Droit des obligations – Droit bancaire – Licences 2 et 3

Maïthé SAMBUIS

Avocate au Barreau de Lyon,

Chargée d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-20216

 

Dans le cadre d’un financement, les établissements bancaires ont notamment deux obligations :
  • Une obligation générale d’information (consistant à transmettre les éléments objectifs et précis relatifs au crédit) ;
  • Et une obligation particulière de mise en garde (dont l’étendue diffère en fonction de la complexité de l’opération) en considération des capacités financières de l’intéressé et des risques d’endettement né de l’octroi du prêt.

 

 

Cette obligation de mise en garde bénéficie tant à l’emprunteur principal qu’à sa caution.

Elle ne s’étend pas jusqu’à un devoir de conseil sur l’opportunité de conclure l’opération de financement (ou telle ou telle opération plutôt qu’une autre) ; ce qui reviendrait sinon pour la banque à s’ingérer indûment dans les affaires de l’emprunteur.

Elle est par ailleurs limitée :

  • D’abord, en cas de comportement déloyal, de rétention d’informations (autrement dit de dol) ; par exemple, sur l’état réel d’endettement de l’emprunteur au jour de sa demande crédit.
  • Ensuite, lorsque l’emprunteur (ou la caution) est considéré comme étant averti.

S’agissant de cette dernière limitation, la question se pose dès lors de savoir : qu’est-ce qu’un emprunteur (ou une caution) averti ?

Les juges du fond ont un large pouvoir d’appréciation en la matière.

Au nombre des emprunteurs non-avertis figurent, sans difficultés, les bénéficiaires d’opérations de crédit régies par le code de la consommation (ainsi que les cautions profanes) mais pas seulement.

Au regard d’une jurisprudence constante, le professionnel, le commerçant, l’associé et même le dirigeant n’est en effet pas automatiquement considéré comme étant un débiteur averti.

C’est d’ailleurs ce que confirme un arrêt récent de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 22 mars 2016 (n° 14-20216) qui a cassé et annulé un arrêt d’appel ayant retenu le caractère averti d’une caution « en considération [sans autres explications, même s’il avait été rapidement évoqué, le fait que plusieurs cautionnements avaient été souscrits par le même dirigeant et que le matériel, objet du crédit-bail, était directement en lien avec l’activité de sa société] des fonctions qu’elle exerçait au sein de la société débitrice principale ». La Cour de cassation a, en effet, rappelé que le caractère averti ou non de la caution ne pouvait être déduit « de la seule qualité de dirigeant et associé [de celle-ci] ».

L’emprunteur (ou la caution) non-averti peut, à cet égard, être une personne physique ou une personne morale (prise alors justement en la personne de ses dirigeants).

Pour chaque cas d’espèce, les juges doivent en réalité procéder à une analyse concrète des faits.

Ils se basent ainsi sur un faisceau d’indices comprenant notamment la formation du débiteur, sa profession, son expérience, ses habitudes, ses revenus, la nature du prêt, etc. ; ce qui leur permet de déduire que l’emprunteur disposait ou non des informations nécessaires à l’appréciation de la portée de ses engagements.

S’agissant des cautions, leur implication dans les affaires de l’emprunteur, débiteur principal, et dans le projet financé, ainsi que leur compétence dans le secteur d’activité considéré et leur expérience, sont en particulier examinés.

Dans un arrêt également récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 31 mai 2016 (n° 15-12354), la caution dirigeante a ainsi été considérée comme suffisamment avertie du fait des différents postes précédemment occupés, lesquels avaient été utilement détaillés (contrairement à l’arrêt de la Cass. 1ère civ., du 22 mars 2016 précité) :

« […] l'arrêt [d’appel] relève [en effet] que la caution, qui dirigeait la société qu'elle avait créée et dont elle se rendait caution, avait remis à la banque, d'une part, un curriculum vitae faisant état de son « expérience réussie en gestion de centres de profits et management acquise dans le bâtiment dans la création d'une entreprise touchant la rénovation énergétique de l'habitat », d'une expérience de directeur régional puis directeur commercial d'un groupe de promotion immobilière et de construction de maisons individuelles, de responsable de secteur d'un fabricant de menuiseries intérieures et de responsable régional d'un groupe de promotion immobilière, et, d'autre part, une étude prospective de faisabilité soulignant à plusieurs reprises que son expérience « réussie et de qualité en management commercial, gestion et développement d'entreprises dans le domaine de l'habitat plus particulièrement dans la construction de maisons individuelles » constitue un atout pour la réussite du projet, puis retient que la caution, même sans être spécialiste du financement d'entreprises, disposait d'une expérience professionnelle en tant que cadre dirigeant suffisamment solide, de sorte qu'elle ne pouvait se présenter comme un créateur d'entreprise totalement dépourvu d'expérience ; que par ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir le caractère averti de la caution et par voie de conséquence l'absence d'obligation de mise en garde de la banque à son égard, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée par les motifs critiqués par les deuxième et troisième branches, a légalement justifié sa décision ».

Il ressort de ce qui précède que la jurisprudence actuelle tend vers une conception restrictive de la notion d’emprunteur (ou de caution) averti.

Les établissements bancaires auront donc tout intérêt, d’une part, à vérifier notamment l’expérience, les compétences et l’implication dans le projet à financer de l’emprunteur ou de sa caution. D’autre part et dans le doute, à remplir l’obligation de mise en garde, y compris vis-à-vis de dirigeants qui pourraient être, a posteriori et en justice, jugés non-avertis.

A cet égard, il appartiendra d’ailleurs aux établissements bancaires d’établir et de conserver les vérifications effectuées auprès de l’emprunteur (et de sa caution) pour s’assurer qu’il(s) étai(en)t bien averti(s) ou, à défaut, les éléments justifiant de la réalisation de leur obligation de mise en garde, ce dont ils devront en effet apporter la preuve en cas de contentieux (conformément à l’article 1315 du code civil).

En cas de manquement à cette obligation de mise en garde, l’emprunteur (ou la caution) victime pourra réclamer la réparation du préjudice qu’il a subi et qui s’analysera en une perte de chance de ne pas avoir souscrit l’emprunt (ou l’acte de caution) concerné.

En la matière, le montant de l’indemnité alloué correspond en général aux intérêts, frais financiers et pénalités éventuelles ou encore à un pourcentage du montant du prêt (correspondant au pourcentage de probabilité estimé auquel l’emprunteur n’aurait pas souscrit le prêt si sa banque l’avait valablement mis en garde). A l’égard de l’emprunteur principal, l’indemnité retenue par les juges ne correspond en revanche jamais, en principe, à l’intégralité du prêt souscrit, capital inclus.

M. S.

Faculté de Droit