moyenorient

Science politique – Droit international public

Lucie LE BARREAU

Docteur en Sciences politiques, EAD-SP, Université Jean Moulin Lyon 3

 

Introduction : Définition du Moyen-Orient

Le Moyen-Orient comprend : Arabie Saoudite, Bahreïn, Egypte, Emirats arabes unis, Irak, Iran, Israël, Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Qatar, Syrie, Turquie, Yémen.

Source : Paolo Porsia, MiddleEast_today, Map of Middle East

 

La fin de la Seconde Guerre mondiale marque le renouveau des enjeux internationaux, et notamment géopolitiques. Si auparavant les regards portaient davantage sur des régions telles que le Proche-Orient ou l’Extrême-Orient, le développement de la région du Golfe arabo-persique pousse les regards à s’orienter vers des zones plus étendues. Cela sera notamment le cas de l’ensemble géopolitique dénommé Moyen-Orient. Celui-ci s’étend sur près de 4000 kilomètres entre les détroits turcs et la pointe sud-est de l’Arabie sur l’Océan Indien, ou entre la vallée du Nil et les confins de l’Afghanistan. La présence de la majorité des ressources en hydrocarbures dans cette région n’est pas innocente dans la prise en compte toujours plus grande de cet espace dans les politiques et stratégies des Etats, notamment européens et américains. Néanmoins, il est important de comprendre que l’intérêt du Moyen-Orient dépasse cette acception énergétique et s’observe depuis des siècles plus reculés, en particulier du fait de sa situation de carrefour entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Plus exactement, cette situation s’impose comme un nœud géostratégique par le développement des relations maritimes et terrestres entre le monde indien, le monde méditerranéen, et les vallées du Nil et de la Mésopotamie (croissant s’étendant de fait du Sahara à l’Asie centrale, limité au nord par le Caucase et traçant une ligne de l’Anatolie à l’Himalaya, en passant par l’Iran et l’Afghanistan). De facto, le Moyen-Orient est le point de rencontre entre des foyers civilisationnels majeurs.

Le Moyen-Orient ne doit pas être confondu avec le Proche-Orient, qui regroupe l’ensemble des Etats riverains de la Méditerranée orientale. Le Proche-Orient est une des composantes du Moyen-Orient, mais son étude suppose un élargissement du cadre géographique. Ainsi, le Proche-Orient pourrait être défini comme comprenant : (Chypre), Egypte, Israël, (Palestine), Liban, Syrie, Turquie. Traditionnellement, cette notion fait référence à l’Orient le plus proche pour les Etats européens, et correspond, avant l’ouverture du canal de Suez, à la route des Indes. L’expression « Proche-Orient » fait aujourd’hui débat quant à sa définition exacte, et perd progressivement de son utilisation en étant intégrée à l’ensemble plus vaste du Moyen-Orient (en raison de la répercussion des problèmes du golfe Arabo-Persique en Méditerranée orientale). En terme historique, on peut cependant considérer le Proche-Orient comme la porte traditionnelle entre l’Orient musulman et l’Occident chrétien.

 

I) LES COMPOSANTES GÉOPOLITIQUES DU MOYEN-ORIENT

A) Peuples, territoires et religions

Le Moyen-Orient est composé, en termes géopolitiques, des trois grands pays que sont l’Egypte, l’Iran et la Turquie. Leur population totale s’approche des 230 millions d’habitants (environ 76 millions d’Iraniens, 80 millions d’Egyptiens et 74 millions de Turcs). Chacun représente la majorité des grandes ethnies de la région : Arabes, Persans et Turcs, des pays centraux du Croissant fertile (Irak, Israël, Jordanie, Liban, Syrie) et des Etats de la péninsule Arabique (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar, Yémen).

La complexité géographique du Moyen-Orient, et notamment les barrières naturelles instaurées par les zones désertiques et les montagnes, a protégé les populations d’une forme d’homogénéisation culturelle. Pourtant, la diversité reste sur la défensive devant une volonté d’unité qui a fait du Moyen-Orient la terre de prédilection des grands empires et des religions monothéistes. Aujourd’hui, une seule religion et trois peuples dominent :

  • le peuple arabe : descendant des Sémites, autochtones de la région. La majorité des Etats sont arabes dans leur quasi-totalité ou dans leur grande majorité (Irak). Il faut y ajouter les arabophones de l’Iran, de la Turquie et d’Israël ;
  • le peuple turc : principalement géolocalisé en Turquie et en Iran, on peut également y ajouter les Azéris du Caucase ;
  • le peuple persan : et assimilés (Lurs, Baktyaris) constituant environ la moitié de la population iranienne ;
  • à ces trois ethnies principales s’ajoutent : les Kurdes, les Juifs, la diaspora arménienne, les Assyriens, les Baloutches et les Coptes. Néanmoins, la question se pose de la délimitation entre minorité ethnique et minorité religieuse.

La place de la religion au Moyen-Orient apparait comme une variable centrale dans la compréhension des enjeux géopolitiques de la région. L’Islam constitue ainsi la religion majoritaire avec environ 250 millions de fidèles (représentant 20% de la population musulmane mondiale et 90% de la population de la région). Cependant, l’Islam est une religion pluraliste qui se caractérise en deux branches principales que sont les Sunnites et les Chiites. Les Sunnites représentent près des deux tiers des individus et les Chiites un tiers. Les deux tiers de ces derniers se trouvent en Iran ; les Chiites constituent aussi plus de la moitié de la population de l’Irak, le tiers de celle du Liban et 60% de celle de Bahreïn.

Les Chrétiens, moins nombreux, sont plus divisés. Trois groupes principaux semblent cependant émerger : les Grecs orthodoxes (majoritairement Arabes) que sont les Chrétiens attachés aux patriarcats orthodoxes de Constantinople (Istanbul), d’Antioche (Antakya), de Jérusalem et d’Alexandrie ; les Eglises détachées de l’Eglise orthodoxe telles que l’Eglise arménienne (dite grégorienne), l’Eglise copte égyptienne, l’Eglise nestorienne, l’Eglise syrienne (dite jacobite) et l’Eglise maronite ; les Eglises qui peuvent être regroupées sous le vocable d’uniates et qui sont constituées par les fidèles rattachés à Rome de chacune des Eglises précédentes, telles que l’Eglise melkite (ou grecque), l’Eglise arménienne catholique, l’Eglise copte catholique, l’Eglise chaldéenne, l’Eglise nestorienne et l’Eglise syrienne.

Cette énumération laisse toutefois de côté les groupements religieux détachés de l’une ou l’autre religion au point de développer des doctrines indépendantes. Tous ces éléments permettent cependant de mettre en lumière la grande diversité religieuse de la région du Moyen-Orient. 

B) Les idéologies : du panarabisme au panislamisme

Après la domination européenne, les constructions territoriales se sont inspirées du modèle européen de l’Etat-nation. Le sentiment national s’est ainsi forgé et renforcé dans la région du Moyen-Orient, notamment face aux difficultés rencontrées, paradoxes observés et solutions envisagées.

Ainsi, le paradigme panarabe (panarabisme) acquiert-il une place incontestable lorsque se tient, du 18 au 23 juin 1913 à Paris, un premier Congrès arabe, avec la participation d’environ 300 délégués. Ces derniers revendiquent une autonomie pour les provinces arabes de l’Empire ottoman. Il s’agit de faire valoir – au travers notamment de la langue comme facteur d’unité – la reconnaissance d’une véritable identité arabe. Le mouvement de la Renaissance arabe (la Nadha) a de fait beaucoup influencé les esprits et est à l’origine de l’arabisme (qui désigne la volonté de préservation de l’identité arabe), avant d’évoluer vers un véritable nationalisme concurrençant le sentiment d’appartenance à l’Islam (néanmoins resté présent). Le panarabisme aspire à l’unité de tous les Arabophones et la restitution du grand héritage arabe.

Lors du règlement de la Première Guerre mondiale et face au morcellement territorial, un sentiment de frustration se développe et fait émerger des partis/idéologies panarabes. Le parti Baath et le nassérisme en sont des exemples.

Actuellement, il semblerait qu’au mouvement panarabe se substitue l’islamisme voire le panislamisme. Ce mouvement est constitué par des groupes sociaux déçus par les échecs du « nationalisme laïc » et autres politiques de modernisation.

Les principaux facteurs du panislamisme ont donc été l’échec des grands projets industrialisants (qui ne permettent plus la socialisation des nouvelles couches sociales éduquées de plus en plus nombreuses), de la faible croissance économique (marquée notamment par le clientélisme et la corruption ainsi que par l’échec des mouvements dits révolutionnaires), de l’insuffisance de la rente pétrolière directe ou indirecte et de toutes formes d’aides extérieures.

En conséquence, apparaissent des sentiments de déception et de frustration à l’égard notamment de l’Occident qui tend à imposer son modèle idéologique. L’islamisme devient alors une idéologie politico-sociale convoquant les valeurs traditionnelles en réponse au discrédit des idéologies occidentales, par le biais d’acteurs religieux tels que les Frères musulmans. L’idéologie s’inscrit alors dans un double processus : celui de la revendication fondamentaliste (autour de la Charia) et celui de l’anticolonialisme/anti-impérialisme/anti-occidentalisme. Néanmoins, le panislamisme est confronté à deux difficultés majeures que sont l’invention d’un contre-modèle économique et l’insertion dans la modernité. 

C) Les ressources énergétiques : l’eau et les hydrocarbures

L’eau et les hydrocarbures sont les deux ressources naturelles déterminantes dans la région au vu de leur aspect économique et sécuritaire.

L’eau douce revêt un caractère vital pour les pays de la région du Moyen-Orient car elle est utilisée à la fois pour la consommation domestique et les productions agricole et industrielle. La répartition des réserves hydriques est cependant inégale et source de tensions. La forte disparité de cette ressource fait que dans les pays pauvres en eau douce, les eaux fossiles ou renouvelables font l’objet d’une surexploitation. Le recours au dessalement y est ainsi extrêmement coûteux en énergie. Au-delà des ressources disponibles, la consommation de l’eau soulève également de nombreuses problématiques. On observe ainsi une tendance à l’aggravation de cette situation en raison notamment d’une forte croissance démographique et de la hausse constante de la consommation urbaine. Il est également à noter que l’agriculture absorbe plus de 80% des eaux consommées. Enfin, la gestion de l’eau constitue en elle-même un facteur de tensions dans la région puisqu’elle s’inscrit dans des logiques de coopération/confrontation entre les acteurs locaux.

En termes de prospectives, des solutions doivent être envisagées au niveau régional. Celles-ci pourraient impliquer des transferts d’eau ; le recours (coûteux) à des ressources non conventionnelles telles que le dessalement de l’eau de mer ou le recyclage des eaux usées, ce qui poserait la question de l’inégalité des ressources financières ; la coopération régionale qui reste difficile et pourtant indispensable. Les difficultés liées à la gestion de l’eau sont donc génératrices de tensions intra et interétatiques.

 

Focus : une situation de stress hydrique au Proche-Orient

Le Proche-Orient connait une situation dite de « stress hydrique », à savoir un déséquilibre entre son capital en eau limité et sa consommation en très forte croissance (en raison notamment du rythme démographique et du développement économique). L’eau constitue dès lors une ressource rare, concentrant une symbolique culturelle et religieuse forte. Elle est également un facteur d’aggravation des tensions existantes latentes (ex. : les crises et conflits géopolitiques liés à l’eau autour du Nil, de l’Indus, du Tigre et de l’Euphrate). Plus spécifiquement, il est intéressant de s’intéresser aux hydro-stratégies développées par certains Etats (notamment Israël pour qui toute tentative d’appropriation de ses ressources en eaux constitue un casus belli – « acte qui peut entrainer rupture avec une puissance et causer la guerre » selon le Dictionnaire Le Larousse) pour comprendre comment l’eau influence le tracé des frontières et la teneur des traités.

 

Les hydrocarbures constituent un second enjeu géopolitique interne et externe pour le Moyen-Orient. Il faut ainsi noter que les deux tiers des réserves mondiales actuellement exploitables sont localisées au Moyen-Orient. Elles représentent la moitié des sources mondiales d’énergie. Les capitaux issus des hydrocarbures se présentent sous forme de revenus provenant de l’extraction, du transit, ou de donations publiques ou privées. Le pétrole est ainsi une source de financement notable pour la région (expansion urbaine, immigration, construction des infrastructures, réseaux de communications, etc.). L’attrait que présentent les hydrocarbures pour les acteurs étrangers conduit à l’avènement d’agglomérations cosmopolitiques (jusqu’à 80% d’étrangers attirés par les revenus pétroliers). Par conséquent, la rente pétrolière modifie le paysage démographique et urbanistique des Etats, ce qui implique la nécessité d’assurer une stabilité sécuritaire notamment au travers de l’orientation des actions politiques et militaires. 

Conclusion : les facteurs de crises au Moyen-Orient

La zone qui s’étend du Maroc aux nouveaux Etats d’Asie centrale a longtemps été le théâtre d’affrontements, d’intensité variable, mais aux enjeux tels qu’ils ont parfois nécessité /conduit à l’intervention de puissances étrangères. Quatre principaux facteurs sont à noter :

  • 1. Les contestations frontalières et territoriales : la péninsule arabique, et plus largement le Moyen-Orient, ont longtemps constitué un vide géopolitique. Le tracé des frontières a ainsi été le fruit d’un processus lent et difficile, qui s’est notamment figé avec les créations des Etats-nations. Délimitations artificielles, les frontières ont alors conduit à imposer à des peuples ou communautés une coexistence territoriale incompatible avec leurs identités respectives.
  • 2. La rareté et l’inégale répartition des richesses naturelles : l’importance des ressources pétrolières du Moyen-Orient attise les politiques hégémoniques de certains Etats (notamment Irak, Iran, Arabie saoudite) et donne lieu à des conflits ouverts impliquant l’intervention de puissances occidentales (ex. en 1951 intervention des Etats-Unis en Iran ; en 1990 intervention d’une coalition internationale en Irak). Ces interventions sont essentiellement motivées par des facteurs géostratégiques.
  • 3. Les facteurs géostratégiques : ils renvoient à la lutte pour le contrôle de points vitaux et sensibles de la région (tel le Canal de Suez).
  • 4. L’inefficacité des instances de régulation propres à la région (Ligue arabe, OUA) ou internationale (ONU).

 

II) RETOUR SUR LES CRISES ET TENSIONS DANS LA RÉGION

Le Moyen-Orient fait l’objet depuis plusieurs années d’un renouveau des crises et tensions. L’émergence des « Printemps arabes » pèse ainsi de manière logique sur l’équilibre de la région. Il est par conséquent indispensable, pour la bonne compréhension des enjeux géopolitiques du Moyen-Orient, de suivre l’actualité afférente à ces nouvelles problématiques. Le peu de recul dont nous disposons aujourd’hui sur ces « crises et tensions » impose une lecture assidue de l’actualité, au travers notamment de la littérature scientifique qui se fait jour de manière continue.

Quelques exemples sont ainsi à votre disposition dans le cadre de ce cas d’étude :

Quelques éléments d’analyse du Printemps arabe : les causes principales :

  • Les facteurs politiques :
    • exercice du pouvoir pérennisé ;
    • manque de liberté (limitation de la presse et des libertés civiles) ;
    • régimes oppressifs ;
    • corruption, népotisme, clientélisme.
  • Les facteurs socio-économiques :
    • chômage de la jeunesse (surdiplômée) ;
    • paupérisation importante ;
    • rôle des médias (accélérateurs et facilitateurs des dynamiques de changement) ;
  • Les causes latentes :
    • forte croissance démographique ;
    • importante migration extérieure.
  • Le contexte international :
    • retrait des troupes américaines d’Irak ;
    • impasse du processus israélo-palestinien ;
    • inquiétudes quant au nucléaire iranien ;
    • crises économiques et financières en Europe et aux Etats-Unis ;
    • excédents dans les pays du Golfe et inégale répartition des ressources ;
    • affirmation de nouvelles puissances régionales (Turquie, Chine, Russie).

 

Bibliographie complémentaire (pour aller plus loin) :

Article complémentaire n°1 : FEVRET Maurice, « Essai de délimitation du Proche et du Moyen-Orient », Revue de géographie de Lyon, vol. 27, n°27-2, 1952, pp. 193-196.

Article complémentaire n°2 : TABUTIN Dominique, SCHOUMAKER Bruno, « La démographie du monde arabe et du Moyen-Orient des années 1950 aux années 2000 », Population, mai 2005, vol. 60, pp. 661-724.

Article complémentaire n°3 : LACOSTE Yves, « Géopolitique des religions », Hérodote, mars 2002, n°106, pp. 3-15.

Article complémentaire n°4 : LAVERGNE Marc, « Monde arabe : de la quête de l’unité au destin partagé », Revue internationale et stratégique, mars 2011, n°83, pp. 67-73.

Article complémentaire n°5 : BLANC Pierre, « Jordanie : une géopolitique de l’irrigation », Méditerranée, 2012, n°119.

Article complémentaire n°6 : CUEILLE Jean-Philippe, « Pays pétroliers et gaziers du Maghreb et du Moyen-Orient », Panorama 2012, 9 p., (consultable sur www.ifpenergiesnouvelles.fr).

Article complémentaire n°7 : LAVERGNE Marc, « Révolutions arabes : pas de démocratisation sans décentralisation », Confluences Méditerranée, Février 2013, n°85, pp. 17-31.

Article complémentaire n°8 : CHARILLON Frédéric, « Occident/Monde arabe : une nouvelle donne géopolitique », Politique étrangère, Janvier 2012, pp. 135-144.

Article complémentaire n°9 : BURDY Jean-Paul, MARCOU Jean, « Le cheminement complexe des nouvelles relations turco-arabes », Hérodote, 2013/1, Printemps, n°148, pp. 8-22.

Article complémentaire n°10 : FEUERSTOSS Isabelle, « Guerre civile en Syrie : le retour du refoulé », Politique étrangère, 2013/3, Automne, pp. 601-613.

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Faculté de Droit