Droit civil – Droit des successions

Par Marina FOUR-BROMET

Diplômée Notaire

 

Cass., civ. 1ère, 8 juillet 2015, Pourvoi N° 14-18.875, Publié au bulletin

 

Afin de comprendre au mieux l’intérêt de la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 8 juillet 2015, il convient de revenir sur la définition du testament. Il s’agit d’un écrit dans lequel une personne désigne les personnes auxquelles elle entend transmettre ses biens après son décès, dans les limites autorisées par la loi.

 

Le testament permet donc à toute personne, de faire, à titre gratuit, un legs qui prendra effet après son décès. Plus précisément, le testament se définit comme un acte juridique par lequel le testateur, exprime ses dernières volontés et dispose de ses biens pour la période qui suivra son décès. Précisons que lorsque le défunt n'a pas rédigé de testament, le patrimoine du défunt est partagé selon les règles prévues par la loi. Le testament est donc utile lorsque le testateur souhaite déroger aux règles légales. Il existe plusieurs types de testaments, comme le testament olographe (écrit de la main, sans notaire) ou le testament authentique (acte notarié).

Le testament est un acte unilatéral. Parce qu’il est l’expression de la volonté du testateur, le testament est toujours révocable jusqu’au décès de son auteur. C’est bien de sa révocation dont il est question dans cet arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2015.

 

Les faits de l’espèce

En l'espèce, par acte authentique du 28 décembre 2007, un homme, M. X, a fait donation à sa fille, de la nue-propriété de 120 parts d'une société civile immobilière, avec réserve d'usufruit à son profit, sa vie durant, puis, après son décès, au profit d’une tierce personne, M. Y.

Monsieur X., le donateur, est décédé le 2 janvier 2008, en laissant sa fille pour lui succéder.

 

Quid de la procédure ?

Monsieur Y assigne la fille de M. X en délivrance de son legs invoquant un testament olographe, daté du 5 décembre 2003, par lequel le défunt lui lègue notamment une rente viagère mensuelle de 4 580 euros à prélever sur les revenus de la SCI.

La Cour d'appel d'Orléans en date du 7 avril 2014 rejette cette demande. Elle retient qu'il résulte de la correspondance échangée entre le défunt et son notaire que la donation établie au profit du tiers constitue la mise en application effective des conseils donnés par l'officier ministériel.

Elle relève que la volonté du défunt a été de constituer au profit du tiers une rente d'environ 60 000 euros par an et que, pour parvenir à cet objectif, de substituer au mécanisme mis en place par le testament, celui instauré par la donation, plus avantageux fiscalement.

Elle retient que l’objectif du testateur était bien d’aboutir à une fiscalité plus intéressante et non de cumuler les dispositions du testament et la donation. En effet, un tel cumul aboutirait à un résultat incompatible avec la volonté du donateur, qui dépasserait de très loin la constitution d'une rente de 60 000 euros par an, tout en laissant les incidences fiscales auxquelles il voulait échapper.

Les juges d’appel déduisent que l'absence de révocation expresse du testament résultait probablement d'une omission dans l'acte de donation, ou plus certainement de la volonté de procéder à cette révocation par acte séparé. Cependant, le décès du testateur étant survenu quelques jours après l'établissement de l'acte de donation, ce dernier n’a matériellement pas pu procéder à l'établissement de la révocation du testament par acte séparé.

Ainsi, la Cour d’appel a conclu que la donation avait nécessairement entraîné la révocation des dispositions relatives au legs de la rente mensuelle de 4.580 €, incompatibles avec la constitution d'une réserve d'usufruit portant sur plus de cent-vingt parts de la SCI.

Le tiers légataire forme alors un pourvoi en cassation.

 

Quid de la solution de la Cour de cassation ?

Dans cet arrêt en date du 8 juillet 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation vient apporter des précisions sur la révocation du testament et notamment sur sa forme. La solution apportée ici reste classique mais n’est pas dépourvue d'intérêt pour le praticien. Elle rappelle ainsi les conditions de la révocation tacite, dont les cas sont limitativement fixés par la loi et la jurisprudence.

Au visa des articles 1035, 1036 et 1038 du Code civil, la Cour de cassation énonce un principe selon lequel « la révocation tacite d'un testament ne peut résulter que de la rédaction d'un nouveau testament incompatible, de l'aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l'altération volontaire du testament ». Elle censure ainsi la position prise par la Cour d'appel lui reprochant d’avoir violé les textes susvisés.

Le droit de tester est un droit absolu et implique également le droit de révoquer son testament. Aussi, aucune clause du testament ne peut s'y opposer. Un testament n'est jamais irrévocable. C’est pourquoi, de son vivant et jusqu’à son décès, le testateur peut à tout moment décider de révoquer ou d’annuler son testament.

La révocation du testament peut prendre plusieurs formes. Elle peut être explicite. Pour cela, la testateur procède par un acte de déclaration de changement de volonté devant notaire, en faisant un nouveau testament, en annulant ou révoquant le précédent, ou bien en détruisant tout simplement son testament (en le déchirant, en le brûlant, par exemple).

La révocation peut aussi être implicite. Il s’agira alors de l’hypothèse dans laquelle le bien légué dans le testament est cédé, vendu ou détruit, ou bien lorsqu’un nouveau testament est incompatible avec le précédent. Cependant, si des dispositions contenues dans deux testaments successifs sont compatibles, elles doivent être toutes exécutées.

Dans cet arrêt, les juges de la Haute juridiction ont considéré qu’une donation, quand bien même serait-elle suggérée par le notaire du donateur pour pallier les inconvénients d'un testament antérieurement établi, n'entraîne pas révocation tacite de ce dernier. En effet, la Cour de cassation interprète de manière restrictive les causes de révocation tacite d'un testament qui ne peuvent résulter que de la rédaction d'un nouveau testament incompatible, de l'aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l'altération volontaire du testament.

Elle conclut donc qu’une donation instaurant une réserve d'usufruit sur les parts d'une SCI n'est pas incompatible avec un testament antérieur léguant une rente mensuelle à prélever sur les revenus de ladite SCI.

De toute évidence, les juges de la Cour suprême souhaitent ici inviter les praticiens à faire preuve d’une grande vigilance dans leur devoir de conseil s’agissant de mettre en place les dernières volontés de leur client. Ainsi, même si une donation a pour but de remédier aux inconvénients d’un testament rédigé antérieurement, elle ne l’anéantit pas. Pour priver ledit testament de tout effet, il est plus prudent de l’annuler explicitement dans l’acte de donation lui-même ou bien par la rédaction d’un nouveau testament.

MFB