Droit européen – Droits de l’Homme

Par Marina FOUR-BROMET

Diplômée Notaire, Chargée d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Comité européen des droits sociaux, 4 mars 2015, Association pour la protection des enfants (APPROACH) c. France, Réclamation n° 92/2013

 

 

Le Conseil de l’Europe, l’organisme européen de défense des Droits de l’Homme, estime, dans une décision rendue le mercredi 4 mars 2015, que la France viole l’article 17 de la Charte européenne des droits sociaux dont elle est signataire. Plus précisément, il reproche au droit français de ne pas prévoir d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise sur les châtiments corporels.
Pour comprendre cette récente décision, rappelons que le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale, instituée le 5 mai 1949 par le traité de Londres. Il s’agit surtout d’une organisation internationale dotée d’une personnalité juridique reconnue en droit international public et qui rassemble 800 millions de ressortissants de 47 États membres. Elle vise à faire respecter des normes juridiques dans différents domaines tels que la protection des Droits de l'Homme pour un renforcement de la démocratie et de la prééminence du droit en Europe.

 

Le Conseil de l’Europe, grâce au Comité européen des droits sociaux a notamment pour mission de promouvoir l’application de la Charte sociale européenne. Cette charte en date du 18 octobre 1961 a été ratifiée par la France à la même période que son pendant en matière de droits civils et politiques (en 1999), la Convention européenne des droits de l’homme.

L’article 17 de la Charte européenne des droits sociaux (Droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique) dont il est question dans la décision du 4 mars 2015 prévoit donc :

« En vue d'assurer aux enfants et aux adolescents l'exercice effectif du droit de grandir dans un milieu favorable à l'épanouissement de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques et mentales, les Parties s'engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques ou privées, toutes les mesures nécessaires et appropriées tendant:

1/ a) à assurer aux enfants et aux adolescents, compte tenu des droits et des devoirs des parents, les soins, l'assistance, l'éducation et la formation dont ils ont besoin, notamment en prévoyant la création ou le maintien d'institutions ou de services adéquats et suffisants à cette fin;

b) à protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l'exploitation;

c) à assurer une protection et une aide spéciale de l'Etat vis-à-vis de l'enfant ou de l'adolescent temporairement ou définitivement privé de son soutien familial;

2/ à assurer aux enfants et aux adolescents un enseignement primaire et secondaire gratuit, ainsi qu'à favoriser la régularité de la fréquentation scolaire. »

Depuis plusieurs années, le Conseil de l’Europe incite ses Etats membres à bannir les châtiments corporels envers les enfants. En effet, vingt-sept des quarante-sept pays membres ont déjà adopté une législation en ce sens.

En France, des associations, des médecins ou des élus plaident depuis longtemps pour une interdiction symbolique des châtiments corporels, donc de la gifle et de la fessée, dans le Code civil. Leurs arguments consistent à soutenir que les coups ne sont pas efficaces et ne font qu’enseigner l’usage de la violence aux enfants.

La justice française, de son côté, n’est pas opposée à l’interdiction des violences éducatives puisqu’elle les punit mais tolère un droit de sanction physique, à condition que celle-ci soit légère et qu’elle ait un but éducatif. En effet, si les violences graves sont interdites, une incertitude subsiste quant à l'existence d'un droit de correction physique reconnu par la justice. C’est d’ailleurs ce flou dans le droit français qui constitue une violation de la Charte sociale européenne, aux yeux des experts du Conseil de l’Europe, gardiens attitrés de ce traité.

Le rappel à l'ordre du Conseil de l’Europe envers la France s’agissant des châtiments corporels n'est pourtant pas nouveau puisqu’il a déjà, par trois fois, constaté que le droit français violait la Charte européenne des droits sociaux. Cependant, cette décision du 4 mars dernier est la première décision faisant suite à une réclamation déposée par une organisation non gouvernementale anglaise, l’Association pour la protection des enfants (Approach).

S’agissant d’une décision du Conseil de l’Europe, aucune amende n’est prévue. Le symbole reste cependant important puisqu’une telle décision pourrait ouvrir la voie à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme et peut-être à une mise en conformité de la législation nationale.

Cependant, il semble peu probable que cette décision européenne aboutisse à une réforme législative prochaine. En effet, la secrétaire d'Etat à la Famille, Madame Laurence Rossignol, a récemment précisé que si cette question devait faire l’objet d’une réflexion collective sur l'utilité des punitions corporelles dans l'éducation des enfants, cela ne passera pas par la loi. Il semblerait, selon elle, qu’il soit souhaitable d’éviter de couper le pays en deux camps, ceux qui sont pour la fessée et ceux qui sont contre. De plus, une telle loi poserait, en outre, des problèmes concrets d’application et ne prendrait pas en compte les violences psychologiques, sur lesquelles il est impossible de légiférer.

Force est de constater que jusqu’à aujourd’hui, le Gouvernement s’est toujours gardé d’aller sur le terrain législatif s’agissant des châtiments corporels sur les enfants. Alors que des amendements législatifs étaient déposés à plusieurs reprises, le pouvoir exécutif se contentait d’appeler à une prise de conscience des dégâts causés par les violences éducatives, rejetant ainsi toute évolution du droit.

MFB

Pour aller plus loin…

Consultez la Charte européenne des droits sociaux en cliquant ici.

 

Saviez-vous qu’il existe une Journée de la non-violence éducative en France ? Tous les 30 avril depuis 2004. Au-delà, il existe également une Journée internationale de la non-violence le 2 octobre, jour anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi.