Droit administratif – Droit de l’environnement . L’interdiction française de la culture de maïs génétiquement modifié par la loi n° 2014-567 du 2 juin 2014, par Céline WRAZEN, Docteur en droit, Université Jean Moulin Lyon 3.

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L’interdiction française de la culture de maïs génétiquement modifié DROIT ADMINISTRATIF – DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

Par Céline WRAZEN

Docteur en droit

« Article unique.

I. ? La mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié est interdite.

II. ? Le respect de l’interdiction de mise en culture prévue au I est contrôlé par les agents mentionnés à l’article L. 250-2 du code rural et de la pêche maritime. Ces agents disposent des pouvoirs prévus aux articles L. 250-5 et L. 250-6 du même code.

En cas de non-respect de cette interdiction, l’autorité administrative peut ordonner la destruction des cultures concernées.

La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat. »

 

Loi n° 2014-567 du 2 juin 2014 relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié

Depuis les années 2000, et notamment les travaux d’un atelier intergroupe dédié aux OGM au sein du Grenelle Environnement de 2007, le cadre fixé pour régir les OGM a évolué au gré de divers textes législatifs, réglementaires et jurisprudentiels, français et européens, pour aboutir, notamment, le 2 juin 2014, à la présente loi.

C’est dans ce contexte qu’il semble intéressant de définir plus amplement ce que sont les organismes génétiquement modifiés ainsi que les objectifs qu’ils poursui vent (I) et d’exposer le cadre normatif qui les entoure (II).

I – Les organismes génétiquement modifiés

Que recouvre exactement l’expression OGM, « organismes génétiquement modifiés » ? (A) et pourquoi avoir recours à ces organismes ? (B)

A. La définition juridique des OGM

Le Code de l’environnement donne une définition des organismes génétiquement modifiés. En effet, son Livre V intitulé « Prévention des pollutions, des risques et des nuisances » comporte un Titre III entièrement dédié aux OGM. L’article L. 531-1 du Code de l’environnement procède par étape.

Il définit ce qu’est un organisme : il s’agit de « toute entité biologique non cellulaire, cellulaire ou multicellulaire, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique ; cette définition englobe les micro-organismes, y compris les virus, les viroïdes et les cultures de cellules végétales et animales ».

Puis, il précise la notion d’organisme génétiquement modifié : il s’agit d’un « organisme dont le matériel génétique a été modifié autrement que par multiplication ou recombinaison naturelles ».

Enfin, il détaille son utilisation, qui consiste en « toute opération ou ensemble d'opérations au cours desquelles des organismes sont génétiquement modifiés ou au cours desquelles des organismes génétiquement modifiés sont cultivés, stockés, transportés, détruits, éliminés ou mis en œuvre de toute autre manière. »

À la lumière de cette définition, on se rend compte qu’il existe des OGM (organismes génétiquement modifiés, qu’ils soient animal ou végétal), mais également des MGM (micro-organismes génétiquement modifiés tels que des bactéries, des parasites ou des champignons…). Il existe enfin l’acronyme OVM (organismes vivants modifiés) qui fait uniquement référence au vivant et non pas aux denrées alimentaires ou autres produits issus de ces OVM, qui sont donc morts et incapables de se reproduire. Par exemple, le plant de maïs transgénique est un OVM, tandis que sa farine est un OGM. Il est toutefois possible de considérer que ces deux termes sont synonymes.

Autre terme, plus ou moins synonyme, il s’agit de la transgénèse qui consiste, soit à ajouter une information génétique étrangère, soit à remplacer un gène endogène par un gène étranger (le maïs transgénique). Par souci de clarté, il sera fait référence à l’acronyme OGM. Un OGM est donc un organisme dont on a modifié les gènes (les gènes étant des éléments d’information héréditaire situés sur un chromosome en un locus donné, autrement dit à un endroit précis sur ce chromosome).

L’expression « génie génétique » correspond à un ensemble de techniques qui permettent d’isoler un fragment d’acide nucléique [qui est une « substance chimique portant, dans chaque cellule, les instructions héréditaires codées qui permettent le développement de l'organisme » [selon le Dictionnaire Larousse] dans un organisme donné, de le multiplier (clonage) et de le réintroduire dans le génome (le matériel génétique ou l’ensemble des gènes) d’un autre organisme, de la même espèce ou d’une espèce différente (végétale, céréale, légume, arbre). Selon le Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, ce serait plus d’une centaine d’espèces qui pourraient être transformées telles que le soja, le maïs, le coton et le colza pour ne citer que les plus cultivées (site internet du Ministère consultable à l’adresse: http://www.ogm.gouv.fr/spip.php?rubrique4).

L’objectif de ces techniques de « génie génétique » est d’introduire dans un organisme un caractère nouveau lorsque le ou les gène(s) correspondants sont identifiés afin d’apporter des solutions dans le domaine médical, agricole, alimentaire et environnemental.

B. La vocation des OGM

Les OGM ont un spectre d’action relativement large puisqu’ils interviennent tant dans les domaines médical, agricole, alimentaire et environnemental.

Concernant la médecine, les OGM sont expérimentés pour soigner diverses maladies (cancers, maladies génétiques – mucoviscidose, myopathie…), dans les vaccins (hépatite B) mais également pour lutter contre le nanisme avec la production d’hormones de croissance ou le diabète avec la production d’insuline.

Concernant l’agriculture, les plantes génétiquement modifiées (maïs, soja, coton…) sont plus résistantes aux insectes, aux herbicides, à certaines maladies, voire un jour à des conditions climatiques extrêmes (sècheresse…).

Concernant l’environnement, la dépollution des sols et autres contaminés est expérimentée au moyen de plantes ou de micro-organismes, comme c’est déjà le cas pour les eaux usées industrielles.

Concernant l’alimentation, si la lutte contre les carences est en cours d’étude (riz enrichi en fer, huiles enrichies en vitamines…), un seul aliment est véritablement modifié génétiquement, il s’agit du maïs doux, objet de la présente loi (même si d’autres aliments transformés le sont également - huiles, farines…).

Modification de la nature, quel cadre normatif proposer face aux techniques de création d’OGM ?

II – Le cadre normatif relatif à la culture d’organismes génétiquement modifiés

Sur le plan international, la prévention des risques biotechnologiques repose sur la Convention sur la diversité biologique adoptée à Rio en 1992 et consacrée par le protocole de Carthagène signé le 29 janvier 2000 et entré en vigueur le 11 septembre 2003.

Un protocole additionnel, le Protocole de Nagoya - Kuala Lumpur, est venu compléter ce dernier en matière de responsabilité et de réparation des dommages causés par les organismes vivants modifiés (OVM). Il s’agit du premier accord international environnemental sur les OGM. Le texte a été adopté en 2010 et entrera en vigueur après la quarantième ratification par les États signataires.

Les textes qui vont toutefois nous intéresser sont les textes de l’Union européenne (A) et les textes français (B).

A. Le cadre imposé par l’Union européenne

Trois textes principaux régissent les organismes génétiquement modifiés dans le but de protéger la santé humaine et l’environnement au niveau européen. Il s’agit :

· de la Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes modifiés génétiquement dans l'environnement (abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil) ;

· du Règlement n° 1829/2003/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés ;

· et du Règlement n° 1946/2003/CE sur les mouvements transfrontières des organismes génétiquement modifiés (suite au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques signé le 29 janvier 2000 dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique adoptée à Rio en 1992, et entré en vigueur le 11 septembre 2003).

Ces textes visent à améliorer l'efficacité et la transparence de la procédure d'autorisation des OGM tout en mettant en place une méthode commune d'évaluation des risques et un mécanisme de sauvegarde. Ils rendent également obligatoires la consultation du public et l'étiquetage des OGM.

La directive limite l’autorisation de mise sur le marché des OGM à une durée de 10 ans, renouvelable et introduit corrélativement un contrôle obligatoire après leur mise sur le marché. Elle prévoit également une méthode commune d'évaluation au cas par cas des risques pour l'environnement liés à la dissémination d’OGM (directive, annexe II). Conformément au principe de précaution, elle met en place un mécanisme permettant la modification, la suspension ou la cessation de la dissémination des OGM lorsque l'on dispose de nouvelles informations sur les risques associés à cette dissémination. Enfin, elle rend obligatoires la consultation du public (comités scientifiques compétents, comités d’éthique…) et l'étiquetage des OGM (registres recensant les informations sur les modifications génétiques et la localisation des OGM).

Le premier règlement pose des conditions plus strictes que la directive concernant l’autorisation de mise sur le marché de produits OGM.

Le second règlement organise les mouvements non intentionnels d’OGM entre États et les exportations d’OGM vers les pays tiers.

Si la législation européenne fixe un cadre précis, il ne fut pas aisé, à la fin des années 2000, de suivre les revirements de situation en France.

B. Le cadre français

Le 3 août 1998, la France autorise la mise sur le marché du maïs OGM, objet de la présente loi, et plus précisément le maïs MON 810 (de la société Monsanto). La société civile et la communauté scientifique étant partagées sur les OGM, la France a ensuite décidé de suspendre l’utilisation de ces semences par un arrêté du 5 décembre 2007, puis d’en interdire la mise en culture sur son territoire (arrêtés du 7 et du 13 février 2008).

Dans le même temps, la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés a été adoptée, posant un cadre précis quant à la culture des OGM et créant une autorité indépendante pour éclairer le Gouvernement sur les risques éventuels liés à l’utilisation d’OGM dans les cultures. Puis, le Conseil d’Etat fut saisi de recours contre les deux arrêtés précités. Il effectue alors un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice de l’Union européenne.

Point de droit

Le renvoi préjudiciel est la procédure qui permet à une juridiction nationale d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation ou la validité du droit de l’Union dans le cadre d'un litige dont cette juridiction est saisie. Le renvoi préjudiciel offre ainsi le moyen de garantir la sécurité juridique par une application uniforme du droit de l’Union dans l'ensemble de son territoire.

Le 8 septembre 2011, la CJUE juge qu’il faut qu’il y ait urgence et risque important et manifeste en matière sanitaire ou environnementale pour suspendre et interdire la culture des variétés du maïs comme le prévoit l’article 34 du règlement de 2003 (CJUE, 8 sept. 2011, aff. C-58/10 et C-68/10 : Europe 2011, comm. 441, obs. S.R). Ainsi, le Conseil d’Etat décide d’annuler les deux arrêtés de 2007 et 2008 pris non sur le fondement précité mais sur d’autres dispositions du Code de l’environnement et du Code rural (CE, 28 nov. 2011, n° 312921 et AGPM n° 313546, Soc Monsanto).

Le ministre de l’agriculture prend donc un nouvel arrêté le 16 mars 2012 suspendant, comme celui de 2007, la mise en culture du maïs OGM, sur la base de l’urgence telle qu’envisagée par le règlement de 2003. Le Conseil d’Etat annule à nouveau cet arrêté puisque les conditions posées par ledit règlement ne sont pas réunies pour décréter l’état d’urgence (CE, 1er août 2013, n° 358/103, AGPM). C’est ainsi qu’un autre arrêté est pris par le ministre de l’agriculture le 14 mars 2014 visant à interdire la commercialisation, l’utilisation et la culture des variétés de maïs OGM. Il n’est toutefois pas suspendu par le ju ge des référés du Conseil d’Etat, le 5 mai 2014.

C’est alors qu’un accord européen est finalement trouvé au Conseil « Environnement » qui s'est tenu le 12 juin 2014.

Il en est résulté que chaque État peut désormais interdire la mise en culture des OGM. De même, il peut ajouter de nouveaux critères (les problèmes d'ordre public que poseraient les cultures transgéniques, le préjudice que pourrait subir les autres acteurs agricoles comme ceux de la filière biologique…). Ainsi, la loi du 2 juin 2014 interdit purement et simplement la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié.

Quelques jours auparavant, le 28 mai, le Conseil constitutionnel l’avait déclarée conforme à la Constitution (2014-694 DC), écartant ainsi les trois griefs invoqués à savoir la méconnaissance du droit de l’Union européenne, du principe de précaution et de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Pour en assurer l’application, la présente loi a prévu le recours aux agents mentionnés à l’article L. 250-2 du Code rural et de la pêche maritime (ingénieurs, inspecteurs, techniciens, fonctionnaires…).

Les pouvoirs de ces agents, prévus aux articles L. 250-5 et L. 250-6 du même code, sont : l’accès à tous les lieux à usage professionnel en lien avec l’activité de mise en culture ; la production de tout document jugé nécessaire au contrôle du respect de la législation et le prélèvement, voire la consignation (le séquestre), de tout échantillon de végétaux ou d’autres objets jugés utiles aux fins d’analyse.

En l’espèce, la présente loi vise uniquement la culture du maïs. Ainsi, les autres cultures OGM peuvent être poursuivies en toute légalité. Le fauchage des champs de culture OGM a encore de beaux jours devant lui…

Pour en savoir plus…

- Code de l’environnement, articles L. 531-1 et suivants.

- www.ogm.gouv.fr.

- Jean-Christophe MENARD, « L'interdiction de la culture des maïs "OGM" déclarée conforme à la Constitution », La Gazette du Palais, 03/09/2014, 246-247, p. 18-19.

- Denys SIMON, « La décision «OGM» du Conseil constitutionnel : une occasion manquée ? », Jurisclasseur Europe n° 7, Juillet 2014, Focus, alerte 24.

Faculté de Droit