Droit pénal – Licence 2

Cyril PIOTROWICZ

Doctorant, chargé d’enseignement à l’Université Jean-Moulin Lyon 3

 

Le droit pénal connait sept principes quant aux peines : la légalité, la prévisibilité, l’égalité, l’individualisation, la personnalité, la nécessité et la proportionnalité. La légalité et la prévisibilité renvoient à l’origine textuelle de la peine encourue qui doit être fixée de manière claire et accessible soit par la loi pour les crimes et délits, soit par le règlement pour les contraventions ; l’égalité signifie que la peine encourue doit être la même pour tous ; l’individualisation permet à la juridiction d’adapter la peine encourue par l’auteur en fonction de sa situation ou des circonstances de l’infraction afin de prononcer une peine personnalisée ; la personnalité tend à s’assurer que la peine prononcée sera exécutée par la personne condamnée et non par un tiers ; la nécessité et la proportionnalité impliquent que les peines encourues et prononcées doivent être strictement nécessaires et proportionnelles à l’atteinte qu’elles répriment. La Cour de cassation contrôle l’application de ces principes et plus particulièrement la nécessité et la proportionnalité de la peine d’emprisonnement correctionnel prononcée sans sursis par les juridictions du fond.

 

I - Les règles juridiques applicables

L’article 130-1 du Code pénal définit la peine tant dans ses finalités que dans ses fonctions.

D’une part, elle poursuit trois objectifs : elle doit assurer la protection de la société, prévenir la commission de nouvelles infractions et restaurer l’équilibre social tout en respectant les intérêts de la victime.

D’autre part, elle a pour fonctions de sanctionner l’auteur de l’infraction mais aussi de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.

Afin de satisfaire à ces ambitions, l’article 132-1 du Code pénal inscrit l’obligation d’individualisation de toutes les peines prononcées 1: « la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ».

Concernant la nature et le quantum des peines encourues, les limites fixées par la loi résultent essentiellement des textes d’incrimination.

Par exemple, l’article 311-3 du même code réprime le vol simple avec deux peines encourues : une de nature privative de liberté d’un quantum maximum de trois années et une de nature pécuniaire d’un quantum maximum de 45 000 euros d’amende.

À l’inverse le régime des peines prononcées est régi par des textes à portée générale, il s’agit des articles 132-1 et suivants du Code pénal.

Depuis le Code pénal de 1994, c’est l’article 132-19 qui fixe le régime de la peine privative de liberté en matière correctionnelle. À cette époque, il prévoyait que : « En matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine ».

 

Rappels généraux sur la notion de sursis

Le sursis s’analyse comme une dispense conditionnelle de peine qui a pour effet d’en repousser l’exécution. Il peut assortir la totalité ou seulement une partie de la peine prononcée ; la partie de la peine non-assortie du sursis est qualifiée communément de « ferme ».

Si, dans le délai de cinq ans, l’auteur n’est pas une nouvelle fois condamné à une peine d’emprisonnement sans sursis et s’il satisfait aux obligations (mise à l’épreuve ou travail d’intérêt général), alors la fraction de la peine assortie du sursis est réputée non-avenue. 
À l’inverse, en cas de non-respect des obligations ou de nouvelle condamnation, le sursis sera révoqué et la partie de la peine qui en était assortie sera exécutée sans se confondre avec la nouvelle peine prononcée.

 

Dès lors, si un Tribunal correctionnel souhaitait prononcer une peine d’emprisonnement alors il était dans l’obligation, soit de l’assortir totalement du sursis, soit de motiver spécialement sa décision.


L’article 132-19 du Code pénal définissait donc l’emprisonnement sans sursis comme le principe, l’emprisonnement partiellement assorti du sursis ou ferme était alors une exception qui devait être justifiée. Cependant, aucune obligation légale n’entourait les conditions de motivation de la décision du tribunal : la peine d’emprisonnement sans sursis pouvant alors être justifiée pour diverses raisons (récidive légale, antécédent judiciaire, dangerosité particulière...).

Depuis 1994, non seulement l’esprit du texte n’a pas été modifié, mais il a de plus été renforcé.

Aujourd’hui, l’article 132-19 al. 2 prévoit notamment que : « En matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement » .

Cette nouvelle rédaction2 de l’article 132-19 al. 2 prévoit donc désormais des conditions pour prononcer la peine d’emprisonnement non-assortie du sursis qualifiée de « dernier recours ».


Premièrement, l’emprisonnement sans sursis doit être « rendu nécessaire » par « la gravité de l’infraction » et « la personnalité de l’auteur ».

Deuxièmement, l’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcé que si « toutes les autres sanctions sont manifestement inadéquates ».

Troisièmement, l’emprisonnement sans sursis « doit être aménagé si la personnalité et la situation du condamné le permettent » et « sauf impossibilité matérielle ».

L’alinéa 2 de l’article 132-19 reflète donc parfaitement le principe de nécessité de la peine privative de liberté en matière correctionnelle.

Cette analyse est confortée avec les dispositions de l’alinéa 3 : « Lorsque le tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement sans sursis […], il doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale. »

Ainsi, si le Tribunal correctionnel justifie que la peine privative de liberté sans sursis est « nécessaire » (compte tenu de « la gravité de l’infraction et de la personnalité de l’auteur ») et que les autres sanctions sont « manifestement inadéquates » alors, il est dans l’obligation de « spécialement motiver sa décision » en s’appuyant sur « les faits d’espèce », « la personnalité de l’auteur » et « la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur ».

L’alinéa 3 apparait donc plus comme un corollaire et moins comme un prolongement de l’alinéa 2.

En effet, exception faite de « la situation matérielle familiale et sociale de l’auteur », si pour prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis le Tribunal correctionnel doit justifier de la « gravité de l’infraction », « de la personnalité de l’auteur » et de « l’inadéquation manifeste des autres sanctions » sa décision est d’ores et déjà « spécialement motivée au regards des faits et de la personnalité de l’auteur ».

Néanmoins, étant prévue par la lettre du texte, « la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur » devra désormais être prise en considération dès qu’une peine d’emprisonnement correctionnel sans sursis est prononcée.

Face à ces nombreuses conditions cumulatives, on peut imaginer les mille et un motifs des Tribunaux correctionnels et Cours d’appel. Espérons que les attendus de la Cour de cassation nous éclairent sur les éléments pertinents et suffisants à retenir pour priver un homme de sa liberté.

 

II - La position de la Cour de cassation

Il serait prétentieux, et surement impossible, de s’essayer à examiner toute la jurisprudence de la Cour de cassation au visa de l’article 132-19 dans ces pages, c’est pourquoi nous nous proposons de ne retenir, au-delà des grands arrêts de principes, que l’actualité de la juridiction du quai de l’Horloge au cours du second trimestre 2016.

À l’approche chronologique de la jurisprudence, nous préférerons substituer ici une approche fidèle à la lettre de l’article 132-19 afin de souligner l’appréciation de la Cour de cassation de chacune des conditions de ce que le législateur définit comme la peine du « dernier recours » (A) mais qui demeure aménageable (B) : l’emprisonnement correctionnel non-assorti du sursis.

 

A. La peine « du dernier recours »

Cette peine du dernier recours ne peut être prononcée que sous de strictes conditions : d’une part l’emprisonnement sans sursis doit être nécessaire (1) et d’autre part les autres sanctions doivent être manifestement inadéquates (2).

 

1. Une peine nécessaire

Rappelons que l’article 132-19, al.2 du Code pénal prévoit que : « En matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire ».

La lettre du texte impose donc au Tribunal correctionnel de justifier la nécessité de la peine d’emprisonnement sans sursis au regard de deux éléments : d’une part, la gravité de l’infraction, d’autre part, la personnalité de l’auteur.

 

Quant à la gravité de l’infraction

Cela signifie-t-il que certains délits pourraient être qualifiés de peu graves (sic) par le législateur ou les juridictions et ne seraient dès lors jamais susceptibles d’être sanctionnés par une peine d’emprisonnement ferme ?

Le premier indicateur de la « gravité de l’infraction » est la peine encourue ou prononcée.

Si la durée de la peine d’emprisonnement prononcée est inférieure ou égale à cinq ans, alors le sursis simple ou avec mise à l’épreuve sont applicables (art. 132-31, 132-41 du Code pénal). A contrario, si l’emprisonnement est prononcé pour une durée supérieure à cinq ans alors il n’est pas susceptible de sursis.

La lecture combinée de ces dispositions (art. 132-31 et 132-19) nous informe, d’une part, que pour les délits dont la peine encourue est inférieure à cinq ans d’emprisonnement (ex : le vol simple), alors la peine d’emprisonnement prononcée peut être assortie du sursis et qu’au-delà, le sursis doit être prononcé (sauf à satisfaire les conditions de l’alinéa 2 de l’article 132-19).

D’autre part, pour les délits où sont encourues des peines d’emprisonnement d’une durée supérieure à cinq ans ( ex : les violences volontaires ayant entrainées une mutilation ou une infirmité permanente), il faut distinguer deux situations.

Si la peine prononcée est inférieure ou égale à cinq années d’emprisonnement, alors, comme pour le vol simple, le sursis peut et doit être prononcé (sauf à satisfaire aux conditions de l’article 132-19).

Si la peine prononcée est supérieure à cinq années d’emprisonnement, alors selon les articles 132-31 et 132-41, elle n’est pas susceptible d’être assortie du sursis et donc, par conséquent, s’agissant d’une peine ferme, la juridiction devra nécessairement satisfaire aux obligations de motivation de l’article 132-19.

Un deuxième indicateur peut être la situation de concours réel d’infraction. Dans un arrêt du 4 mai 2016 3, la Cour relève dans ces motifs que : « c'est à la mesure de ce rôle et du caractère particulièrement exceptionnel des infractions dont il [l’auteur] s'est rendu coupable que doit être déterminée le quantum de la peine », la Cour de cassation estimant que les motifs retenus satisfont aux exigences de l’article 132-19.

Le même arrêt du 4 mai 2016, nous permet de souligner un troisième et quatrième indicateur.
 D’une part, le caractère international 4 des infractions qui, dans les faits d’espèce, concernaient le Maroc, la France et les Pays-Bas.

D’autre part, la nature de l’infraction. Dans le même arrêt, la Cour d’appel et la Cour de cassation justifient la gravité par le « caractère exceptionnel des infractions » s’agissant de trafic de stupéfiants et de blanchiment d’argent pour plusieurs millions d’euro.

Dans un arrêt du 26 novembre 2014, a également été reconnu comme d’une particulière gravité «des faits d'une rare violence s'assimilant à des règlements de compte de mafieux, insupportables dans un état de droit » 5.

Enfin un arrêt du 6 avril 2016 estime que : « les faits [sont] d'une particulière gravité s'agissant d'infractions à la législation sur les stupéfiants mettant en péril la santé d'autrui et générant des profits. Ces actes justifient une peine d'emprisonnement sans sursis »6.

En conclusion, il est possible de souligner quelques éléments du faisceau d’indices permettant de satisfaire la condition de « gravité » de l’infraction : la peine d’emprisonnement prononcée, le concours d’infraction, la nature de l’infraction (notamment les violences mafieuses et les infractions à la législation sur les stupéfiants) et son caractère international.

La deuxième condition pour rendre la peine privative de liberté sans sursis « nécessaire » est relative à la personnalité de l’auteur.

 

Quant à la personnalité de l’auteur

Quels sont les éléments de la personnalité à retenir en l’espèce (qui ne doivent pas être confondus avec la situation matérielle, familiale et sociale cf. infra) ?

Dans l’arrêt du 4 mai 2016, la Cour de cassation valide une peine sans sursis notamment au regard du fait que : «[le prévenu], sans aucun antécédent judiciaire […] est en relation habituelle avec « le Rais » ou Faycal et A., auteurs de trafic de stupéfiants » 7.

La décision du 6 avril 2016 estime que : « Ces motifs satisfont aux exigences de l'article 132-19 du Code pénal, en l'absence [de la prévenue], qui s'est fait représenter, faute d'éléments permettant à la cour d'appel d'apprécier la situation matérielle, familiale et sociale de celle-ci. »8 .

Les indicateurs qui peuvent ainsi justifier que la personnalité de l’auteur rend l’emprisonnement sans sursis nécessaire sont : ses relations habituelles avec le milieu délinquant ou son absence à l’audience (cf. infra). À l’inverse, les antécédents judiciaires du prévenu semblent être sans influence.

Ainsi, la gravité de l’infraction et la personnalité de l’auteur permettent de qualifier la peine privative de liberté sans sursis de nécessaire.

Mais pour que cette peine nécessaire puisse être prononcée par la juridiction, il faut encore qu’aucune alternative ne soit possible.

 

2. L’inadéquation manifeste des autres sanctions encourues

La loi pénale est d’interprétation stricte, dès lors il convient de nous attacher à chacun des mots de l’article 132-19 et particulièrement aux notions de « toute autre sanction » et « manifestement inadéquate ».

Dans deux arrêts du 4 mai 2016, la Cour de cassation se prononce différemment sur la notion d’inadéquation manifeste des autres sanctions encourues.

Dans le premier, la Cour de cassation semble considérer que l’ensemble des sanctions prévues par le Code pénal est manifestement inadéquat dès lors que : « l'intéressé est de nationalité marocaine et établi aux Pays-Bas et pourrait donc tenter de fuir à l'étranger pour échapper à l'exécution de la sanction justifient de confirmer son maintien en détention »9.

Dans le second, « l'arrêt attaqué énonce que le bulletin n° 1 de son casier judiciaire porte mention d'une condamnation en 2008, pour des faits commis en 2005 de même nature que ceux de l'espèce et que la personnalité du prévenu justifie une telle peine. Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction […] a méconnu le texte susvisé »10.

A priori , le risque caractérisé de fuite à l’étranger suffit à rendre les autres sanctions comme manifestement inadéquates, mais à l’inverse la simple mention d’une situation de réitération d’infraction (et donc l’inefficacité des sanctions précédentes) ne suffit pas.

Egalement, les juges du fond qui justifient que des peines alternatives à l’emprisonnement ont d’ores et déjà été prononcée antérieurement et qu’elles «constituaient des avertissements dont [le prévenu] n’avait pas tenu compte » peuvent valablement conclure : « que seule une peine d'emprisonnement en partie ferme permettra au prévenu de prendre la mesure de la gravité des faits reprochés » et ainsi éviter la cassation11.

On peut donc en déduire qu’une sanction est « manifestement inadéquate » au sens de l’article 132-19 lorsqu’elle ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés par l’article 130-1 du Code pénal.

Ainsi, l’inadéquation manifeste des autres sanctions encourues semble pouvoir être prouvée par deux moyens : soit de manière générale compte tenu du risque particulier de fuite, soit de manière spéciale en justifiant que la privation de liberté sans sursis est l’unique moyen d’assurer les fonctions et finalités légales de la peine.

In fine, l’emprisonnement correctionnel sans sursis afin d’être qualifié de peine du « dernier recours » suppose des conditions légales très strictes : il doit s’agir d’une peine « nécessaire » au regard de la « gravité de l’infraction » et de la « personnalité de l’auteur » et les autres sanctions doivent être « manifestement inadéquates ». Ces conditions ne semblent en revanche pas être appréciées de manière restrictive par la Cour de cassation afin de ne pas paralyser l’institution judiciaire face à des exigences textuelles draconiennes.

En plus de ces conditions strictes pour pouvoir prononcer la peine privative de liberté sans sursis, le législateur impose à la juridiction de l’aménager.

 

B. Une peine nécessaire mais aménagée

Pour rappel, l’article 132-19 du Code pénal prévoit que « la peine d’emprisonnement doit […] faire l’objet d’une des mesures d’aménagement », la loi pénale étant d’interprétation stricte, le Tribunal correctionnel a donc pour obligation de procéder à l’aménagement de la peine d’emprisonnement correctionnel sans sursis, mais celui-ci est, encore une fois, particulièrement encadré (1). In fine, lors du prononcé de la peine, le législateur impose à la juridiction de spécialement motiver sa décision au regard de six critères cumulatifs (2).

 

1. Une obligation d’aménagement limitée

L’article 132-19 conclut son deuxième alinéa avec l’obligation d’aménager la peine soit sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur, du placement sous surveillance électronique, soit d’exécuter la peine par fraction, l’objectif étant d’éviter les sorties qualifiées de « sèches » qui ne favorisent pas la réinsertion des condamnés et augmentent donc les risques de récidive ou de réitération. Cette obligation d’aménagement est toutefois limitée par deux éléments : d’une part il faut que « la personnalité et la situation du condamné le permettent » et qu’il n’y ait pas « d’impossibilité matérielle »12.

Dans un arrêt du 6 janvier 2016, la Cour de cassation pose un attendu de principe explicitant clairement l’article 132-19 : « le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit […] s'il décide de ne pas aménager la peine, […] motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ».

On retrouve cette obligation d’aménagement dans un arrêt où la Cour d’appel prononce une peine partiellement assortie du sursis mais qui «ne s’est pas prononcée sur l'aménagement de la peine d'emprisonnement sans sursis, [la Cour d’appel a alors] méconnu le texte susvisé [art. 132-19] »13. La cassation est toujours encourue sauf lorsque l’aménagement de la peine est : soit prononcé, soit refusé au regard de la personnalité et situation du condamné ou d’une impossibilité matérielle d’aménagement.

 

La personnalité et la situation du condamné

Il s’agit de critères cumulatifs, la gravité de l’un ne dispense pas d’étudier l’autre14 .

La personnalité du condamné ayant déjà été évoquée plus haut, nous nous intéresserons ici à sa situation matérielle, familiale et sociale.

Il faut d’abord rappeler que l’absence du prévenu à l’audience, « ne permet pas à la juridiction d’apprécier la situation matérielle, familiale et sociale » du prévenu mais que pour autant, l’arrêt n’encourt pas la cassation dans cette hypothèse15, ce serait seulement une obligation de moyen.

La juridiction doit ainsi rechercher des éléments relatifs à la situation du prévenu, mais elle n’est pas tenue d’en trouver si elle justifie d’un obstacle suffisant.

 

L’impossibilité matérielle d’aménagement

À notre connaissance, aucune juridiction du fond ne s’est encore fondée sur la notion d’impossibilité matérielle pour se refuser à aménager une peine privative de liberté sans sursis.

En effet, bien que nous ayons souligné une obligation de moyen pour la juridiction de rechercher les éléments de la situation du condamné, on peut s’interroger sur « l’impossibilité matérielle » du prononcé ou de l’aménagement d’une peine.

D’une part, si l’article 132-19 semble admettre qu’un aménagement (ex : le placement sous surveillance électronique mobile) ne puisse être ordonné compte tenu d’une impossibilité matérielle (ex : le manque de « bracelet électronique »), cela nous semble critiquable sur le plan théorique : on imagine facilement l’atteinte que cela porterait au crédit de l’Institution judiciaire.

D’autre part, est-ce que l’aménagement d’une sanction est si peu utile que l’on préfère lui substituer une peine ferme ? Cette disposition semble aller contre l’esprit du texte qui lutte justement contre l’emprisonnement et en faveur du sursis et d’un retour à la société.

Au final, refuser d’aménager une peine non-assortie du sursis pour cause d’impossibilité matérielle emporte plus de problème et de critique que de solution, c’est pourquoi il nous semble qu’aucune juridiction ne semble y avoir recours.

 

2. L’obligation d’une décision particulièrement motivée

Le troisième et dernier alinéa de l’article 132-19 du Code pénal prévoit que pour prononcer une peine privative de liberté sans sursis, le Tribunal correctionnel doit rendre une décision spécialement motivée qui prend en compte :

  • Les faits de l’espèce (et leur gravité) ;
  • La personnalité de l’auteur ;
  • La situation matérielle de l’auteur ;
  • La situation familiale de l’auteur ;
  • La situation sociale de l’auteur.

À cela s’ajoute, bien évidemment, l’obligation prévue à l’alinéa 2 de justifier l’inadéquation manifeste des autres sanctions.

La Cour de cassation contrôlant strictement chacun des critères, qui sont cumulatifs en accord avec le principe général du droit selon laquelle « le droit pénal est d’interprétation stricte ».

In fine , l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mai 2016 souligne l’exemplarité des motifs de la Cour d’appel de Paris au visa de l’article 132-19 pour une peine de quatorze ans d’emprisonnement :

« que les faits de trafic de stupéfiants et encore plus quand ils sont commis à grande échelle comme ici permettent la propagation de produits très nocifs pour la santé publique […] que le prévenu a des antécédents terriblement lourds (vingt-deux ans et demi de prison prononcés avant les faits) pour des faits de trafic de stupéfiants ; qu'il ne devait pas se trouver sur le territoire national où il est venu sous couvert d'une fausse carte d'identité pour continuer son activité délictuelle, tout en sachant s'adapter aux modes du marché puisque, de ses propres dires, il a commencé par un trafic d'héroïne, continué avec celui de la cocaïne et s'est mis à celui du MDMA ; que la gravité des faits et la personnalité du prévenu, égard pris de sa situation matérielle, familiale et sociale rendent nécessaire le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme, toute autre sanction étant manifestement inadéquate ; que celle-ci ne peut qu'être élevée et supérieure à la plus lourde déjà infligée à ce prévenu impénitent […] ; que le prévenu est de nationalité étrangère et demeure normalement en Hollande où est installée sa famille ; qu'il vit manifestement de ses trafics de stupéfiants et a déjà été condamné pour cela ; que son maintien en détention s'impose donc pour assurer l'exécution de la peine et éviter le renouvellement des faits ; […] que tant sous le nom de F... que sous son identité revendiquée céans M. X... fait l'objet de deux interdictions définitives du territoire français exécutoires dont la seconde récemment prononcée ; qu'il est inutile d'en prononcer une 3 è »16.

Un long travail de rédaction attend désormais les juges du fond alors que, par ailleurs, le Conseil constitutionnel vient de renoncer à l’utilisation des « considérants » afin de simplifier la lecture de ses décisions.

 

Pour aller plus loin

Alexis Mihman, La motivation spéciale des peines d’emprisonnement, Gaz. Pal., n°1 6, 26 avril 2016.

C. P.


1 La peine encourue est la peine prévue par la loi ou le règlement ; la peine encourue est celle prononcée par la juridiction de jugement ; la peine exécutée est celle réellement subie par la personne condamnée.

2 Issue de la Loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

3 Crim. 4 mai 2016, n°15-80.272.

4 Pour un autre exemple : Crim. 6 avril 2016, n°15-81.203.

5 Crim. 26 novembre 2014, n°13-81.851.

6 Crim. 6 avril 2016, n°15-81.203.

7 Crim. 4 mai 2016, n°15-80.272.

8 Crim. 6 avril 2016, n°15-81.203.

9 Crim. 4 mai 2016, n°15-80.272.

10 Crim. 4 mai 2016, n°15-80.770.

11 Crim. 6 janvier 2015, n°13-87.652

12 Crim. 6 janvier 2016, n°14-87.076.

13 Crim. 4 mai 2016, n°15-80.770.

14 Crim. 30 mars 2016, 15-80.790.

15 Crim. 6 avril 2016, n°15-81.203.

16 Crim, 11 mai 2016, n°13-85.368 et n°15-83.633.