une faute dans la rupture des négociations est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur. Toutefois, le contrat n’étant pas encore conclu, il ne peut s’agir que d’une responsabilité extracontractuelle. Reprenant à son compte la célèbre jurisprudence Manoukian du 26 novembre 2003[4], le législateur rappelle que le candidat évincé ne peut toutefois obtenir une indemnisation ayant pour objet de compenser la perte des bénéfices attendus du contrat non conclus. Rien de très original en somme.

Pour trouver la nouveauté, il suffit de continuer la lecture. L’article 1112 contient en effet une disposition inédite aux termes de laquelle « celui qui utilise sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité, qu’il y ait eu, ou non, rupture fautive des pourparlers ». Manifestement, le Gouvernement tente de moraliser la période précontractuelle dans le but évident d’inciter les acteurs économiques à entrer en pourparlers. L’indifférence d’une rupture fautive des pourparlers permet de faciliter la mise en jeu de la responsabilité et de garantir la bonne conduite des négociations. Dans les domaines sensibles, il s’agit là d’un excellent moyen de rassurer les contractants et de favoriser la conclusion des contrats.

 

L’offre et l’acceptation : Le principe du consensualisme est fermement rappelé dès l’article 1113 : « la formation du contrat requiert la rencontre d’une offre et d’une acceptation ». Tout-à-fait logiquement, les articles suivants déterminent les éléments caractéristiques de l’offre et de l’acceptation ainsi que leur régime juridique. Sur ce dernier point, deux remarques importantes peuvent être formulées :

La rétractation de l’offre : La question de la rétractation de l’offre est l’objet de controverses juridiques récurrentes. Les articles 1115 à 1118 du projet offrent donc une mise au point bien salutaire. Les deux premiers articles codifient à droit constant des solutions jurisprudentielles bien établies. D’une part, la rétractation de l’offre est possible tant qu’elle n’est pas parvenue à la connaissance de son destinataire. D’autre part, une fois l’offre parvenue à son destinataire, elle ne peut être révoquée avant l’expiration du délai expressément prévu ou, à défaut, avant l’expiration d’un délai raisonnable.[5]

Le projet aborde enfin deux questions attendues. Tout d’abord, quelle est la sanction du non respect de ces dispositions ? Que faire lorsque l’offre est révoquée avant l’expiration du délai prévu ou immédiatement après sa réception par le destinataire ? L’article 1117 répond sans détour, usant d’une formule évocatrice des débats suscités par le sujet : « l’offrant n’engage que sa responsabilité extracontractuelle ». Ensuite, le décès du pollicitant entraine-t-il, de facto, la caducité de l’offre ? L’article 1118 répond par l’affirmative, sans s’encombrer d’une distinction élaborée récemment[6] par la Cour de cassation selon que l’offre est stipulée avec ou sans délai. Cette jurisprudence est-elle condamnée par le projet de réforme ? La Cour de cassation la maintiendra-t-elle, distinguant là où la loi ne distingue pas ? C’est une affaire à suivre.

Le moment de la formation du contrat : Au titre des prises de position bienvenues, l’article 1122 tranche la question du moment de la formation du contrat. On sait que cette question est essentielle, tant pour des raisons procédurales (détermination du juge compétent), que pour des raisons tenant au fond du droit (notamment la date du transfert des risques). On sait que le débat est nourri entre les partisans de la théorie de l’émission de l’acceptation et ceux de la théorie de sa réception, chacun interprétant à sa guise l’arrêt référence du 16 juin 2011[7]. Demain, les choses devraient être claires : le contrat sera parfait lorsque l’acceptation parvient à l’offrant. Il est réputé conclu au lieu où l’acceptation est parvenue.

 

Les contrats préparatoires : Le projet de réforme consacre une Sous-section 3 intitulée « la promesse unilatérale et le pacte de préférence ». Avant même d’étudier les solutions proposées, on peut s’interroger sur la terminologie utilisée. Pourquoi ne pas avoir regroupé ces deux contrats sous un intitulé générique ? Sans doute la notion « d’avant-contrat » est-elle source d’équivocité, laissant à penser que la promesse unilatérale et le pacte de préférence ne sont pas de véritables contrats ; mais il aurait été possible de les classer dans la catégorie des « contrats préparatoires ». S’agit-il d’une volonté délibérée des réformateurs ? Quoi qu’il en soit, le projet prend fermement position sur deux des grands débats doctrinaux de ces dernières années : après avoir proposé une définition de la promesse unilatérale (art. 1124) et du pacte de préférence (art. 1125), le projet aborde la question de la sanction de leur non-respect.

La promesse unilatérale : S’agissant de la promesse unilatérale, le projet prend le contre-pied de la position de principe rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2013. Pour rappel, la Cour considère que « la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée ». Suivant les revendications d’une doctrine majoritaire, l’article 1124 al. 2 du projet prévoit quant à lui que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». Voilà qui devrait contenter la grande majorité des auteurs, et faire quelques malheureux.

Le pacte de préférence : S’agissant du pacte de préférence, la Cour de cassation considère depuis un arrêt connu de la chambre mixte du 26 mai 2006[8] que, d’une part, le contrat conclu par le promettant avec un tiers en méconnaissance des droits du bénéficiaire est nul et que, d’autre part, le bénéficiaire peut obtenir sa substitution à l'acquéreur à la double condition que le tiers ait eu connaissance de l'existence du pacte lorsqu'il a contracté, et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. La substitution n’a été ordonnée qu’à de rares occasions tant il est difficile pour le bénéficiaire du pacte de démontrer que le tiers avait connaissance de son intention de se prévaloir du pacte. Critiquée par la doctrine, cette jurisprudence subit les foudres du Gouvernement. Là encore, le projet d’ordonnance revient sur le droit positif en supprimant purement et simplement la condition critiquée. Désormais, la substitution du bénéficiaire du pacte au tiers acquéreur sera prononcée dès lors que le bénéficiaire avait connaissance de l’existence du pacte, sans autre condition.

Le projet d’ordonnance semble donc avoir pris le parti de l’efficacité des contrats préparatoires. Il donne une certaine cohérence au triptyque : offre, pacte de préférence, promesse unilatérale. À l’intensité de l’engagement correspond une gradation dans la sanction de son non-respect.

 

2/ La validité du contrat

Une modification du droit positif apparaît dès la lecture des conditions de validité du contrat, conditions posées à l’article 1127 du projet d’ordonnance. Le consentement et la capacité des parties trouvent une place légitime. Toutefois, alors que l’article 1108 du Code civil leur joint « un objet certain » et « une cause licite », le projet se contente d’une troisième condition : « un contenu licite et certain ». Feue la grande Cause, notion dont l’intérêt et l’existence sont contestés depuis des lustres. Il n’est pas dit, toutefois, que cette suppression change grand-chose du côté du droit positif dont on verra plus loin qu’il déploie des mécanismes susceptibles de remplir une fonction semblable.

 

Le consentement : S ’agissant des vices du consentement, deux nouveautés seront relevées après avoir formulé une remarque liminaire.

Le projet est l’occasion d’une codification de la jurisprudence foisonnante en matière de vice du consentement. Il est aujourd’hui clairement mentionné que, pour entrainer la nullité du contrat, l’erreur doit être excusable. Les articles 1134 et 1135 ajoutent qu’une telle sanction ne peut prospérer lorsqu’elle porte sur les motifs ou sur la valeur. Quant au caractère « commun » de l’erreur, il semble implicitement consacré par la formule de l’article 1132 aux termes duquel « les qualités essentielles de la prestation due sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ». Certains articles relatifs au dol reprennent également une jurisprudence ancienne cependant que la définition de la violence fait l’objet d’une légère modification de style[9] .

Devoir d’information : la nouveauté se trouve sans doute dans la création législative d’un véritable devoir général d’information. Situé en bonne place, avant les vices du consentement, il impose à celui qui détient ou devrait détenir une information déterminante du consentement de l’autre partie de l’en informer. La sanction du non-respect de ce devoir est la mise en jeu de la responsabilité extra contractuelle du débiteur, sauf lorsque le défaut d’information entraîne un vice du consentement, auquel cas la nullité peut être invoquée. Cette analyse est confirmée par l’article 1136 relatif au dol, lequel est défini comme le fait, pour un contractant, « d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres, des mensonges ou par la dissimulation intentionnelle d’une information qu’il devait lui fournir conformément à la loi », c’est à dire conformément à l’article 1129 du projet.

Abus de faiblesse : La seconde nouveauté tient à la sanction, sous le prisme de la violence, de l’abus de l’état de nécessité ou de dépendance du contractant. La pratique est déjà règlementée par les droits spéciaux qu’il s’agisse, entre professionnels, de l’article L.442-6 du Code de commerce (récemment modifié par la loi Hamon du 17 mars 2014) ou, entre professionnel et consommateur, de l’article L.122-8 du Code de la consommation. L’objectif du Gouvernement est sans doute de coller à l’évolution de la société et de satisfaire cet idéal de protection de la partie faible. Une fois n’est pas coutume, il s’agit de moraliser les relations contractuelles et de diffuser l’intérêt inhérent à leur loyauté.

 

Capacité : Les dispositions du projet relatives à la capacité proposent essentiellement une codification à droit constant. À titre d’exemple le projet prévoit que les actes de la vie courante sont autorisés aux personnes incapables (mais rescindables pour lésion : article 1146) alors que le Code civil ne mentionne aujourd’hui que les cas dans lesquels « la loi ou l’usage » leur permet d’agir seuls (art. 389-2 pour le mineur ; art. 473 pour la tutelle). Le texte prévoit également l’impossibilité d’invoquer l’incapacité du contractant pour se soustraire à ses obligations (art. 1149) et propose un panorama des règles relatives au point de départ de prescription (art. 1151).

 

Le contenu du contrat : Il n’est plus fait référence à l’objet du contrat mais à son contenu. La notion a sans doute été choisie pour sa généralité, une généralité permettant à la fois la préservation des règles relatives à l’objet (notamment en matière de détermination du prix) et de pallier les effets de la suppression de la cause (notamment le respect d’un certain équilibre des prestations contractuelles).

La détermination du prix : S’agissant du prix et de sa détermination, les nouvelles dispositions du projet d’ordonnance marquent une avancée notable des pouvoirs du juge. En effet, les dispositions consacrent la jurisprudence issue des arrêts du 1er décembre 1995.[10] L’indétermination du prix n’est pas, en soi, une cause de nullité du contrat. Seul compte l’abus dans la fixation du prix.

Toutefois, la proposition va plus loin. Le juge pourrait prononcer la résolution du contrat, mais il serait également autorisé, si la demande lui était faite, à « réviser le prix en considération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties » (art. 1163). La même règle est prévue pour les contrats de prestation de service (art. 1164).

Enfin, signe de ce pouvoir du juge, il peut, lorsque le prix est déterminé en fonction d’un indice qui n’existe plus ou n’est plus accessible, remplacer cet indice par celui qui s’en rapproche le plus. Le projet d’ordonnance s’inspire manifestement des législations étrangères lesquelles, moins imprégnées de cette idée que le contrat est avant tout la loi des parties, n’hésitent pas à autoriser sa réfaction judiciaire.

L’équilibre du contrat : La suppression de la cause constitue sans doute l’emblème de la réforme. Passé l’effet d’annonce, on comprend que le projet de réforme n’a pas pu s’en départir totalement. Mieux, l’article 1161, qui introduit une sous-section intitulée « le contenu du contrat », explique que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par son contenu, ni par son but ». N’est-ce pas là une référence appuyée à la cause ?

Au-delà de cette anecdote, si la cause n’existe plus intrinsèquement, certains de ses effets sont quant à eux préservés.

L’article 1168 du projet prévoit par exemple que toute clause privant de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. Comment ne pas voir dans cette disposition une empreinte de la célèbre jurisprudence Chronopost ? Sans doute la disposition trouvera-t-elle son terrain d’élection lorsqu’il s’agira de contrecarrer l’application de certaines clauses limitatives de responsabilité. L’acception utilisée (« qui prive de sa substance l’obligation essentielle ») témoigne de l’exigence d’une certaine gravité. Manifestement, le but est d’éviter que le contractant ait davantage intérêt à refuser l’exécution du contrat, quitte à se voir appliquer la clause, plutôt que de l’exécuter parfaitement. L’article 1168 vient ici confirmer la position jurisprudentielle issue de l’arrêt de la Cour de cassation Faurécia c/ Oracle du 29 juin 2010.[11]

L’article 1169 se situe dans la même veine que le précédent. « Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge ». L’article inspire trois remarques.

Tout d’abord, la formulation porte manifestement la marque d’une influence de la législation relative aux clauses abusives. Celles-ci sont définies à l’article L 132-1 du Code de la consommation comme des clauses ayant « pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Même idée, même texte. La promotion de cette définition dans le Code civil permettrait d’en faire une application générale, indépendamment de la qualité des parties (professionnelles ou non professionnelles). Reste à savoir si la Cour de cassation reprendrait dans son cadre la jurisprudence élaborée en application du Code de la consommation.

Ensuite, la généralité de la formulation peut inquiéter car, à s’en tenir là, le projet viendrait promouvoir la lésion au rang des causes de nullité du contrat. Heureusement, le texte précise immédiatement que l’appréciation du déséquilibre du contrat « ne porte ni sur la définition de l’objet du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ». Cette exclusion est d’ailleurs reprise à l’article suivant, comme pour enfoncer le clou.[12]

Enfin, on peut s’interroger sur l’articulation des articles 1168 et 1169. Ne font-ils pas double emploi ? Une clause limitative de responsabilité par exemple ne pourrait-elle pas, à la fois « priver de sa substance l’obligation essentielle du débiteur » et créer un « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des partes au contrat » ?

 

3/ La forme, les sanctions et l'interprétation du contrat 

La forme du contrat : Nous passerons rapidement sur les dispositions relatives à la forme du contrat qui posent le principe du consensualisme avant de rappeler qu’il y est fait exception s’agissant des contrats solennels et des contrats réels. L’article 1173 reprend quant à lui le principe du parallélisme des formes. Enfin, les articles 1174 à 1177 s’attachent à la résolution d’une question très importante en pratique : celle de la forme des contrats conclus par voie électronique et, notamment, de la valeur conférée à la signature par voie électronique.

 

Les sanctions : Sans grande surprise, la sanction du non-respect des conditions de validité du contrat est la nullité. Le projet précise toutefois qu’indépendamment de l’annulation du contrat, la victime peut engager la responsabilité extracontractuelle de son partenaire. La solution n’a rien d’innovant, la jurisprudence actuelle permettant déjà d’obtenir réparation du préjudice subi dans le cas d’une nullité pour dol par exemple.

Une autre consolidation tient à la distinction séculaire des nullités relative et absolue. On sait que le fondement de la distinction a varié dans le temps, tant en doctrine qu’en jurisprudence. Le projet confirme l’analyse contemporaine de la distinction avec, comme point de partage, l’intérêt protégé par la règle violée. La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général (art. 1179). Elle est relative lorsqu’elle a pour objet la sauvegarde d’un intérêt privé.

Au sein de ce paragraphe relatif aux nullités, les articles 1182 et 1183 sont ceux qui suscitent le plus vif intérêt. Ils prévoient en effet un dispositif innovant permettant à l’un des contractants de provoquer la confirmation tacite d’une nullité relative par son partenaire.

Une partie peut demander à son partenaire (susceptible d’invoquer la nullité), soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois. L’absence de réponse avant l’expiration du délai vaut confirmation si cet effet était mentionné dans la demande.

 

L’interprétation du contrat : Les règles concernant l’interprétation du contrat font l’objet d’un dépoussiérage heureux. Le principe est toujours identique, faisant la part belle à la commune intention des parties. Pour le reste, le Gouvernement a purgé les dispositions actuelles de leurs contradictions.[13] Désormais, lorsque la commune intention des parties fait défaut, le contrat s’interprète selon le sens que lui aurait donné une personne raisonnable (art. 1188). On voit là une illustration d’un trait marquant de la réforme qui reconnait enfin les pouvoirs d’un juge auquel on fait dorénavant confiance. L’homme raisonnable (le bon père de famille aurait-on dit il y a peu), c’est lui. Dans sa tâche, il est guidé par quelques règles à la formulation des plus générales, reprises pour certaines du Code de 1804 : une obligation s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur ; en cas d’ambiguïté les clauses du contrat d’adhésion s’interprètent à l’encontre de la partie qui les a proposées ; toutes les clauses s’interprètent les unes par rapport aux autres en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier…

 

Conclusion : Voilà pour la première partie de cette présentation du projet de réforme du droit des contrats. Le sentiment qui s’en dégage est conforme aux premières impressions. Il ne s’agit pas d’une véritable révolution, mais bien plutôt d’une évolution rendue nécessaire par celle de la société et de ses besoins nouveaux. L’étude des effets des contrats sera l’occasion de confirmer, ou de démentir cette affirmation.  

GC 


[1] Le projet CATALA, fut remis au Garde des Sceaux Pascal Clément le 22 septembre 2005 et proposait une refonte de l’ensemble du droit des obligations et de la prescription. Le second projet fut rédigé dans le cadre des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques. Le groupe de travail, dirigé par le Pr François Terré, remit au Garde des Sceaux un projet de réforme du droit des contrats publié en 2008. On croyait la réforme enterrée, jusqu’à ce que le journal Les Echos publie en Octobre 2013 un nouveau projet de réforme émanant de la Chancellerie. Une réforme semblait bien se profiler à l’horizon, mais l’expérience invitait à la prudence. 

[2] Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 portant modernisation et simplification du droit. Le projet d’ordonnance fut présenté le 25 février 2015.

[3] On notera l’introduction de nouvelles définitions : contrat consensuel, solennel, réel ; contrats de gré à gré, contrat d’adhésion ; contrat à exécution instantanée ou à exécutions successives ; contrat cadre.

[5] Pour une illustration du délai raisonnable : Cass. 3ème civ., 20 mai 2009, publié au Bulletin.

[9] Article 1139 : il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable

[12] « Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des obligations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ».

[13] Notamment les articles 1163 et 1164 qui, à première lecture, semblent prôner une interprétation stricte du contrat s’agissant du premier et une interprétation large s’agissant du second.