Droit administratif - Droit constitutionnel

Valérie MARTEL

Ingénieur en Technologie de la Formation

Chargée d’enseignements à l’Université Jean Moulin Lyon 3

 

CE, 30 décembre 2015, M. A…, n° 384321

 

Le Conseil d’Etat s’est déclaré, dans sa décision en date du 30 décembre 2015, M. A…, incompétent pour statuer sur une requête tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des affaires étrangères a refusé « d'exclure l'Institut pour le commerce extérieur italien (ICE) de la liste des bénéficiaires du statut diplomatique en France ».
Cette décision d’espèce est l’occasion de revenir sur la compétence des juridictions administratives en matière de recours pour excès de pouvoir et plus précisément sur les limites à cette compétence.

L’ambassadeur italien a fait savoir dans une note verbale du 13 juillet 2004 adressée au ministre des affaires étrangères français que l’ICE était désormais intégré au réseau diplomatique italien en qualité de « sections pour la promotion des échanges commerciaux » et ce faisant était distinct de l’ambassade. Le ministre des affaires étrangères français prend acte du changement de qualité de l’ICE mais indique que cet Institut fait partie intégrante de la représentation diplomatique italienne en France. Une demande est alors adressée au ministre des affaires étrangères français afin que l’ICE ne soit pas regardé comme partie intégrante de la mission diplomatique permanente de l’Italie en France. Ledit ministre n’ayant pas répondu, une décision implicite de rejet est née de son silence le 6 août 2014.

M. A. saisit alors le Conseil d’Etat les 8 septembre et 4 décembre 2014 en annulation de cette décision et demande que soit enjoint au ministre des affaires étrangères « d'exclure l'ICE de la liste des bénéficiaires du statut diplomatique en France » dans un délai d'un mois sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

La question qui se posait aux juges du Conseil d’Etat était de savoir s’ils étaient compétents pour statuer sur la légalité de la décision du ministre d’exclure une entité de la liste des bénéficiaires du statut diplomatique en France.

Par une décision en date du 30 décembre 2015, le Conseil d’Etat répond par la négative et rejette la requête de M. A. aux motifs « qu'eu égard à son objet, la décision du ministre des affaires étrangères de reconnaître le statut diplomatique de l'ICE n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France ; qu'elle échappe, par suite, à la compétence de la juridiction administrative française, sans que soit méconnu le droit au recours dont M. A... se prévaut en invoquant les articles 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1 er du premier protocole additionnel à cette convention ».

Les actes de gouvernement font en effet partie des actes insusceptibles de recours pour excès de pouvoir (I) et même si le juge administratif considère que cela porte atteinte au droit de recours, le champ des actes exclus d’un contrôle juridictionnel est en réduction (II).

 

I. Les actes de gouvernement, des actes insusceptibles de recours pour excès de pouvoir

La qualification d’acte de gouvernement entraine l’exclusion du recours pour excès de pouvoir (B). Elle a donc une conséquence importante alors qu’il n’existe pas de définition générale et précise de ces actes (A).

 

A. L’absence de définition précise des actes de gouvernement

La notion d’acte de gouvernement existe depuis longtemps même si cette terminologie n’est pas toujours employée. Déjà en 1822, dans sa décision Laffitte, le Conseil d’Etat se fondait sur l’existence d’un « mobile politique » pour se déclarer incompétent pour statuer sur le recours pour excès de pouvoir. Toutefois, l’intérêt politique de l’acte, de même que le fait que l’acte ait été délibéré en conseil des ministres, n’est pas suffisant pour qualifier un acte d’acte de gouvernement (CE, 19 février 1875, Prince Napoléon). La difficulté réside dès lors dans le fait qu’il n’existe pas de définition précise de cette notion ; le critère finaliste et le critère organique ne semblant pas pertinents. Il ressort toutefois de la jurisprudence que deux catégories d’actes de gouvernement peuvent être distinguées.

La première catégorie d’actes de gouvernement comprend les actes de droit interne qui se rattachent aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels c’est-à-dire les actes relatifs aux rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. C’est le cas par exemple de la décision de mettre en œuvre les pouvoirs de crise de l’article 16 de la Constitution (CE, Ass. 2 mars 1962, Rubin de Servens) ou d'empêchement du Président de la République (CE, 16 septembre 2005, Hoffer).

La seconde catégorie d’actes de gouvernement correspond aux actes de conduite des relations internationales de la France qui se rattachent aux rapports entre l’Etat français et les Etats étrangers ou aux organisations internationales. Il a ainsi été jugé que la décision des autorités françaises d’engager des forces militaires en République fédérale de Yougoslavie en liaison avec les événements du Kosovo ainsi que les décisions subséquentes fixant les objectifs militaires ou déterminant et répartissant les moyens mis en œuvre n’étaient pas susceptibles de recours pour excès de pouvoir du fait de la nature de ces décisions (CE, 5 juillet 2000, Mégret et Mekhantar). La même solution a en outre été retenue concernant la décision des autorités françaises d’autoriser les avions militaires américains et britanniques, qui accomplissent des missions contre l’Irak, à emprunter l’espace aérien français (CE, 30 décembre 2003, Comité contre la guerre en Irak).

La décision contestée dans l’arrêt du 30 décembre 2015 se rattache à cette dernière catégorie dans la mesure où le juge considère que « la décision du ministre des affaires étrangères de reconnaître le statut diplomatique de l'ICE n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France ». Le lien entre la décision et la conduite des relations internationales a donc été déterminant pour que le juge se déclare incompétent pour statuer sur son annulation.

La qualification d’acte de gouvernement exclut la possibilité de faire un recours pour excès de pouvoir comme cela existe pour d’autres types d’actes administratifs.

 

B. Les actes de gouvernement exclus du recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est un recours objectif tendant à l’annulation d’un acte administratif. Ce recours n’est donc pas ouvert contre les contrats y compris contre les actes qui en sont détachables depuis la décision du Conseil d’Etat du 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne qui permet aux tiers justifiant d’un intérêt lésé par un contrat de saisir le juge de plein contentieux.

De plus, le juge administratif ne peut connaître, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, que des actes administratifs faisant grief. Cela exclut les actes non créateurs de droit comme les actes de préparation et d’exécution, les actes recognitifs en l’absence de changement de circonstances, les mesures d’ordre intérieur dont les circulaires non impératives font parties ainsi que les directives.

Mais les actes de gouvernement sont actes administratifs qui font griefs. Dans sa décision du 30 décembre 2015, le Conseil d’Etat rejette la requête « comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ». Le recours n’est donc pas irrecevable ; l’irrecevabilité pouvant résulter du fait que les conclusions formulées sont dirigées contre un acte qui n’est pas un acte administratif ou contre un acte qui n’est pas créateur de droit soit que le délai de recours est forclos, soit que les conclusions ne peuvent être présentées que par un avocat, soit que les formes de la requête ne sont pas conformes à l’article R. 411-1 du Code de justice administrative. Le juge se déclare, dans la décision commentée, incompétent. La fermeture du recours pour excès de pouvoir à de tels actes n’a donc pas de justification purement juridique mais une justification plus politique comme c’est le cas pour les actes des pouvoirs juridictionnels et parlementaires – tel que les observations du Conseil constitutionnel sur les irrégularités des élections législatives mentionnant un nom (CE, 9 novembre 2005, M. X.) - qui sont insusceptibles de recours pour excès de pouvoir du fait de la séparation des pouvoirs.

Quel que soit les justifications à l’existence des actes de gouvernement (la conduite des relations internationales, la séparation des pouvoirs…), nous constatons toutefois que le champ des actes de gouvernement échappant à tout contrôle juridictionnel est en réduction.

 

II. La réduction des actes de gouvernement échappant à tout contrôle juridictionnel

Cette réduction (B) s’explique car les actes de gouvernement viennent heurter les principes d’Etat de droit, de légalité et de droit au recours (A).

 

A. La contrariété avec les principes d’Etat de droit, de légalité et de droit au recours

L’article 13 de la de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». Cependant, comme le fait remarquer Didier Girard (Les « actes de Gouvernement » demeurent insusceptibles de tout recours juridictionnel en France, Note sous TC, 6 juillet 2015, K. et autres, n° C 03995, Revue générale du droit) : « les obligations conventionnelles résultant de la Convention européenne des droits de l’Homme, notamment de ses articles 6 et 13 (La Cour européenne juge que la notion d’acte injustifiable peut, dans certaines limites, être considérée comme compatible avec la Convention : Cour EDH, 14 décembre 2006, Markovic c. Italie, n° 1398/03), imposent l’ouverture de voies de recours internes lorsqu’un droit conventionnel est méconnu ». En l’espèce, la Convention ne traite pas de l’exclusion des bénéficiaires d’un statut diplomatique. Le juge administratif a donc pu facilement considérer que son incompétence ne méconnaissait pas « le droit au recours dont M. A... se prévaut en invoquant les articles 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

L’existence d’un droit à un recours effectif existe en droit interne. Le Tribunal des conflits a toutefois consacré l’absence de recours contre les actes de gouvernement dans sa décision du 6 juillet 2015, K. et autres alors même que cela entrainait un déni de justice.

Ces solutions se heurtent au principe de légalité dans la mesure où l’effectivité de ce principe implique forcément un moyen, un recours permettant de sanctionner une illégalité.

C’est pourquoi sous l’influence de la doctrine, le juge tend à limiter le champ des actes échappant à tout contrôle juridictionnel.

 

B. Un contrôle contre les actes détachables ou opéré par le juge constitutionnel

Tout d’abord, le juge administratif contrôle certains actes de gouvernement en recourant à la notion d’acte détachable. Le juge a ainsi considéré qu’un décret d’extradition était détachable des relations internationales et a examiné au fond ledit décret (CE, Ass. 15 octobre 1993, Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord).

De plus, on constate que le juge constitutionnel est compétent pour connaître d’actes pour lesquels le juge administratif s’est déclaré incompétent. Tel est le cas de certains actes de droit interne qui se rattachent aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels comme la décision de recourir au référendum de l’article 11 de la Constitution. Si le juge administratif s’estime incompétent (CE, 1962, Brocas, n° 58502), le Conseil constitutionnel est compétent pour en connaître (Cons. Const., 2000, Hauchemaille). Cette décision n’échappe donc pas à tout contrôle.

Enfin, on assiste à une moralisation de l’action de l’Administration en matière d’actes de gouvernement. Ainsi, le fait que le juge administratif s’estime incompétent pour annuler un acte de gouvernement n’implique pas son incompétence en recours de plein contentieux. Le juge administratif a par exemple examiné un recours en indemnité formé par deux membres de l’ambassade de Turquie en France qui avaient été victimes d’un attentat (CE, 29 avril 1987, Consorts Yener et Erez). De même, il a admis la responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques du fait d’un traité (CE, Ass. 30 mars 1996, Compagnie générale d’énergie radioélectrique). Ce faisant, on constate que si le juge limite sa compétence pour connaître de la légalité d’actes de gouvernement, il reconnaît sa compétence pour réparer les conséquences dommageables de ces actes.

V.M.

Faculté de Droit