Droit bancaire

Par Marjolaine BIRARD

Master 2 Recherche en Droit des affaires approfondi

 

Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-13.493, publié au Bulletin

 

Le 16 juin 2015, la Cour de cassation a statué en ce que le banquier tiré « d’un chèque frappé d’opposition n’a pas à vérifier la réalité du motif d’opposition invoqué ». Seule la vérification que le motif invoqué est un motif légal est imposée. L’absence de signature conforme constitue une utilisation frauduleuse au sens de l’article L. 131-35 du Code monétaire et financier, elle est donc susceptible de donner lieu à une opposition valable de la part du tireur.

 

I - Le cheque frappé d’opposition, un défi au droit cambiaire

L’opposition au paiement d’un chèque constitue une révocation immédiate de l’ordre donné par le titulaire du compte au banquier tiré de débloquer une provision au bénéfice du porteur présentateur du titre[1]. Elle se poursuit jusqu’à l’expiration du délai de prescription[2] d’un an, si une mainlevée n’a pas été ordonnée par le juge des référés.

Le banquier qui paierait, malgré l’opposition, verrait sa responsabilité engagée[3]. A l’inverse, l’opposition pour un motif illégal est assimilée à l’action du tireur qui n’a pas fait provision ou l’a retirée avant paiement, et entraine la responsabilité pénale de la personne qui en est à l’origine[4]. Le bénéficiaire du titre peut se faire payer et conserve alors par ailleurs le recours au droit cambiaire, qu’il peut utiliser pour obtenir le paiement, lorsque le chèque était endossable.

Le chèque représente l’un des instruments de paiement les plus courants. Du fait de la créance engagée par le tireur, lors de l’émission du chèque, l’opposition au paiement lors de sa première présentation au banquier tiré – alors que le tireur n’est plus titulaire de la provision – est, par principe, interdite. En effet, même si la plupart des chèques usités sont barrés, il reste que le chèque, le cas échéant, est un effet de commerce faisant courir un engagement cambiaire à ses endosseurs, qui ne peut être révoqué par le tireur, de même que la provision qui en est à l’origine.

Le banquier tiré est devenu le débiteur du porteur présentateur du titre, et engage donc sa responsabilité en cas de refus de paiement à première vue, selon la lettre de l’article L. 131-70 du Code monétaire et financier.

 

Chèques barrés

Très courants en pratique, il s’agit de chèques ne pouvant être payés qu’à un banquier ou assimilé, ou à un autre client du tiré, selon la lettre de l’article L. 131-45 du Code monétaire et financier. Ces chèques sont donc non endossables par une autre personne.

 

II - Les vérifications à la charge du banquier tiré avant paiement : quelle responsabilité ?

Lors de l’encaissement d’un chèque sans opposition, le banquier tiré doit tout d’abord vérifier que le chèque a une apparence normale, en contrôlant notamment la concordance entre la signature apposée sur le chèque (à défaut le titre n’est pas reconnu comme chèque) et celle du titulaire (tireur) du compte ouvert dans son établissement, faute de quoi il engagerait sa responsabilité envers le titulaire du compte, lequel pourrait se voir restituer la provision. Il résulte d’une jurisprudence constante que le tiré est responsable du paiement du titre comportant un « anomalie apparente »[5]. Cette dernière peut résulter d’une falsification visible dans la surcharge du titre, d’un rajout de numéros. En cas de parfaite contrefaçon, malgré une conformité apparente des signatures, la banque n’est pas libérée envers son client lorsqu’elle a payé sur présentation d’un faux titre. Le tiré n’est exonéré de cette responsabilité qu’en prouvant la faute du tireur permettant une fraude[6], à moins que lui-même ne soit fautif aussi[7].

Le banquier tiré engage ainsi sa responsabilité quasi-délictuelle envers le bénéficiaire d’un chèque en cas de paiement antérieur d’un chèque émis dans des conditions irrégulières, rendant la provision pour le chèque postérieur inexistante[8].

Le banquier tiré doit en outre vérifier que la provision existe, que le tireur est bien le titulaire du compte et que la suite des endossements est régulière (article L. 131-38 du Code monétaire et financier) si celui-ci était endossable. Il n’est en revanche pas tenu d’effectuer un contrôle de la signature des endosseurs, selon le principe de non-ingérence du banquier. Le banquier tiré reste neutre vis-à-vis des affaires de ses clients. Ainsi, si la signature est valide mais usitée à des fins frauduleuses, le banquier tiré ne saurait être en tort d’effectuer le paiement[9].

 

III - Les exceptions limitatives susceptibles de frapper un chèque d’opposition

Il ressort des développements précédents que l’opposition au paiement d’un chèque ne saurait être admise que dans des cas limitatifs. L’article L.131-35 (ci-dessous) dispose des quatre motifs légaux entrainant une possible opposition au paiement du chèque.

Hors ces motifs légaux d’opposition, le banquier tiré doit adresser au tireur une lettre mentionnant les raisons de l’impossibilité de refuser le paiement .

« Le tiré doit payer même après l’expiration du délai de présentation. Il doit aussi payer même si la chèque a été émis en violation de l’injonction prévue à l’article L.131-73[10] ou de l’interdiction prévue au deuxième alinéa de l’article L.163-6[11].

Il n’est admis d’opposition au paiement par chèque qu’en cas de perte, vol ou d’utilisation frauduleuse du chèque, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires du porteur. Le tireur doit immédiatement confirmer son opposition par écrit, quel que soit le support de cet écrit[12].

Tout banquier doit informer par écrit les titulaires de compte des sanctions encourues en cas d’opposition fondée sur une autre cause que celles prévues au présent article[13].

Si, malgré cette défense, le tireur fait une opposition pour d’autres causes, le juge des référés, même dans le cas où une instance au principal est engagée, doit, sur demande du porteur, ordonner la mainlevée de l’opposition. »

L’opposition pour perte ou vol est admise au bénéfice du tireur ou porteur dépossédé involontairement. La jurisprudence y assimile le cas d’extorsion de titre[14] et la remise de titre obtenue par violence. L’abus de faiblesse du tireur a également fait l’objet de réflexions tendant à ce qu’il puisse aussi être considéré comme motif d’opposition[16].

Concernant l’opposition lorsque le porteur est soumis à une procédure collective, elle n’est possible pour le tireur que dès lors que le jugement n’a pas dessaisi le débiteur de son pouvoir de recevoir le paiement, si l’administrateur du débiteur n’a pas reçu le pouvoir d’assistance ou si le chèque n’est pas encore arrivé entre les mains de l’administrateur, du liquidateur[17] ou d’un tiers[18]. L’opposition n’est en revanche pas possible lorsque le tireur est soumis à une procédure collective[19].

Ces deux cas d’opposition n’entrainent pas de jugement de la part du banquier tiré sur leur validité. Lorsque l’un de ces motifs est invoqué, le tiré doit refuser le paiement en bloquant la provision[20] sans autre vérification, sans que sa responsabilité ne soit engagée, même en cas d’opposition illicite[21].

Le troisième motif d’opposition au paiement d’un chèque est apparu avec la loi n° 91-1382 du 30 décembre 1991. Il s’agit de l’utilisation frauduleuse du moyen de paiement. 

 

IV - L’utilisation frauduleuse, quelle interprétation retenir ?

De façon générale, l’utilisation frauduleuse d’un moyen de paiement se retrouve dans toutes les manœuvres employées pour escroquer le titulaire d’un compte ou l’établissement de crédit. On la retrouve dans la falsification, le vol du titre, la mise en jeu des délais de paiement sur des titres non valables ou bien l’absence de droit d’utiliser le moyen de paiement[22].

La jurisprudence a retenu ce motif lors de la falsification d’un chèque par le titulaire du compte au bénéfice d’un tiers ou lors de l’émission d’un faux titre, retenant une interprétation d’abord assez stricte de l’utilisation frauduleuse. Il s’agissait d’une interprétation restrictive liée à la falsification ou à la contrefaçon du titre. La jurisprudence a ensuite généralement élargi la notion d’utilisation frauduleuse au cas où le bénéficiaire s’est fait remettre, suite à des manœuvres, un titre sans contrepartie effective pour le tireur[23]. La fraude est retenue par la jurisprudence autant lorsqu’elle a été conçue après l’émission du chèque qu’avant. En revanche, la présentation au paiement d’un chèque émis à titre de garantie ne saurait être constitutive d’une utilisation frauduleuse[24], sauf si le chèque a été obtenu à la suite de manœuvres frauduleuses[25].

A travers ce troisième motif d’opposition et l’élargissement de sa conception, on pouvait se demander si le banquier tiré pouvait devenir juge de la véracité de l’opposition. Il est en effet possible de douter qu’une simple allégation d’utilisation frauduleuse puisse être suffisante. Une justification devrait peut-être être apportée au banquier, auquel cas une atténuation au devoir de non-ingérence serait créée. De la solution apportée dépend le degré de responsabilité engagé par le banquier, mais aussi les conséquences pour le bénéficiaire du chèque.

 

Situation de l’endossataire de bonne foi

La jurisprudence a retenu une supériorité du droit au paiement sur l’opposition pour motif licite, malgré l’impossibilité d’actionner le droit cambiaire. Néanmoins le porteur n’engage pas dans ce cas une mainlevée de l’opposition, mais une action au fond.

 

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 juin 2015 reprend fermement le principe de non-ingérence du banquier tiré et réaffirme que celui-ci ne saurait se faire juge du motif d’opposition invoqué, dès lors qu’il s’agit d’un motif légal.

En l’espèce, l’ancien gérant d’une société avait remis à l’encaissement des chèques tirés sur celle-ci, émis par sa délégataire lorsqu’il était encore dans l’exercice de ses fonctions. Les chèques avaient été frappés d’opposition par le nouveau gérant. L’ancien gérant faisait valoir au pourvoi qu’il était encore en fonction lors de l’émission des chèques, qu’ils étaient donc valides malgré sa révocation postérieure. En outre, il avançait que le banquier tiré aurait dû vérifier si l’opposition n’était pas manifestement infondée.

La Cour de cassation retient néanmoins qu’il résulte de l’article L. 131-35 du Code monétaire et financier que la réalité du motif d’opposition n’a pas à être vérifiée par le tiré. L’absence de signature conforme constitue une illustration d’utilisation frauduleuse, permettant une opposition sur le moyen de paiement. L’arrêt réaffirme le principe de non-ingérence du banquier dans les affaires du titulaire du compte. C’est ainsi que seul le motif invoqué d’utilisation frauduleuse suffit à permettre une opposition en attendant une instance au fond. Les circonstances de l’émission n’ont pas à être vérifiées.

L’invocation par le tireur d’une signature non-conforme comme une utilisation frauduleuse dégage le banquier de sa responsabilité en ce que le blocage de la provision en attendant une instance au fond n’implique pas sa vérification de la signature conforme à celle de son client, ni de l’identité du tireur comme titulaire du compte.

Il résulte des faits que la manœuvre frauduleuse était un acte volontaire de l’ancien gérant de la société et de sa délégataire, dans le cadre d’une entente. L’arrêt confirme donc une interprétation étendue de la notion d’utilisation frauduleuse du titre de paiement, qui peut s’entendre d’une manœuvre initiée antérieurement à l’émission du chèque.

L’opposition permet ainsi, du fait du blocage immédiat de la provision par le banquier tiré, d’être un moyen efficace d’arrêter la fraude potentielle lors d’une anomalie intellectuelle rattachée au chèque et repérée par le tireur. Il est en effet plus difficile pour le banquier, sans s’immiscer dans les affaires des titulaires de compte, d’avoir conscience de ces anomalies lui-même[26].

MB

 


[1] Cass., Com., 8 octobre 2002, n°00-12.174, publié au Bulletin. 

[2] Req., 18 juin 1946, com. 9 févr. 1982, JCP 1946, II, 3252.

[3] Cass., com. 20 juin 1977, n°75-15.141, publié au Bulletin.

[4] Article L. 163-2 du Code monétaire et financier illustré par Cass. com., 30 mai 1995, n°93-10.454, publié au Bulletin.

[5] Cass., com., 26 mars 1973, n°72-11.565, publié au Bulletin.

[6] Cass. com., 5 nov. 2002, n°00-11.314, publié au Bulletin.

[7] Routier R., Obligations et responsabilités du banquier, Dalloz 2005.

[8] Cass., com. 4 juin 1991, n°89-14.629, publié au Bulletin.

[9] Article 41 du décret n°92-456 du 22 mai 1992.

[10] Cas de provision insuffisante.

[11] Condamnations entrainant interdiction d’émission de chèques.

[12] Une circulaire AFB du 17mai 1992 admet l’opposition par télégramme, télex, fax, guichet automatique.

[13] L’artice L.163-1 du Code monétaire et financier dispose que le banquier est passible d’une amende s’il refuse le paiement du chèque frappé d’opposition, alors qu’il n’a pas accompli son devoir d’information des cas d’opposition prévus par la loi.

[14] Cass., com., 26 juin 1979, n°78-12.281, publié au Bulletin.

[15] CA Versailles, 19 juin 1991.

[16] Rép. min. à QE n°8541 JOAN Q. 10/03/2003 et Proposition de loi n°1026 du 16 juillet 2004.

[17] Cass., com. 8 juil. 2008, n°07-16.936, publié au Bulletin

[18] Notamment lorsque la procédure collective implique un précédent porteur, Cass., com., 26 janv. 1999, n°96-11.779, publié au Bulletin

[19] Cass., com., 12 mars 1996, n°94-10.214, inédit

[20] Cass., com., 26 nov. 2003, n°01-10.165, Juris-Data n°2003-021307

[21] Cass., com., 21 nov. 1972, n°71-11.286, publié au Bulletin

[22] Crim., 1ier avril 2014, n°13-82.514, inédit.

[23] Cass., com., 24 oct. 2000, n°97-21.233, publié au Bulletin ; Cass., com., 19 déc. 2000, n°98-10.420, inédit.

[24] Cass., com. 24 octobre 2000, n°97-21.233, publié au Bulletin ; Cass., com., 18 févr. 2003, n°97-20.341, inédit. Le paiement du chèque ne peut être soumis à condition.

[25] Cass., com. 22 oct. 2002, n°01-03562, inédit.

[26] Même si la jurisprudence a déjà retenu la responsabilité du banquier lors du paiement d’un chèque d’un montant disproportionné.