Droit civil – Contrats spéciaux

Marina FOUR-BROMET

Notaire diplômée, Chargée d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

Cass. 1ère civ., 17 mars 2016, n° 14-27.168

 

Le 17 mars 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu l’arrêt suivant :

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2014), rendu sur renvoi après cassation (1ère Civ., 28 mars 2008, pourvoi n° 06-10.715, B. N° 95) que Paulette Y..., fille de Paul-César Z..., ami de Claude Monet, ayant reçu, après le décès de celui-ci, le don d’un portrait non signé, avec l’indication qu’il s’agissait d’une oeuvre de John Singer Sargent, a, le 10 septembre 1984, vendu ce tableau à la société Wildenstein and Company Incorpored (la société Wildenstein) ; qu’ayant émis des doutes ultérieurement sur l’authenticité du tableau, cette dernière a assigné Paulette Y... en nullité de la vente, prétendant qu’il devait être attribué à un peintre de moindre renommée, Charles Giron ; que les parties ont signé, le 11 mars 1986, une transaction confirmant irrévocablement la vente du tableau attribué par Paulette Y... au peintre John Singer Sargent, avec diminution de moitié du prix, Paulette Y... prenant acte de l’intention de la société Wildenstein de présenter le tableau à l’acceptation, à titre de donation, à l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France, avec le souhait de le voir exposé au musée Marmottan ; qu’en 1996, l’association Wildenstein Institute a fait paraître une nouvelle édition du catalogue raisonné de l’oeuvre de Claude Monet, rédigée par Daniel A..., qui présentait le tableau comme un autoportrait de ce peintre ; que Paulette Y... a assigné la société Wildenstein, l’association Wildenstein Institute et Daniel A... en annulation de la vente et de la transaction pour erreur sur la substance et pour dol, puis appelé en cause l’Académie des beaux-arts et le musée Marmottan afin d’obtenir la restitution du tableau ; qu’à la suite du décès de Daniel A..., l’instance a été reprise contre ses deux fils, MM. Guy et Alec A..., et, au décès de ce dernier, contre ses héritiers, Mme Diane A..., M. Alec A... et Mme B..., ainsi que Mme C..., prise en qualité de mandataire successoral de Sylvia D..., veuve de Daniel A... (les consorts A...) ; qu’au décès de Paulette Y..., la procédure a été reprise par M. X..., légataire de ses droits sur le tableau litigieux ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt, qui a prononcé la nullité de la vente du 10 septembre 1984 pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue, de constater l’absence de demande de rescision pour erreur sur l’objet de la transaction et de rejeter en conséquence ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en retenant que M. X... ne sollicitait pas la rescision ou la nullité de la transaction mais seulement celle de la vente du tableau intervenue en 1984 et en retenant encore que la nullité de la transaction n’avait été réclamée et soutenue que pour inexécution des engagements sur le fondement de l’article 953 du code civil quand M. X... faisait valoir que les circonstances entourant la vente et la transaction « ne p[ouvaient] qu’entraîner la nullité de toutes les conventions conclues » et encore que « Mme Y... s’est trouvée, en conséquence, bien fondée à engager la présente procédure pour demander l’annulation pure et simple de toutes les conventions passées avec M. A... et les sociétés qu’il contrôle… », la cour d’appel, qui a dénaturé ces écritures, a violé l’article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que, dans le dispositif de ses conclusions, M. X... demandait la nullité de la vente en application des articles 1109, 1110, 1116, 1184 et 2053 du code civil ; qu’il était soutenu que « les mêmes erreurs et dol affect[ai]ent la validité de la transaction conclue en 1986 » ; qu’outre ces causes de nullité communes à la vente et à la transaction, M. X... demandait à ce que soit constatée l’inexécution des engagements de la transaction, cause de nullité propre à cette dernière, et faisait valoir que la transaction ne pouvait qu’être annulée à ce titre sur le fondement de l’article 953 du code civil ; qu’en décidant que M. X..., en accolant le fondement juridique particulier de l’article 953 du code civil à sa demande de nullité de la transaction, aurait limité sa demande à ce seul moyen, la cour d’appel a procédé à une interprétation interdite de ses conclusions qui, par des termes clairs et non ambigus, contestaient la validité de la transaction par d’autres moyens, notamment celui tiré de l’erreur sur l’objet prévu par l’article 2053 du code civil ; que par cette dénaturation, la cour d’appel, a violé l’article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée ; que les prétentions ou demandes sont les fins poursuivies par les parties dans la procédure ; que les moyens de droit sont les fondements juridiques des demandes ; qu’une même demande peut être fondée sur plusieurs moyens ; qu’en retenant que M. X... ne demandait pas la nullité de la transaction pour erreur sur son objet quand elle avait constaté qu’il contestait la validité de l’acte à ce titre et qu’il en demandait par ailleurs la nullité sur un autre moyen, la cour d’appel, qui a exigé de M. X... qu’il formule dans ses conclusions une demande propre à chaque moyen soulevé, a violé l’article 954 du code civil ;

Mais attendu qu’il ne résulte pas des conclusions de M. X..., par lesquelles celui-ci sollicitait l’annulation de la vente pour erreur sur la substance du tableau vendu et l’annulation de la transaction pour inexécution, qu’il aurait formulé et motivé une demande en rescision de la transaction pour erreur sur l’objet de la contestation, alors qu’une telle erreur ne se confond pas avec les qualités substantielles de l’oeuvre vendue susceptible d’entraîner la nullité de la vente, et que l’objet de la contestation, à laquelle a mis fin la transaction validant irrévocablement la vente du tableau, sans en définir l’auteur, et stipulant sa donation par l’acquéreur à un tiers, ne se confond pas davantage avec la vente elle-même ; que c’est donc sans dénaturation des écritures ni violation des exigences de l’article 954 du code de procédure civile, que la cour d’appel a retenu qu’elle n’était pas saisie d’une demande de rescision de la transaction en application de l’article 2053 du code civil ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt, qui prononce la nullité de la vente du 10 septembre 1984, de rejeter le surplus de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu’en énonçant tout à la fois, d’une part, que la transaction rendait « impossible la remise en état des parties » qui suit, en principe, l’annulation d’une vente et, d’autre part, que « la transaction ainsi intervenue ne peut avoir pour effet de rendre sans effet la nullité de la vente de 1984 qui vient d’être prononcée », la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les transactions se renferment dans leur objet ; qu’en faisant application, pour écarter les restitutions consécutives à l’annulation de la vente, de la transaction dont elle avait pourtant constaté qu’elle avait pour objet de trancher le litige relatif à l’attribution du tableau à Sargent ou un peintre de moindre cote qui seule « était dans le débat » lors de sa conclusion mais ne portait « nullement sur la question de savoir si le tableau vendu était ou non une oeuvre du peintre Claude Monet lui-même » qui faisait l’objet du litige dont elle était saisie, la cour d’appel, qui a étendu la transaction de 1986 au-delà de son objet expressément constaté, a violé l’article 2048 du code civil ;

3°/ qu’un contrat annulé ne peut avoir aucun effet ; que la transaction qui confirme une vente a un effet seulement déclaratif et pas un effet novatoire ; qu’en refusant de faire produire effet à l’annulation de la vente qu’elle avait prononcée au motif que la transaction rendrait impossible la remise en état des parties quand les consorts A... n’avaient acquis aucun droit nouveau sur le tableau par la conclusion d’une transaction simplement confirmative et qu’ils étaient réputés n’avoir jamais eu de droits sur l’oeuvre du fait de l’annulation de la vente, la cour d’appel a violé l’article 1304 du code civil ensemble le principe selon lequel ce qui est nul est censé ne jamais avoir existé ;

4°/ qu’en décidant que la transaction devait s’appliquer pour régir les conséquences de l’annulation de la vente quand elle avait constaté que la transaction était destinée à confirmer la vente, ce dont il résultait que ses stipulations, notamment celles relatives à la restitution d’une partie du prix aux consorts A... et à la donation du tableau à l’Académie des beaux-arts, étaient destinées à régir les conséquences d’une vente valable, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;

5°/ qu’est anéanti de plein droit l’acte se trouvant indivisiblement lié à un premier acte dont la nullité est prononcée ; que la cour d’appel avait constaté que la transaction litigieuse portait sur le même tableau que la vente et qu’elle tendait à la confirmer irrévocablement ; qu’en faisant néanmoins application de la transaction nonobstant l’annulation de la vente au motif que M. X... n’aurait pas expressément demandé la nullité de cet acte, motif inopérant dès lors que l’annulation de la vente avait provoqué de plein droit l’anéantissement de la transaction, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1218 du code civil ;

6°/ que la partie qui se voit opposer la fin de non-recevoir tirée de la conclusion d’une transaction n’est pas tenue de demander l’annulation de l’acte mais peut se borner à en opposer la nullité ; qu’en faisant application de la transaction de 1986 dont elle avait constaté, comme le soutenait M. X..., qu’elle était affectée d’une erreur compromettant sa validité au motif inopérant que ce dernier n’en aurait pas demandé l’annulation, la cour d’appel a violé l’article 2052 du code civil ;

Mais attendu que, selon l’article 2052 du code civil, les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort et ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion ; que l’arrêt constate que, par leur transaction, les parties ont irrévocablement confirmé la vente du tableau litigieux et se sont désistées de toutes instances et actions relatives à celui-ci ; qu’il en résulte que l’annulation ultérieure de cette vente n’est pas de nature à fonder l’annulation de la transaction ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l’article 1015 du code de procédure civile, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi. »

  

Cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation traite du devenir d’une transaction conclue dans le cadre d’une vente d’œuvre d’art.

 

La transaction est définie par l’article 2044 du Code civil comme « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». La transaction peut aussi bien intervenir pour mettre fin à une procédure en cours que pour éviter les suites d’un litige naissant. Elle implique que chacune des parties puisse faire valoir à l’égard de l’autre une prétention. En effet, elle constate dans un acte écrit et signé qui mettra fin au litige que les parties sont engagées dans un rapport d’obligations réciproques qui permette à chacune d’entre elle de faire des concessions.

 

Les faits et la procédure de l’espèce

La fille d'un ami de Claude Monet a reçu, après le décès du peintre, le don d'un portrait non signé, avec l'indication qu'il s'agissait d'une œuvre de John Singer Sargent. Quelques années après, elle décide de vendre le tableau à la société Wildenstein. La société, ayant des doutes sur l'authenticité du tableau vendu, intente une action en nullité de la vente prétendant que le tableau devait être attribué à un peintre de moindre renommée, Charles Giron.

En cours de procédure, les parties signent une transaction confirmant irrévocablement la vente du tableau attribué par la venderesse au peintre John Singer Sargent, avec diminution de moitié du prix. Aux termes de cette transaction, la venderesse prend acte de l'intention de la société de donner le tableau à l'Académie des beaux-arts de l'Institut de France, afin qu’il soit exposé au musée Marmottan.

Une dizaine d’années plus tard, l'association Wildenstein Institute fait paraître une nouvelle édition du catalogue de l'œuvre de Claude Monet, qui présente le tableau comme un autoportrait du célèbre peintre.

Estimant avoir vu son consentement vicié, la venderesse assigne alors la société acquéreur en annulation de la vente et de la transaction pour erreur sur la substance et pour dol.

Dans un arrêt en date du 28 mars 2008, la première chambre civile avait reproché à la Cour d’appel de Paris de ne pas avoir expliqué en quoi la réduction du prix n’était pas exclusive de l’attribution possible du tableau à un peintre d’une renommée plus grande que celle de John Singer Sargent (Cass. civ. 1 ère, 28 mars 2008, n° 06-10.715 ; Bull.civ. I, n°95) et renvoyé les parties devant la Cour d’appel.

La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt en date du 15 octobre 2014, prononce la nullité de la vente pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue. Elle constate l'absence de demande de rescision pour erreur sur l'objet de la transaction.

La venderesse étant décédée depuis, le légataire forme alors un pourvoi en cassation.

 

Solution de la Cour de cassation

La Cour de cassation dans son arrêt en date du 17 mars 2016 rejette le pourvoi formé et confirme la décision prise par les juges d'appel. En effet, elle relève que « c'est sans dénaturation des écritures ni violation des exigences de l'article 954 du Code de procédure civil, que la cour d'appel a retenu qu'elle n'était pas saisie d'une demande de rescision de la transaction en application de l'article 2053 du Code civil. »

Dans cet arrêt, la première chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur l’incidence de la nullité de la vente sur la transaction conclue entre le vendeur et l’acquéreur. C’est l’occasion pour la Haute juridiction de rappeler deux points importants en matière de transaction.

Dans un premier temps, la chambre civile rappelle qu’il faut distinguer l’action en annulation de la vente pour erreur sur la substance de la chose vendue et l’action en rescision de la transaction pour erreur sur l’objet de la contestation. Ces deux actions sont, en effet, indépendantes et distinctes l’une de l’autre. Autrement dit, l’action en annulation de la vente n’équivaut pas à une action en rescision de l’accord transactionnel. Pour la Haute juridiction, l’erreur sur l’objet de la contestation n’est pas assimilable à l’erreur sur la substance de la chose.

En outre, dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle les dispositions de l’article 2052 du Code civil.

 

Article 2052 du Code civil

« Les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort.

Elles ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion. »

 

Sur ce fondement, les transactions ont, entre les parties, une autorité telle, qu’elles ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion. La transaction, qui est pourvue de l’autorité de chose jugée en dernier ressort, emporte donc renonciation de la part des parties à contester les conditions d’exécution ou de rupture du contrat initialement signé entre elles.

Rappelons que l’autorité de la chose jugée se définit classiquement comme l’autorité attachée à un acte juridictionnel servant de fondement à l’exécution forcée du droit judiciairement établi, et faisant obstacle à ce que la même affaire soit, à nouveau, portée devant le juge, dans la mesure où les délais des voies de recours suspensives d’exécution sont expirés ou que celles-ci ont été employées.

La transaction constitue donc une sorte une justice privée, qui fait toutefois l’objet d’une reconnaissance officielle par l’institution judiciaire puisque le Code civil confère à l’accord entre signataires la même autorité qu’un jugement. Ainsi, la transaction s’impose comme un mode de règlement des litiges. En d’autres termes, cela signifie que l’affaire est définitivement réglée par la transaction et qu’il n’est plus possible de venir la contester devant un tribunal.

Les juges de la Cour de cassation, dans l’arrêt du 17 mars 2016, constatent donc que, par leur transaction, la venderesse et la société acquéreur du tableau litigieux, ont irrévocablement confirmé la vente de ce bien. Elle en déduit que, par la signature de cet accord transactionnel, elles se sont désistées de toutes instances et actions relatives à celui-ci.

En conclusion, dans cet arrêt, la Haute juridiction vient officiellement énoncer que l’annulation ultérieure de la vente ayant donné lieu à une transaction n’est pas de nature à fonder l’annulation d’une transaction en raison de l’autorité de la chose jugée qui lui est attachée.

M. F.-B.

Faculté de Droit